Enquête exclusive de RSF sur la mort de Maks Levin : “les informations et preuves collectées indiquent que ce journaliste ukrainien a été exécuté"
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Au terme d’une mission d’enquête menée en Ukraine du 24 mai au 3 juin, Reporters sans frontières (RSF) publie un rapport qui rassemble des informations et des preuves matérielles attestant que le photoreporter Maks Levin et son accompagnateur ont été froidement exécutés et peut-être préalablement interrogés, voire torturés par des soldats russes le 13 mars 2022.
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L’odeur de brûlé est tenace à Moshchun. Situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Kyiv, le village a été massivement bombardé début mars, lorsque les Russes ont tenté de s'emparer de la capitale ukrainienne. Une maison sur deux y a été détruite, le sol est encore jonché de débris de blindés et les quelques habitants restés pendant l’occupation sont encore traumatisés. C’est dans la forêt à la lisière de cette localité que les corps du journaliste ukrainien Maks Levin et de son accompagnateur, ami, et soldat Oleksiy Chernyshov, ont été retrouvés le 1er avril 2022. Les deux hommes avaient été tués le 13 mars.
Du 24 mai au 3 juin, RSF a dépêché des enquêteurs sur place pour collecter des preuves et relever des indices. L’équipe était composée du responsable du desk investigation de l’organisation, Arnaud Froger, et du photoreporter de guerre Patrick Chauvel, qui avait travaillé avec Maks Levin pendant quelques jours dans le Donbass fin février. Selon leurs constatations, le journaliste ukrainien et son accompagnateur ont été froidement exécutés. Les preuves contre les militaires russes sont accablantes. Elles sont récapitulées dans un rapport intitulé : Mort du journaliste ukrainien Maks Levin : les preuves d’une exécution par les forces russes, rendu public ce 22 juin 2022. L’équipe d’enquête a également obtenu des éléments qui permettent de reconstituer les faits.
Lorsque la guerre éclate le 24 février, le journaliste indépendant, collaborateur régulier du site d’information très réputé en Ukraine LB.ua et de l’agence de presse Reuters, prend contact avec un groupe de soldats qu’il connaît depuis sa couverture du conflit dans le Donbass en 2014. Photoreporter aguerri de 40 ans, Maks Levin souhaite couvrir cette guerre au plus près de ceux qui la font. Et surtout de ceux qui la subissent.
“Il roulait très vite sur les routes défoncées qui longeaient le front, là où les soldats ukrainiens résistent à l’envahisseur russe. Il était dans l’urgence de trouver une vérité, la première victime des guerres.
Le 13 mars 2022, Maks retourne dans la forêt de Moshchun, trois jours après y avoir perdu le drone qu’il utilise pour filmer le conflit. Les Russes occupent déjà une partie de ces bois. Le terrain est hostile mais le journaliste est certain que les dernières images prises avec son appareil sont très importantes. Il souhaite à tout prix le récupérer. Il n’y parviendra pas.
Le 24 mai, lorsque RSF arrive en Ukraine pour enquêter, la forêt n’est plus occupée depuis le retrait des troupes russes de la région début avril. Mais la zone reste dangereuse. Les Russes y ont laissé des pièges et des engins explosifs. Accompagnée par des éléments des forces de sécurité, RSF parvient à retrouver la scène du crime. La Ford Maverick calcinée du journaliste s’y trouve toujours. Sur place, les recherches permettent de récupérer plusieurs balles, les papiers d’identité d’Oleksiy Chernyshov, le soldat qui accompagnait le journaliste, et de constater 14 impacts sur la carcasse du véhicule. Plusieurs éléments matériels avec de possibles traces ADN attestant de la présence des soldats russes tout près du lieu où le reporter et son accompagnateur ont été tués sont également repérés et en partie collectés. Une ultime phase de recherche initiée par RSF avec des détecteurs de métaux permettra également de retrouver une autre balle qui a très probablement touché le journaliste.
Les résultats préliminaires du rapport d’enquête de RSF font état des différentes informations, photos, témoignages et preuves matérielles obtenues. Sans pouvoir répondre à toutes les questions, encore nombreuses à ce stade, la confrontation de l’ensemble de ces éléments permet d’établir deux hypothèses. Détaillés dans le rapport, ces deux scénarios constituent des pistes de travail pour tenter de reconstituer le déroulé des événements, contribuer à la manifestation de la vérité, et amener un jour, nous l'espérons, à l’identification des auteurs de ce double meurtre.
“L’analyse des photos de la scène de crime, les constatations effectuées sur place et les preuves matérielles récupérées pointent clairement vers une exécution qui a pu être précédée d’un interrogatoire voire d’actes de torture. Dans un contexte de guerre fortement marqué par la propagande et la censure du Kremlin, Maks Levin et son ami ont payé de leur vie leur combat pour une information fiable. Nous leur devons la vérité. Et nous nous battrons pour identifier et retrouver ceux qui les ont exécutés.
“Malgré les risques, Maks est allé dans cette forêt pour tenter de récupérer son drone, la preuve par les images. Son exécution par les soldats russes est un crime contre la liberté d’expression. Cette vérité là ne se dérobera pas et l’enquête de RSF sera mise au service de tes valeurs, Maks. Ça, c’est une promesse que je te fais !
Au cours de sa mission, RSF a été reçue par le procureur général adjoint, la responsable du département des enquêtes pour les crimes commis contre les médias, et le responsable du bureau du procureur régional de Kyiv. Ces échanges ont conduit à l’audition d’Arnaud Froger comme témoin dans l’enquête ouverte sur le meurtre de Maks Levin. Cette audition menée par les services de sécurité en charge de l’enquête (SBU) s’est déroulée le 1er juin 2022 dans la capitale ukrainienne. À cette occasion, RSF a également remis neuf preuves matérielles collectées sur le terrain ainsi qu’une clé USB contenant plusieurs dizaines de photos prises par Patrick Chauvel sur la scène du crime.
Maks Levin est l’un des huit journalistes tués dans l’exercice de ses fonctions depuis le début de la guerre en Ukraine. La dernière victime est un journaliste reporter d’images français de BFM TV Frédéric Leclerc-Imhoff, tué par un éclat d’obus tiré par les forces russes le 30 mai 2022.