RSF demande une enquête approfondie après l’espionnage via Pegasus d’une figure du journalisme russe en exil
Directrice du média indépendant Meduza, basé à Riga, Galina Timchenko a été mise sous surveillance lors d’un séjour à Berlin. Extrêmement choqué par cette nouvelle affaire scandaleuse d’espionnage de journaliste via le logiciel Pegasus, Reporters sans frontières (RSF) appelle le gouvernement allemand et toutes les parties prenantes à mener une enquête rapide et approfondie.
Un rapport publié le 13 septembre par Access Now et le Citizen Lab révèle que le logiciel espion Pegasus a été utilisé contre la journaliste russe et directrice du site d’information indépendant Meduza, Galina Timchenko. Son smartphone a été infecté par le logiciel au cours ou autour de la journée du 10 février 2023, alors qu’elle se trouvait à Berlin pour assister à des réunions. Jusqu’à la vérification de son téléphone, en juin, sa sécurité et celle de ses sources ont été exposées.
Entre ces deux dates, RSF a organisé plusieurs réunions avec des journalistes et des rédacteurs en chef russes au cours desquelles des sujets sensibles et confidentiels ont été abordés. L’organisation est extrêmement choquée par le fait que nombre de journalistes russes, et potentiellement ses propres équipes, puissent avoir été touchés. Lorsque les journalistes ne peuvent plus se rencontrer et échanger des informations sans craindre d’être surveillés, leur travail s’en trouve directement impacté. Le gouvernement allemand figure parmi les responsables possibles de la surveillance nommés par le rapport.
“Les autorités allemandes doivent réagir rapidement par une enquête approfondie sur cette affaire. Pour RSF, celle-ci soulève de nombreuses questions, dont la suivante : dans quelle mesure le gouvernement allemand a-t-il été impliqué dans les mesures de surveillance et était-il au courant ? Une investigation immédiate et approfondie doit être menée et toutes les parties prenantes doivent être mises face à leurs responsabilités.
Galina Timchenko a fondé le média indépendant russe Meduza à Riga, capitale de la Lettonie. Censuré par les autorités russes et débloqué par RSF, le site publie en russe et en anglais. Deux semaines avant que le smartphone de Galina Timchenko ait été infecté, le 26 janvier dernier, le média a été déclaré “indésirable” en Russie : toute collaboration avec ce dernier ou toute citation de son contenu constitue un crime. Le média avait par ailleurs été labellisé “agent étranger” par le pouvoir russe en avril 2022 – Galina Timchenko a été nommée cette même année European Journalist of the Year pour ses efforts indéfectibles pour promouvoir l’accès de la population russe à une information indépendante.
Dans leur rapport, Access Now et le Citizen Lab ont établi trois hypothèses sur l’origine possible du piratage informatique : selon la première, l’Allemagne, l’Estonie et la Lettonie sont les principaux suspects ; la deuxième évoque la responsabilité d’États alliés de la Russie, comme l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan. Les États visés par ces deux hypothèses sont soupçonnés d’utiliser Pegasus. Selon la troisième hypothèse, c’est la Russie elle-même qui serait à la source de l’espionnage.
Galina Timchenko est considérée comme une source clé, même dans les plus hauts cercles politiques de l’Allemagne et de l’Union européenne (UE). Les informations et contacts auxquels elle et son média Meduza ont accès sont potentiellement très intéressants pour de nombreux organismes. Berlin est une destination prisée des journalistes russes en exil, qui s’y retrouvent en nombre dans divers lieux tenus secrets pour échanger des informations et assister à des conférences confidentielles.
En 2021, des recherches menées par Forbidden Stories, le Süddeutsche Zeitung et d’autres médias internationaux en lien avec le projet Pegasus ont révélé l‘ampleur inquiétante de la surveillance d’État que permettait ce logiciel espion de la société israélienne NSO. Ce malware donne aux pirates un accès dissimulé et quasi illimité à toutes les données contenues dans les appareils infectés – emails, messages cryptés, messageries, comptes et autres services connectés aux appareils. Il peut également activer les fonctions caméra et audio d’un smartphone, et effectuer des enregistrements à l’insu de l’utilisateur. Il peut même être utilisé pour manipuler des dossiers. Plus de 180 journalistes de 20 pays ont été identifiés comme des cibles possibles du logiciel de surveillance. RSF a déposé une plainte contre le groupe NSO en France, ce qui a déclenché une enquête judiciaire.
L’absence de régulation concrète est l’un des principaux problèmes des logiciels espions gouvernementaux extrêmement sophistiqués et puissants comme Pegasus. C’est pour y répondre que RSF a lancé, à l’été 2022, le Digital Security Lab. Les journalistes craignant que leurs communications professionnelles soient placées sous surveillance numérique peuvent contacter les spécialistes du bureau de RSF à Berlin. RSF mène en outre une campagne pour l’instauration de contrôles juridiques au niveau mondial sur l’exportation et la vente de ces logiciels espions.
Depuis l’agression de l’Ukraine par la Russie, nombre de médias russes et de journalistes reconnus ont fui la persécution du Kremlin et se sont exilés en Europe. Aujourd’hui basés dans des pays comme l’Allemagne, la Lettonie et l’Estonie, ils poursuivent leur travail crucial pour s’assurer que l’information indépendante continue d’atteindre les publics russophones.