Comment la propagande russe usurpe l’identité de RSF pour tenter d'influencer le débat public

Depuis juillet 2024, Reporters Sans Frontières (RSF) est la cible d’une campagne de désinformation. Plusieurs vidéos circulant en ligne lui attribuent des propos, des informations ou des positions pro-russes que l’organisation n’a jamais tenus. Ces contenus utilisent la crédibilité de RSF pour manipuler l’opinion publique afin de légitimer le discours du Kremlin.

En un peu plus de six mois, RSF a identifié au moins six vidéos usurpant son identité et sa charte graphique. Les sujets des vidéos tournent presque tous autour de l’Ukraine. L’une d’elle, à partir de laquelle nous avions révélé en septembre 2024 le circuit de diffusion et la reprise de son contenu fallacieux par plusieurs membres des autorités russes, affirme ainsi que RSF aurait identifié “1 000 signes néo-nazis dans l’armée ukrainienne”. Une autre vidéo indique que RSF aurait recensé “4 300 cas de pression contre des journalistes en raison de leur couverture de l’Ukraine”. Ces narratifs, totalement faux, sont habituels de la désinformation russe sur l’Ukraine, dont la portée a été renforcée après l’invasion à grande échelle du 24 février 2022.

La seule vidéo qui n’aborde pas le sujet de l’Ukraine prétend que RSF aurait perdu son procès contre la plateforme X (ex-Twitter), alors que la procédure est toujours en cours. Cette plainte pénale, bien réelle, contre la société dirigée par Elon Musk, a justement été déposée par RSF en novembre 2024, en réaction à certaines de ces vidéos de propagande usurpant l’identité de notre organisation. 

“Six fausses vidéos en six mois : l’acharnement de la propagande russe est un témoignage de l’efficacité de RSF. Ces contenus mensongers et trompeurs, qui utilisent la réputation de RSF pour propager de fausses informations, illustrent non seulement les dangers de la désinformation russe, mais aussi les conséquences de l’inaction des plateformes comme X, l’ineffectivité de la lutte contre les ingérences informationnelles et la passivité dangereuse des médias d’information quand ils sont attaqués. Loin d’être anecdotiques, elles s’inscrivent dans une stratégie de manipulation massive visant à influencer l’opinion publique et légitimer le discours du Kremlin, notamment sur l’Ukraine. A qui profite le crime ? Au Kremlin et ses alliés.

Thibaut Bruttin
Directeur général de RSF

Bots et propagandistes

Si certaines de ces vidéos ont circulé à bas bruit, plusieurs ont été massivement diffusées sur des plateformes comme X et Telegram, cumulant parfois plusieurs centaines de milliers de vues. Sur X, certaines de ces vidéos ont été visionnées et partagées des centaines de fois en quelques instants seulement par des bots, créant ainsi une fausse impression de viralité et de crédibilité. Malgré les nombreux signalements effectués par RSF, le réseau social X n’a pas procédé à la suppression de ces contenus mensongers. Plusieurs mois après leur diffusion, ces vidéos continuent de circuler, preuve supplémentaire du manque de régulation des plateformes.

Pire encore, certains de ces contenus ont été repris au plus haut niveau de l’État russe. La porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a ainsi relayé le 28 août 2024 la prétendue étude de RSF sur les penchants nazis de militaires ukrainiens lors d’un point presse, donnant à cette fausse information une légitimité supplémentaire. 

Des campagnes de propagande russe organisées

Parallèlement, des influenceurs pro-russes sur Telegram participent à la diffusion de ces contenus. Dernier exemple en date : le canal “Ucraniando”, qui compte plus de 29 000 abonnés, a notamment contribué à diffuser une vidéo affirmant que RSF se réjouissait du gel des subventions octroyées par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Derrière ce compte, une femme se faisant appeler Lisa Vukovic partage du contenu sur l’Ukraine en reproduisant le narratif pro-russe à destination du public hispanophone. À peine une heure après sa publication, la vidéo est reprise sur la version espagnole du portail News Pravda, qui mentionne cette chaîne Telegram comme source. Ce site de propagande fait partie d’un vaste réseau structuré identifié par VIGINUM, l’agence française chargée de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères. Baptisé “Portal Kombat”, il compte 193 portails d’information et défend l’invasion russe en Ukraine.

VIGINUM a repéré une autre campagne, dans laquelle s’inscrit cette vague de désinformation contre RSF. Intitulée Matriochka, son mode opératoire implique la diffusion de faux contenus usurpant l’identité de médias principalement occidentaux, dont RSF. Considérée comme une ingérence numérique malveillante par l’agence, Matriochka témoigne de l’ampleur et du caractère structuré de ces campagnes d’ingérence, qui ne se limitent pas à RSF mais ciblent de nombreux médias et organisations à l’échelle internationale. Par l’usurpation d’identités crédibles et la diffusion massive de faux contenus, ces manœuvres cherchent à saper la confiance dans l’information et à remodeler la perception des événements au profit du narratif du Kremlin. 

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