RSF demande une enquête internationale sur la mort du photographe birman Aye Kyaw, tué en détention

Reporters sans frontières (RSF) a retracé le fil des événements qui ont conduit au décès tragique du photographe - le quatrième journaliste tué par la junte depuis sa prise de pouvoir il y a un an et demi. Face aux nombreuses zones d’ombres qui persistent, l’organisation demande aux représentants des Nations unies de s'emparer de ce cas précis pour demander des comptes à la junte au pouvoir. 

 

C’est vers deux heures du matin, le 30 juillet dernier, que le photographe Aye Kyaw est réveillé à son domicile de Sagaing, dans le centre de la Birmanie. Six véhicules militaires sont garés devant chez lui. Des groupes de soldats en descendent pour enfoncer sa porte et perquisitionner son appartement, avant d’arrêter le photographe.

Quelques heures plus tard, vers midi, un membre de sa famille est contacté par un responsable du conseil de quartier d’Aung Chanthar, où habitait Aye Kyaw. Il est déclaré mort, et son corps a été admis à la morgue de l'hôpital municipal de Sagaing.

“Près de deux semaines après la disparition tragique d’Aye Kyaw, de nombreuses zones d’ombre persistent quant à son décès, remarque le directeur du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. Or, à ce stade de l’enquête, la hiérarchie militaire birmane est la seule à pouvoir fournir des informations quant aux conditions de cette mort, ce qu’elle refuse. RSF en appelle au rapporteur spécial des Nations unies sur la Birmanie, Tom Andrews, ainsi qu’à sa collègue chargées des cas de torture, Alice Jill Edwards, afin qu’ils demandent des comptes au chef de la junte birmane, Min Aung Hlaing, sur ce cas précis.” 

 

RSF a réuni un maximum d’éléments pour tenter de comprendre ce qu’il s’est passé entre l’arrestation d’Aye Kyaw et son décès. Son interpellation, d’abord : les militaires seraient venus perquisitionner son domicile au motif que le photographe détenait des armes. Une version remise en cause par un voisin qui, sous couvert d’anonymat, a affirmé qu’aucune arme ni matériel suspect n’avait été retrouvé dans l’appartement. 

Peur de représailles

Contactée par RSF, la famille d’Aye Kyaw préfère, pour sa part, ne pas s’exprimer devant la presse, par peur de représailles de la part de l’armée birmane. Et pour cause : si le photographe a finalement été enterré le 31 juillet, les militaires ont formellement ordonné à ses proches de ne publier aucun contenu relatif à ses funérailles sur Facebook. 

Si les causes exactes du décès demeurent floues, un proche de la famille, cité par la section birmane de la radio états-unienne Radio Free Asia (RFA), affirme avoir remarqué de nombreuses ecchymoses au niveau des côtes et sur le dos du corps d’Aye Kyaw.

Surtout, un membre des services funéraires, qui a aidé à transporter son corps jusqu’à une enceinte religieuse du quartier d’Aung Chanthar, livre un témoignage glaçant sur l’état du corps du photographe : “Je n’ai pas noté de blessure superficielle, mais j’ai remarqué une large cicatrice sur sa poitrine, comme si elle avait été recousue de façon post-mortem.”  

Un interrogatoire qui a dérapé

Cette cicatrice recousue à la va-vite alimente la thèse d’un interrogatoire particulièrement violent, qui aurait mal tourné - et dont on aurait cherché à maquiller les traces. Un modus operandi qui rappelle le cas d’un autre photographe, Soe Naing, dont RSF avait révélé le décès en détention le 14 décembre dernier. Soe Naing avait succombé à ses blessures au bout de quatre jours d’interrogatoire. À l’époque, ses bourreaux avaient déjà tenté de maquiller leurs méfaits avant de déposer le corps sans vie du reporter devant un hôpital.

Le décès d’Aye Kyaw lève un voile sur les conditions extrêmes dans lesquelles travaillent les reporters qui sont restés en Birmanie malgré le coup d’État de février 2021. RSF a contacté Harry Maung, le directeur de l’Association d’assistance aux journalistes indépendants de Birmanie (AAMIJ), qui agit tant bien que mal sur le terrain pour venir en aide à ses consœurs et confrères.

“Les journalistes poursuivent leur travail, mais ils n’ont aucun moyen de se protéger, explique-t-il. En face, la junte a tous les moyens pour les inculper d’infractions criminelles. Or, il n’ont aucun droit à la défense. Et une fois qu’ils sont arrêtés, ils sont jetés en cellule après avoir dû subir d’horribles interrogatoires durant lesquels ils sont gravement torturés.” 

 

Aye Kyaw, lui, n’a pas survécu à son interrogatoire. Responsable du studio de photographie Hayman à Sagaing, il avait couvert de nombreuses manifestations anti-juntes et ses photos avaient été largement reprises sur les réseaux sociaux.

Après Soe Naing, et les reporters Sai Win Aung et Pu Tuidim, décédés respectivement en décembre et en janvier dernier, Aye Kyaw est le quatrième journaliste tué par la junte au pouvoir en Birmanie.   

Le pays se situe à la 176e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en mai 2022.

 

Image
Birmanie
171/ 180
٢٤٫٤١ :مجموع
Publié le