Condamnés à mort pour leurs activités en ligne
Pour la première fois, des net-citoyens ont été condamnés à la peine capitale. Le 29 janvier 2012, l’agence iranienne Farsnews, proche des Gardiens de la Révolution, a
confirmé la condamnation à mort de
Saeed Malekpour, informaticien et résident permanent au Canada, pour "agitation contre le régime" et "insultes contre l’Islam”. Il avait arrêté le 4 octobre 2008 lors d’un séjour en Iran.
Vahid Asghari, étudiant en technologies de l’information, et
Ahmadreza Hashempour, un administrateur de sites Internet, ont également vu leurs peines confirmées par la Cour suprême iranienne début 2012. Un autre net-citoyen, le développeur web et humoriste
Mehdi Alizadeh, a été informé, début février 2012, de sa condamnation à mort par la 15ème chambre du tribunal de la Révolution.
Ces quatre net-citoyens, âgés de 25 à 40 ans, sont victimes d’une machination orchestrée par le "Centre de surveillance des délits organisés", un organe instauré illégalement par les Gardiens de la Révolution en 2008. Sous la torture, les accusés ont reconnu leurs liens avec des sites critiques vis-à-vis de l’Islam et du régime en place, ainsi que leur intention de "détourner" la jeunesse iranienne par la diffusion de contenus pornographiques. Ils ont également été forcés d’avouer leur participation à un complot soutenu par les États-Unis et Israël.
Les vagues d’arrestations se poursuivent
Ces vagues d’arrestations sont parfois motivées par des anniversaires susceptibles d’occasionner des troubles. Elles peuvent également être liées à des tensions internes entre les différents cercles du pouvoir. Il arrive qu’elles se produisent également de manière imprévisible afin de dérouter les dissidents, gêner leurs publications indépendantes et créer un climat de suspicion permanent. Les plus marquantes de ces derniers mois se sont déroulées en mai et juin 2011, au moment de l’anniversaire de la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad, ainsi qu’au début de l’année 2012, à la veille de l’anniversaire de la Révolution islamique et des deux grandes manifestations du 14 février et du 1er mars 2012.
Reporters sans frontières a comptabilisé 29 arrestations de net-citoyens entre le 1er mars 2011 et le 1er mars 2012. Onze net-citoyens ont été condamnés à des peines allant de trois à six ans de prison. Quinze net-citoyens sont en situation de libération conditionnelle. En attente de leur procès ou de leur verdict comme une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.
M
ehdi Khazali, fils d’un important dignitaire religieux conservateur, qui dirige le blog Baran sur lequel il critique régulièrement le président iranien, a été condamné à 4 ans de prison ferme en février 2012.
Sakhi Righi, administrateur du blog balochistan-s, arrêté le 18 juin 2009 à Zahedan, sa ville natale, a été condamné à la plus lourde peine de prison jamais prononcée contre un blogueur en Iran - vingt ans de prison ferme - pour “publication de fausses informations” et “action contre la sécurité nationale”.
Pour plus de détails, lire le récit des violations de la liberté d’information en Iran
depuis le 1er janvier 2012 et
en 2011.
Traitements inhumains et dégradants et pressions en tout genre
Les tortures et mauvais traitements en détention sont récurrents, ainsi que les campagnes de diffamation et les aveux forcés diffusés sur les chaînes iraniennes.
De nombreux journalistes et net-citoyens, détenus arbitrairement, sont privés de soins médicaux, alors même qu’ils sont malades et très affaiblis physiquement et psychologiquement. L’état de santé de plusieurs d’entre eux est particulièrement inquiétant, notamment
Masoud Bastani, Issa Saharkhiz, Mohammad Sadigh Kaboudvand, Hossein Ronaghi Maleki, Said Matinepour, Mehdi Mahmudian, Kivan Samimi Behbani, et
Arash Honarvar Shojai. Leurs vies sont en jeu.
Les autorités n’hésitent pas à faire pression sur les proches ou à séparer des familles. Parvin Mokhtare, la mère du blogueur emprisonné
Kouhyar Goudarzi, a été condamnée à vingt-trois mois de prison ferme par le tribunal de la révolution de la ville de Kerman.
Sans compter le véritable racket financier imposé à ceux qui bénéficient d’une libération provisoire.
Parastoo Dokoohaki, blogueuse et militante pour les droits des femmes et
Sahamoldin Borghani, journaliste et collaborateur du site d’information
Irdiplomacy, ont été libérés fin février 2012 après versement d’une caution de 300 et 200 millions de tomans respectivement (soit 18 000 et 12 000 euros). Arrêtés le mois précédent, ils avaient été placés à l’isolement dans les sections 209 et 2 A de la prison d’Evin, gérées par le ministère des Renseignements et les Gardiens de la Révolution.
