La présidentielle azerbaïdjanaise se déroulera le 7 février 2024 sans grand suspense quant à la réélection du leader Ilham Aliev, qui purge l’espace public de toutes les voix dissidentes. Reporters sans frontières (RSF) dénonce la vague d’arrestations de journalistes débutée le 20 novembre et appelle les États de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui s’apprête à observer l’élection, à réagir fortement à cette escalade.

À l’approche de l’élection présidentielle, huit professionnels des médias ont été placés en détention provisoire en Azerbaïdjan, dont cinq collaborateurs du site d’investigation Abzas Media, qui publie notamment des enquêtes sur la corruption des élites. Cette traque aux journalistes intervient peu après la fin de l’opération militaire ayant abouti à la reprise en main du Haut-Karabakh, territoire azerbaïdjanais séparatiste peuplé d’Arméniens, contraints de fuir en Arménie.

“Censée marquer le début d’une “nouvelle ère” pour le régime d’Ilham Aliev après sa victoire militaire sur le Haut-Karabakh, cette présidentielle anticipée révèle la crispation d’un pouvoir dynastique. Inquiet d’avoir perdu l’élément mobilisateur de la guerre, Ilham Aliev tente de museler les rares médias indépendants opérant encore en Azerbaïdjan, dont les publications sont susceptibles d’égratigner sa légitimité. RSF exhorte les États de l’OSCE à résister aux pressions économiques et manipulations du régime azéri, pour dénoncer de manière forte cette volonté d'éradiquer l’accès à une information fiable.

Jeanne Cavelier
Responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale

Préoccupée, entre autres, par le niveau élevé de harcèlement visant les journalistes”, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a déjà décidé de suspendre les activités de la délégation azerbaïdjanaise pour un an à partir du 24 janvier 2024 et proposé une nouvelle résolution. Celle-ci vise à rappeler les États membres à leur obligation “d’établir un cadre juridique solide pour veiller au pluralisme des médias et pour que les journalistes et autres acteurs des médias travaillent en toute sécurité”. La délégation azerbaïdjanaise a accusé en retour l’APCE d'azerbaïdjanophobie et d'islamophobie.

Vague d’arrestations, maltraitance pénitentiaire et mesures de rétorsion

Premier média visé, Abzas Media compte cinq collaborateurs en prison. Son directeur, Ulvi Hasanli, et sa rédactrice en chef, Sevinj Vagifgizi, n’ont toujours aucun contact avec leurs proches. La journaliste Nargiz Absalamova, qui souffre d’un accès restreint aux soins et à l’eau chaude, décrit des conditions d’hygiène précaires. Sa collègue Elnara Gasimova, arrêtée le 13 janvier, a été amenée au tribunal menottée dans le dos, puis a été interdite de passer aux toilettes avant l’audience pour son placement en détention provisoire. Le directeur adjoint Mahammad Kekalov a quant à lui disparu pendant près de trois jours après avoir été raflé par des policiers en civil, le 27 novembre, soulevant des inquiétudes quant à de possibles actes de torture. 

Des journalistes d’autres médias ont également été touchés par cette traque pré-électorale. C’est le cas d’Hafiz Babali, du service économique de l’agence de presse indépendante Turan Agentliyi, dont l’un des fils a été évincé de la banque pour laquelle il devait commencer à travailler au 1er janvier. Comme elles l’ont fait pour les journalistes d’Abzas Media, les autorités ont gelé les comptes bancaires de deux autres détenus, le directeur de la chaîne YouTube d’information Kanal 13, Aziz Orujov et un journaliste collaborant avec cette chaîne, Shamo Eminov. Elles ont également bloqué les cartes et suspendu le versement des retraites des membres de leurs familles. Deux autres journalistes arrêtés, Rufat Muradli de Kanal-13 et Shahin Rzayev de JAMnews, site d’information sur le Caucase du Sud, ont finalement été relâchés, après avoir purgé sa peine d’un mois de prison pour le premier, et après une nuit passée au poste et payé une amende pour le second. 

Stratégie d’étouffement de la presse indépendante

Accusés de “contrebande de devises étrangères” – en clair d’avoir reçu des subventions d’organisations étrangères – l’ensemble des journalistes en détention risquent huit ans de prison. Depuis 2014, la collaboration avec des donateurs internationaux est interdite. Puisque le gouvernement contrôle le secteur de la publicité, aucun média indépendant ne peut prospérer dans le pays, alors que les médias pro-gouvernementaux reçoivent, eux, des gratifications en espèces et des subventions officielles. 

Afin de poursuivre leurs enquêtes en cas d’arrestations, la rédaction d’Abzas Media avait transmis ses informations au réseau de journalistes Forbidden Stories, qui les a publiées fin janvier.

Le pays est dirigé d’une main de fer par la dynastie Aliev depuis 1993. Succédant à son père en 2003, Ilham Aliev a fait de la répression de la presse indépendante un marqueur de son régime. Les médias indépendants avaient également subi une vague d’arrestations avant la dernière élection présidentielle, en 2018. La nouvelle loi sur les médias entrée en vigueur en février 2022, qui contrevient aux engagements internationaux de l’Azerbaïdjan, entrave encore davantage le travail des journalistes.

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