Enquête RSF : sur les traces des journalistes disparus de Melitopol

Un an après une rafle de l’occupant russe à Melitopol au sud de l’Ukraine, ayant conduit à l’arrestation de plusieurs journalistes et contributeurs de chaînes d’information diffusant sur Telegram, Reporters sans frontières (RSF) a enquêté sur leur sort. L’organisation a retrouvé la trace de plusieurs d’entre eux dans les geôles russes. 

À Melitopol, le 20 août 2023 marque un tournant dans l’histoire de l’occupation de la ville. À l’aube, au moins 4 journalistes et contributeurs de la chaîne Telegram sont arrêtés par des hommes en tenues militaires comme l’a documenté RSF. Puis, le silence, pendant des semaines… Si leur arrestation est finalement confirmée en octobre par des vidéos de propagande où les journalistes sont contraints de verbaliser des aveux factices, depuis, aucune information n’a filtré sur eux. La Russie les maintient à l’écart du droit, les déplace de prison en prison, dans une situation qui relève davantage de la disparition que de la détention. RSF a enquêté et retracé leurs parcours.

Jusqu’à cette rafle, Melitopol, était le théâtre d’une résistance farouche à l’invasion russe. Rapidement conquise après l’invasion à grande échelle de la Russie déclenchée le 24 février 2022, la “capitale des cerises”, comme elle est surnommée en Ukraine, voit défiler dans ses rues des manifestants hostiles à l’occupation et sur Internet des informations sur les conséquences de la guerre sous le joug russe. La répression s’intensifie. Le maire est arrêté dès mars 2022, puis plusieurs journalistes à l’été 2023. Parallèlement, le centre Mediatopol, une école de propagande pour former au maniement des caméras et des micros, est lancé comme l’avait révélé RSF.

Depuis, une chape de plomb s’est abattue sur l’information à Melitopol. Le journalisme semble orphelin de ses derniers praticiens… Les informations y arrivent au compte-gouttes. Et pour ceux qui tentent de joindre l’Ukraine libre, le risque est grand. “Un seul coup de fil peut ruiner votre vie”, résume un reporter à la retraite rencontré à Zaporijjia, où l'administration de Melitopol a été délocalisée. 

“Répression des journalistes et propagande, la Russie exporte dans les territoires occupés sa politique de prédation de l’information, déjà à l'œuvre chez elle. À Melitopol, ils sont nombreux à avoir été victimes de cette chasse aux journalistes. RSF documente ces parcours de captivité qui constituent autant de crimes de guerre et se mobilise pour obtenir leur libération.

Arnaud Froger
Responsable du bureau investigation de RSF

Quatre journalistes détenus, un autre fait esclave

Le premier à avoir été arrêté le 20 août 2023 est l’administrateur de la chaîne Telegram Ria-Melitopol, un média local qui compte plus de 80 000 abonnés. Heorhiy Levtchenko est fait prisonnier avant l’aube, sans doute vers 4h du matin comme le montre les images nocturnes de son arrestation. Les Russes ont tout filmé. La vidéo sortira deux mois plus tard et sera diffusée sur Channel one Russia, la première chaîne de propagande du Kremlin. Sous la contrainte, le journaliste y apparaît repenti et apeuré dans sa cellule, très probablement encore à Melitopol. Dans un communiqué daté du 27 octobre 2023, le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB) accuse le journaliste d’avoir transmis des informations sur les militaires russes aux services de renseignement ukrainiens.

A-t-il été transféré dans le centre de détention préventive de Marioupol, ville portuaire du sud-est de l’Ukraine, théâtre de l’une des plus importantes batailles depuis le déclenchement de la guerre ? C’est ce que plusieurs sources ont indiqué à RSF, sans que cela puisse être confirmé.

Dans cette prison, RSF a toutefois retrouvé deux contributeurs de la chaîne Telegram Melitopol tse Ukraina (“Melitopol est l’Ukraine”), qui diffusait des informations locales pendant l’occupation : Yana Souvorova, administratrice de la chaîne, et son collègue Vladyslav Hershon. Également arrêtés à l’aube le 20 août 2023, ils ont été filmés pour un “reportage”. Même mode opératoire : arrestation, interrogatoire et aveux forcés diffusés sur la première chaîne de Russie.

Dans un document du FSB consulté par RSF, les deux journalistes sont accusés d’avoir “eu l’intention de participer à des opérations de sabotage et de terrorisme” dans la région de Zaporijjia, en lien avec des agents du renseignement militaire ukrainiens. Des accusations qui ne reposent sur aucun élément tangible dans le document.  

Selon les informations récoltées par RSF, les journalistes ont été transférés dans plusieurs lieux de détention, parfois improvisés, avant d’atterrir à Marioupol. Ils ont parfois côtoyé des prisonniers russes multirécidivistes, ou se sont retrouvés dans des cellules tellement surpeuplées que certains étaient obligés de dormir debout.

Anastasia Hloukhovska a suivi le même chemin de croix. Journaliste pour Ria-Melitopol, elle avait pourtant choisi de mettre ses activités en pause depuis l’invasion. Arrêtée dans la vague du 20 août 2023, elle a d’abord été détenue dans un magasin de bricolage de Melitopol, transformé en prison de fortune par les Russes, avant d’être transférée dans le centre de détention préventive de Priazovske, un village situé à 30 km. À l’instar de ses collègues, elle est accusée de “terrorisme”. Selon les informations obtenues par RSF, elle serait désormais détenue dans la région de Rostov au sud-ouest de la Russie. 

En enquêtant sur les journalistes disparus de Melitopol, RSF a découvert l’existence d’Yevhenii Ilchenko, un homme qui avait décidé de lancer sa propre chaîne Telegram pour témoigner de l’occupation de sa ville par les Russes. Arrêté, il a ensuite été réduit en esclavage, soumis à du travail forcé. Ses geôliers l’ont contraint à creuser leurs propres tranchées, comme l’a révélé RSF.

 

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