Egypte
L’Egypte a célébré le premier anniversaire de la révolution dans un climat d’incertitude et de tensions entre un pouvoir militaire critiqué, un mouvement contestataire à la recherche d’un nouveau souffle et des islamistes triomphants. Les blogueurs et net-citoyens critiques de l’armée ont subi pressions, menaces et parfois arrestations. Le blogueur Maikel Nabil Sanad a été le premier prisonnier de conscience de l’ère post-Moubarak.
Lire le chapitre Egypte du rapport 2011 sur les Ennemis d’Internet. Le Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui dirige le pays depuis le départ du pouvoir d’Hosni Moubarak en février 2011, tardant à passer le relais aux forces politiques nouvellement élues, n’a pas tenu ses promesses. Il a fallu attendre la veille des célébrations du 25 janvier 2012 pour voir l’état d’urgence, en vigueur depuis 1981, partiellement levé. Intouchable en Égypte, l’armée pratique toujours les mêmes méthodes de censure et d’intimidation. Le Conseil a non seulement perpétué les méthodes d’Hosni Moubarak pour contrôler l’information, mais les a renforcées. De nombreux journalistes et blogueurs cherchant à dénoncer les exactions commises par certains éléments de l’armée ou de la police militaire au cours du soulèvement pro-démocratique ont été poursuivis devant des juridictions militaires, parfois emprisonnés pendant des mois. Le CSFA a en effet affirmé qu’il n’aurait “aucune tolérance envers les insultes lancées contre (lui)”. C’est le cas à chaque élection, manifestation ou commémoration potentiellement sujets à des troubles. Agressions multiples, menaces de poursuites... Et encore des prisonniers politiques Cas emblématique, le blogueur Maikel Nabil Sanad a été le premier prisonnier politique de l’ère post-Moubarak. Cet objecteur de conscience a été condamné par une cour martiale à trois ans de prison, en avril 2011, pour “insulte à l’institution militaire”. Il lui était reproché d’avoir publié un rapport, sur son blog, remettant en cause l’apparente neutralité de l’armée lors des manifestations de janvier et février 2011. Détenu au secret, il a entamé une grève de la faim qui a fait craindre pour sa santé. Le juge avait même décidé de son placement en hôpital psychiatrique. Bénéficiant d’une amnistie accordée le 21 janvier dernier à près de 2 000 détenus, il a finalement été libéré le 24 janvier 2012, après dix mois de détention. A peine libéré, il contestait à nouveau la légitimité des forces armées et critiquait leur bilan, à la veille du premier anniversaire de la révolution égyptienne. Le journaliste australien Austin Mackell, qui relate dans ses articles et son blog, “The Moon under water”, les événements de la révolution en Egypte, a été arrêté alors qu’il couvrait un mouvement de grève, à Mahalla le 11 février 2012, date anniversaire du départ de l’ancien président Hosni Mubarak. Cette arrestation confirme la nervosité des autorités égyptiennes vis-à-vis des mouvements de grèves déclenchés il y a un an. Le pouvoir militaire, qui assure la transition depuis la chute de l’ancien raïs, redoute les effets de contagion de ces mouvements, alors que la colère monte dans les rues. La blogueuse Asmaa Mahfouz a également été interrogée et menacée de poursuites pour insultes à l’encontre du CSFA. L’armée a finalement fait marche arrière après une campagne en ligne très virulente qui fait dire aux internautes égyptiens qu’elle a été “relâchée grâce à un hashtag”. Le 15 mai 2011, la blogueuse Botheina Kamel a été convoquée devant la cour militaire, peu de temps après avoir critiqué l’institution dans une émission de la chaîne Nile TV. Le blogueur et activiste Alaa Abdel Fattah, incarcéré fin octobre 2011, pour avoir refusé de répondre aux accusations d’“incitation à la violence”, “vol d’arme”, “agression de militaires”, “destruction de biens militaires”, “meurtre avec préméditation” et “intention de commettre un acte terroriste” lors des manifestations de Maspero, a été inculpé, fin novembre, par la Haute Cour de sécurité nationale, puis libéré fin décembre 2011. Reporters sans frontières a demandé l’abandon des charges qui pèsent à son encontre. L’armée a montré qu’elle était encore capable de violences lors de ces affrontements qui ont opposé manifestants coptes et forces de l’ordre dans le quartier de Maspero au Caire : elle s’en est directement prise à des médias et des journalistes et est également intervenue pour couper temporairement l’électricité, les lignes de téléphone et la connexion Internet dans les bureaux du journal Al-Shorooq. Le 22 octobre 2011, Ayman Youssef Mansour a été condamné à trois ans de prison assortis de travaux forcés pour avoir “intentionnellement insulté, attaqué et tourné en ridicule la dignité de la religion islamique” sur Facebook. Le net-citoyen avait été arrêté en août dernier. Les agressions et mauvais traitements contre blogueurs et professionnels de l’information se sont multipliées. Parmi les blogueurs concernés : Mona El-Tahawy, Maged Butter, ou Malek Mostafa, qui a perdu un oeil lors du “nettoyage” de la place Tahrir fin novembre 2011. Le CSFA continuerait de jouer avec la vitesse de la bande passante ? A la fin du mois de novembre 2011, alors que le pays connaissait un nouvel épisode révolutionnaire à l’approche des élections parlementaires, plusieurs sources indépendantes ont signalé à Reporters sans frontières un ralentissement de la vitesse de connexion à plusieurs reprises, et ce, au moment des manifestations. L’accès à Internet depuis les téléphones portables Vodafone et autres appareils numériques aurait également été restreint. L’armée aurait-elle donné son feu vert pour la suspension d’Internet au plus fort de la révolution ? Le maréchal Tantaoui a été accusé par l’ancien président Hosni Moubarak d'avoir été impliqué dans cette décision, ce que le CSFA aurait démenti. Justice pour Khaled Saïd ? Le procès des policiers Mahmoud Salah Amin et Awad Ismaïl Souleimane, meurtriers présumés du blogueur égyptien Khaled Saïd, assassiné le 6 juin 2010, devant un cybercafé d’Alexandrie, s’est soldé par leur condamnation à sept ans de prison chacun. Selon le rapport médical, le net-citoyen aurait bien été battu à mort, avant d’être asphyxié, contredisant la thèse des deux suspects qui prétendaient que le jeune homme était mort en ingérant volontairement de la drogue lors de son arrestation. Le verdict a été jugé trop clément par de nombreux net-citoyens. La mort de Khaled Said avait provoqué de vives réactions parmi la blogosphère égyptienne et il était devenu l’un des symboles de la Révolution, autour de la page Facebook “We are all Khaled Said”. La blogosphère reste mobilisée La société égyptienne reste divisée, entre ceux qui pensent que la révolution est terminée, ceux qui souhaitent poursuivre la lutte pour la démocratie et les plus nombreux, les indécis. Dans un pays qui connaît une transition difficile, la majorité des blogueurs n’a pas l’intention d’abandonner les claviers. Ils se disent déterminés à poursuivre leur “mission d’information” face aux défis qui attendent l’Egypte, en particulier en vue des élections présidentielles qui doivent se tenir d’ici fin juin 2012.