Rapport sur les médias russes en exil : RSF appelle à un soutien accru face à une répression numérique sans précédent

Face à un projet massif de censure numérique piloté par le Kremlin, financé à hauteur de 630 millions d’euros selon le dernier rapport de The Fix et du JX Fund, les médias russes indépendants en exil forment une ligne de défense essentielle contre la propagande sur Internet. Reporters sans frontières (RSF) exhorte les États européens, les donateurs internationaux et les géants de la tech à intensifier leur appui à ces médias confrontés à une répression sans précédent et à des défis logistiques, financiers et sécuritaires majeurs. 

Censure ciblée de l’information par intelligence artificiellerépression du journalisme indépendant, blocage accru des VPN (ou réseau privé virtuel), ralentissement de plateformes internationales comme YouTube et Telegram... Le Kremlin a prévu en 2024 d’investir plus de 660 millions de dollars (soit près de 630 millions d’euros) sur cinq ans dans une infrastructure de contrôle numérique visant à isoler les citoyens russes de toute information indépendante – soit un budget près de 50 fois plus élevé que celui des médias russes en exil. C’est ce que révèle le dernier rapport sur l’état de ces médias indépendants publié par le groupe de réflexion pour professionnels des médias The Fix et le JX Fund, fonds de soutien pour le journalisme en exil créé par RSF avec deux fondations allemandes, Rudolf Augstein et Schöpflin. 

Rôle crucial des médias en exil

“Ce que construit la Russie n’est pas seulement une machine de censure nationale, c’est un laboratoire de répression numérique destiné à devenir un modèle mondial. Les médias indépendants russes en exil sont la dernière ligne de défense contre ce système de propagande du Kremlin. Les abandonner face à des outils de répression toujours plus sophistiqués, c’est risquer un black-out informationnel sans précédent. RSF appelle les États européens à soutenir financièrement et logistiquement ces médias, les donateurs internationaux à renforcer leur appui, et les géants de la tech à cesser de céder aux pressions du Kremlin et à garantir un accès équitable à leurs plateformes.

Jeanne Cavelier
Responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale

La Russie domine le tableau mondial des pays envoyant le plus de demandes de suppression de contenu aux plateformes internationales comme Google ou Tiktok, justifiées par les autorités par des préoccupations de “sécurité nationale”. Or, les médias ciblés par cette censure informent par exemple sur le nombre de victimes russes dans la guerre, les crimes de guerre commis par les forces armées russes en Ukraine occupée, des opérations des services de renseignement russes ou encore des opérations de désinformation du Kremlin.

Outils innovants pour contourner la censure

Face à ces moyens de répression de plus ou plus sophistiqués, plus d’un tiers de la population russe utilise des VPN. La Russie est le pays qui compte le plus grand nombre d’utilisateurs de cette technologie de contournement des blocages d’Internet, selon les derniers chiffres disponibles compilés par les auteurs du rapport. Au-delà des VPN et malgré des moyens limités, les 66 médias indépendants russes en exil interrogés innovent pour atteindre leur public en Russie : Magic Links (une solution qui génère un lien alternatif raccourci vers des articles), extensions de navigateur, copies PDF d’articles, “gamification” de récits via des jeux en ligne… Ces efforts leur permettent d’accroître leur audience malgré la censure. Ils ont cumulé au total près de 32 millions de visites sur leurs sites en juillet 2024, selon le rapport. 

Mais cette résilience remarquable se trouve fragilisée par la multiplication des difficultés liées à l’exil sur les plans sécuritaire, financier et logistique. La transition s’est révélée coûteuse et complexe, notamment pour les organisations de presse de taille moyenne. Comme révélé lors du précédent rapport de The Fix et du JX Fund publié en 2023, les médias ont dû s'adapter à une dépendance accrue aux dons, leurs revenus publicitaires russes ayant quasiment disparu. Malgré des progrès en 2024 dans la gestion commerciale et éditoriale, les dépenses restent concentrées sur les postes de journalistes au détriment d'autres métiers clés pour leur pérennité. 

Soutien de RSF

RSF accompagne les journalistes et les médias russes en exil via son service d’assistance et via le JX Fund, fonds de soutien pour le journalisme en exil. L’organisation les aide aussi à contourner la censure, avec l’opération Collateral Freedom qui permet de rendre accessibles des sites bloqués et via le bouquet satellitaire Svoboda qui diffuse des chaînes radio et TV russophones indépendantes. RSF plaide également auprès des plateformes internationales qui se plient à la censure russe : Apple a récemment désactivé l’accès à des podcasts de la chaîne britannique d’informations internationales BBC en russe, du média d’investigation russe The Insider et de la radio Écho de Moscou, et supprimé de l’App Store les applications de trois chaînes de la filiale russe du média américain Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL). 

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