Depuis la révolution de 2011 qui a poussé le président Ben Ali hors du pays, la Tunisie connaît une transition démocratique à rebondissements. Le coup de force du président Kaïs Saïed, en juillet 2021, fait craindre un recul de la liberté de la presse.
Paysage médiatique
Depuis la révolution de 2011, le paysage médiatique s'est considérablement diversifié. Mais la crise économique a fragilisé l’indépendance de nombreuses rédactions, dominées par des intérêts politiques ou économiques, et a mis à mal ce pluralisme naissant. La télévision est le média le plus suivi, notamment les chaînes publiques Al Wataniya 1 et 2, devant la radio, dont la principale est Mosaïque FM. La presse en ligne est très suivie, alors que la presse papier est en perte de vitesse.
Contexte politique
La crise politique qui secoue le pays et l’engagement ambigu de Kaïs Saïed pour la liberté de la presse ont d’importantes répercussions. Depuis son arrivée au pouvoir en octobre 2019, le palais de Carthage ne reçoit plus les journalistes malgré les protestations du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT). L’interdiction de cumuler des responsabilités politiques et de posséder un média, émise par la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA), est ignorée par nombre de patrons de presse.
Cadre légal
L’amendement constitutionnel de juillet 2022, dotant le président de larges pouvoirs législatifs au détriment des contre-pouvoirs qui existaient jusque-là, a mis en péril la séparation des pouvoirs et fait peser une lourde menace sur les acquis de la révolution tunisienne en matière de liberté de la presse. L’affaiblissement de l’indépendance du pouvoir judiciaire fait craindre que son interprétation des restrictions en serve des intérêts politiques sous couvert de prétendus impératifs sécuritaires. En outre, la justice tunisienne continue de se baser sur des textes hérités de l’ère Ben Ali, au lieu de s’appuyer sur les décrets-lois de 2011 plus favorables à la liberté de la presse et de l’information. Dans ce contexte de détérioration de l’environnement politique, le décret-loi 54 de septembre 2022, censé lutter contre les “fausses informations”, représente également une nouvelle menace pour la liberté de la presse dans le pays.
Contexte économique
Les médias sont tributaires des annonceurs privés, qui détiennent parfois des parts dans leur capital et peuvent être proches du milieu politique. Ce contexte menace l’indépendance éditoriale des rédactions. Leurs revenus publicitaires dépendent également de leur audience, dont le calcul est peu encadré et fortement contesté. Le marché publicitaire des médias audiovisuels a connu une importante évolution à partir de 2014, avec l'accroissement de l'investissement dans la publicité politique. Enfin, le modèle économique des médias écrits, basé sur les abonnements, la publicité et les ventes, est en perte de vitesse en raison de la baisse de ces dernières et du rétrécissement du marché publicitaire.
Contexte socioculturel
Les réseaux sociaux sont régulièrement utilisés par les partis politiques pour lancer des campagnes de désinformation, décrédibiliser la presse, et instiller méfiance et confusion chez les électeurs. Les violences verbales des leaders politiques à l’endroit des médias se sont multipliées ces dernières années.
Sécurité
Les intimidations envers les journalistes se banalisent, et les reporters sont également confrontés à la violence des manifestants tunisiens. Un nouveau cap a tout d’abord été franchi le 14 janvier 2022, lorsque le correspondant de plusieurs médias internationaux a été passé à tabac et qu’une dizaine d’autres journalistes ont été brutalisés alors qu’ils couvraient une manifestation. Les journalistes font également l’objet de détention, à l’instar du directeur de la radio Mosaïque FM, Noureddine Boutar, et du journaliste Khalifa Guesmi, condamné à 5 ans de prison ferme pour avoir refusé de livrer à la police ses sources concernant une opération antiterroriste dans la région de Kairouan.