Un jour avant leur libération, le Centre de surveillance des délits organisés des Gardiens de la Révolution les a accusés, dans un communiqué publié sur le site
Gerdab, de "collaboration avec la
BBC, les services de renseignement britanniques et l’opposition basée à l’étranger". Les Gardiens de la Révolution avaient annoncé que “l’opération œil de renard” avait permis le démantèlement d’un réseau qui collectait de l’information et produisait des contenus pour la BBC en Iran. La chaîne britannique
BBC a démenti avoir des collaborateurs en Iran. Les chaînes diffusées par satellite en Iran ont été régulièrement brouillées par le passé, notamment la
BBC et la chaîne américaine
Voice of America. Le 5 mars 2012, les aveux des victimes de cette opération, qui sont en fait des extraits de leurs interrogatoires, ont été diffusés sur les chaînes nationales et relayés par la
Press TV, la chaîne en langue anglaise de la République islamique.
Début mars 2012, quelques jours avant la Journée de la femme, le régime a accru les pressions sur les cyberféministes, notamment
Noushin Ahmadi Khorasani, fondatrice du
site l’Ecole féministe, l’une des organisatrices de la campagne “One Million Signatures for Equality”, appelant à réformer les lois discriminatoires à l’égard des femmes. Les cyberféministes font régulièrement
l’objet de menaces et d’arrestations.
Signe de l’intransigeance des autorités : elles
refusent la venue d’Ahmed Shaheed, rapporteur spécial des Nations unies chargé d’examiner la situation des droits de l’homme en Iran.
De nouvelles régulations viennent renforcer l’arsenal législatif
Le 28 décembre 2011, le jour de l’inscription des candidats aux élections législatives de mars 2012, Abdosamad Khoramabadi, le conseiller juridique du procureur général d’Iran, a annoncé dans un point de presse "une liste des 25 délits d’Internet en relation avec l’élection". Les actes considérés comme des “délits” sont par exemple les appels au boycott des élections ou la publication des logos ou contenus de sites contre-révolutionnaires et d’opposition.
Le 3 janvier 2012, la police de l’Internet iranien a publié de nouvelles régulations pour les cybercafés. Les vingt articles en question obligent les clients à présenter une carte identité. Les gérants doivent installer des caméras dans les locaux, en conserver les enregistrements pendant six mois, tout comme les coordonnées complètes des usagers et la liste des sites visités. L’utilisation de logiciels pour contourner le filtrage ou de réseaux privés virtuels (VPN) est interdite, tout comme l’utilisation de clés USB. Le 1er janvier, dans la ville de Birjand (la province de Khorasan, au sud du pays), six cafés internet ont été fermés pour "non respect des mesures de sécurité et utilisation de logiciels de contournement de la censure". La police avait perquisitionné 43 établissements dans cette ville.
Dernière initiative de Téhéran pour contrôler les activités des internautes : le 7 mars 2012, l'ayatollah Ali Khamenei a ordonné la création du Conseil suprême du cyberespace chargé de surveiller Internet. Il sera dirigé par le président Mahmoud Ahmadinejad et composé de hautes personnalités militaires et politiques, dont le président du Parlement, le chef du système judiciaire, les ministres de la culture et du renseignement, le commandant des Gardiens de la révolution ainsi que plusieurs experts d'Internet.
La diabolisation des réseaux sociaux
Le régime poursuit sa diabolisation des nouveaux médias, les accusant de servir les intérêts étrangers, et d’être des “moyens de subversion”. Le 29 juillet 2011, le ministre des Renseignements, Heydar Moslehi, a souligné la “vulnérabilité de la société face aux réseaux sociaux, introduits dans le pays par l’ennemi”. Deux jours plus tôt, le ministre de l’Intérieur, Mostafa Najar, avait déclaré que “les satellites et Facebook sont les moyens électroniques d’une ‘guerre douce’ des Occidentaux pour provoquer l’effondrement de la famille iranienne”.
L’annonce par les Etats-Unis, en juin 2011, du développement d’un “
Internet fantôme”, ou “Internet dans une valise”, pour permettre aux citoyens du monde entier d’avoir accès au Web, même en cas de coupure du réseau par les gouvernements, a provoqué le durcissement de la position de l’Iran, qui avait immédiatement réagi à l’annonce américaine, affirmant avoir les moyens de contrer cette avancée technologique.
La cybercensure avance à grands pas
La cybercensure constitue un investissement primordial pour le régime (lire le chapitre
Iran du rapport 2011 sur les Ennemis d’Internet pour plus d’informations sur le sujet). Les améliorations techniques constatées ces derniers mois en sont la preuve. La surveillance devient de plus en plus pointue, elle avance d’ordinateur en ordinateur. Les censeurs sont capables de corréler un email suspect avec l’adresse IP de l’envoyeur. De nombreux dissidents sont très au fait des précautions à prendre en ligne, mais la moindre erreur ou baisse de vigilance peut être fatale.
