Reporters sans frontières a réalisé un monitoring de la couverture par les médias publics de la campagne pour l'élection présidentielle du 23 décembre 2007. Islam Karimov (photo), l'autoritaire dirigeant du pays depuis 18 ans, a été réélu avec plus de 88 % des suffrages pour un nouveau septennat. L'organisation a également évalué la situation de la liberté de la presse dans le pays en rencontrant les derniers journalistes indépendants.
Sans autorisation officielle, Reporters sans frontières a séjourné pendant un mois en Ouzbékistan pour analyser la couverture par les médias publics de la campagne pour l'élection présidentielle du 23 décembre 2007.
“Sans surprise, le président Karimov a été omniprésent dans les médias publics pendant toute la durée de la campagne. Ce n'était jamais le candidat Karimov qui était présenté au public, mais bien le chef de l'Etat, avec ses “réussites” et ses “grands succès”. Le manque criant de pluralisme dans les médias ouzbeks a empêché la population d'avoir un accès correct à l'information”, a déclaré Reporters sans frontières.
“La liberté de la presse est réellement en péril en Ouzbékistan. La poignée de journalistes indépendants qui continuent de faire leur métier s'exposent à des représailles graves. Les médias étrangers ne sont pas libres de travailler dans le pays et doivent sans cesse ruser pour couvrir l'actualité ouzbèke”, a ajouté l'organisation.
Pendant quatre semaines, une équipe de Reporters sans frontières a décompté les temps d'antenne accordés aux quatre candidats en lice pour le scrutin. Les médias pris en compte dans ce travail étaient les trois principaux quotidiens officiels Halk Suzy, Narodnoe Slovo (La voix du Peuple), et Pravda Vostoka (La vérité de l'Orient), deux chaînes télévisées publiques, Uzbekistan et Yoshlar, ainsi que la station publique Radio Uzbekistan.
Si tous les candidats ont eu un accès équitable dans les émissions spéciales consacrées à la campagne - où Islam Karimov en tant que candidat a été le moins présent de tous, n'ayant pas souhaité se présenter à la population - il n'en a pas été de même dans les programmes d'informations. Le président Islam Karimov, à qui toutes les réussites du pays étaient imputées, a été sur-représenté dans les médias publics.
Dans les journaux d'information, il a bénéficié d'un temps d'antenne supérieur à celui de tous les autres candidats réunis. La chaîne Uzbekistan, par exemple, lui a consacré 1h 04 contre 59 minutes aux trois autres candidats réunis. La chaîne Yoshlar, elle, n'a quasiment parlé que de lui, puisqu'un seul autre candidat a été cité, Asliddine Roustamov (du Parti démocratique populaire, héritier du Parti communiste soviétique), pendant... 72 secondes.
D'une manière générale, la campagne électorale a été la grande absente des bulletins et des programmes d'information des médias audiovisuels, qui se sont concentrés sur des sujets à caractère social ou économique. Radio Uzbekistan n'a diffusé que 17 minutes et 30 secondes consacrées aux candidats, contre 1h23 à l'activité présidentielle et 3h14 de programmes sans acteur politique pertinent.
De semblables déséquilibres ont été observés dans la presse écrite. Un espace consacré à la campagne, débutant en première page et repérable par sa mise en page spécifique a bien été prévu dans chaque édition des quotidiens observés. Chaque candidat y était présenté, mais le texte des articles était quasiment identique d'une édition à l'autre et fourni par l'agence de presse étatique UzA.
Le candidat Karimov était toujours associé aux succès économiques du pays et aux réformes en cours. Tandis que les autres candidats étaient mentionnés comme “témoignant d'une alternative dans le processus démocratique de l'élection”. L'espace accordé aux différents candidats était variable, avec une constante toutefois : celui alloué au candidat Karimov était toujours plus important. Il a par exemple totalisé 6 228 cm2 (contre 3 480 pour ses concurrents) dans Halk Suzy.
La fin du journalisme indépendant
Il n'existe plus de média ouzbek indépendant. Le verrouillage de la société, déjà entamé au début des années 2000, s'est sensiblement accéléré après les événements d'Andijan, en mai 2005. Les médias étrangers ont été expulsés du pays, comme la BBC et Radio Free Europe. Les journalistes indépendants sont devenus la cible des autorités et, depuis 2006, ceux qui souhaitent collaborer à des médias étrangers sont contraints de solliciter une accréditation du ministère des Affaires étrangères extrêmement difficile à obtenir. Les sujets tabous sont légion et l'imprévisibilité est la règle. Ce dont il était permis de traiter hier encore est mis à l'index aujourd'hui.
A l'approche de l'élection présidentielle, les pressions se sont encore intensifiées. Ainsi plusieurs employés de la Deustche Welle pourtant média public d'un pays, l'Allemagne, qui soutient l'assouplissement des sanctions européennes votées contre l'Ouzbékistan après Andijan, ont fait l'objet de poursuites en 2007. L'une d'entre eux a fui le pays et vit désormais en exil. Les menaces sont monnaie courante, les tracasseries administratives aussi. Parfois des journalistes sont passés à tabac, comme ce fut le cas à deux reprises au moins en 2005. Pour s‘assurer que rien n'échappe au contrôle des autorités, un membre des services spéciaux a même été nommé au centre de presse de la Commission électorale Centrale.
L'intégralité du rapport de Reporters sans frontières est disponible sur le site de l'organisation :