En août 2011, des
utilisateurs de Gmail ont été victimes d’intrusion de type man-in-the-middle (ce type d’attaque a pour but d’
intercepter les communications entre deux parties sans qu’elles s’en rendent compte) via un certificat de sécurité Internet falsifié, délivré originellement par la compagnie néerlandaise DigiNotar, qui l’a finalement annulé. Selon la société de sécurité informatique F-Secure, citée par l’Agence France-Presse, “il est probable que le gouvernement iranien utilise ces techniques pour surveiller des dissidents”.
Les coupures de connexion ou ralentissements de bande passante, destinées à gêner les communications, sont devenues routinières en périodes de tension. Elles sont de plus en plus ajustées aux événements, les autorités parvenant à cibler les villes ou quartiers à déconnecter.
En février 2012, les censeurs ont réussi à bloquer pendant plusieurs jours l’accès au protocole sécurisé https, qui chiffre les communications, privant de fait des millions d’Iraniens d’accès à leur compte email Gmail et Yahoo. Les ports utilisés par les VPN ont également été bloqués, handicapant les nombreux Iraniens utilisant ces outils de contournement de la censure. Le réseau Tor est, lui aussi, très difficile d’accès.
La collaboration d’entreprises occidentales
La répression orchestrée par le régime de Téhéran s’appuie sur l’aide apportée par des sociétés étrangères, notamment occidentales. Malgré les sanctions adoptées par les instances européennes et américaines à l’encontre de l’Iran,
Reporters sans frontières s’étonne que le régime puisse contourner ces mesures avec les “sociétés-écrans” qu’il a créées. Une révision des règles qui gouvernent l’exportation de matériels utilisés à des fins de censure et de surveillance s’impose. Les procédures de traçage du matériel et des logiciels concernés doivent être renforcées, afin d’éviter que des produits "interdits" ne se retrouvent entre les mains de dictateurs, via un pays tiers ou une société obscure.
D’après l’agence
Bloomberg, la société israélienne Allot, spécialisée en sécurité informatique, a vendu pendant des années des logiciels de surveillance et de géolocalisation des utilisateurs du net et de téléphones portables à une compagnie danoise, RanTek, qui les réexpédiait ensuite en Iran. Une société irlandaise, AdaptiveMobile Security, vient d’annoncer l’arrêt de la vente de ses systèmes de filtrage et de blocage des SMS au régime iranien.
L’Internet national, souvent annoncé, toujours repoussé à une date ultérieure...
Le blocage du protocole https a été interprété comme une répétition générale avant le lancement de l’Internet national, coupé du World Wide Web, et annoncé déjà au printemps 2011.
Pourtant, les internautes qui, pour l’occasion, ont utilisé les boîtes emails iraniennes ne semblent pas avoir été convaincus de la qualité du service. Les censeurs auraient-ils encore fort à faire ?
Dans les faits, les Iraniens qui n’arrivent pas ou n’osent pas contourner les filtres des censeurs sont de fait condamnés à consulter une version du Web autorisée par le régime, donc nettoyée de critiques politiques, sociales ou religieuses. L’Internet national est déjà depuis des années une réalité, l’annonce de son lancement appartient davantage à une logique politique et nationaliste.
Début juillet 2011, le ministre des Communications et des Technologies de l’information, Reza Taqipour Anvari, a annoncé le
lancement de la première étape de “l’Internet national”, aussi appelé “Web propre”. Lors de cette première phase, le ministre a affirmé que les consommateurs auraient accès d’abord à un haut débit de 8 Mo, puis de 20 Mo. L’Iran devrait également lancer son propre moteur de recherche, “Ya Haq”. Le ministre rappelle que le projet a pour but de “mieux gérer les emails nationaux, la collecte des informations à l’intérieur du pays, et d’améliorer la sécurité”. La surveillance des boîtes mail des dissidents n’en sera donc qu’accrue.
Le pays peut-il se permettre de mener un tel projet ? Outre les coûts de développement et de fonctionnement induits, l’Iran a besoin, pour ses transactions économiques et financières, de rester connecté avec l’Internet mondial. On se souvient des 90 millions de dollars que cinq jours de coupure Internet avaient coûté à l’Egypte en février et mars 2011. Le régime s’oriente-t-il vers un Internet à deux vitesses, avec d’un côté un accès au World Wide Web pour le gouvernement, les leaders religieux, les Gardiens de la Révolution et les grandes entreprises, et de l’autre côté l’immense majorité de la population qui devrait se cantonner à un Intranet censuré ? Dans ce cas, les autorités se rendraient coupables de grave discrimination à l’encontre des Iraniens, d’un véritable apartheid digital.