Élections générales en Inde : le programme en dix points de RSF pour la liberté de la presse

Alors que la liberté de la presse s’est gravement détériorée en Inde, Reporters sans frontières (RSF) lance un appel aux partis politiques en lice, afin qu’ils s’engagent à prendre dix mesures concrètes en faveur du droit à l’information.

À l’approche des élections générales indiennes, qui débutent le 19 avril, et dans un contexte de dégradation majeure de la liberté de la presse en Inde, au 161e rang sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse, RSF appelle les partis politiques en lice à s’engager pour le droit à une information fiable et la protection des journalistes.

La persécution des journalistes et des médias s’est intensifiée en Inde depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi en 2014. Au moins 28 journalistes ont été tués durant cette période et neuf sont actuellement emprisonnés. Les lois antiterroristes sont dévoyées pour réprimer les journalistes. Les forces de l'ordre et les agences fiscales sont fortement mobilisés pour faire taire les médias indépendants. À cela s’ajoute le fléau des campagnes de désinformation ciblant régulièrement les journalistes, et des restrictions de l’accès au pays pour les journalistes étrangers.

Pour que le droit à l’information  soit réellement au rendez-vous de la prochaine séquence politique indienne, RSF formule dix mesures phares dont elle invite les candidats à se saisir urgemment.

“Il n’est pas admissible que le pays présenté comme ‘la plus grande démocratie du monde’ soit, à ce jour, si dépourvu de conditions pour garantir la pérennisation d’une presse libre et plurielle. Il n’est pas admissible que les journalistes indiens et que les reporters étrangers soient autant entravés dans leur travail au quotidien. Il est urgent que les partis politiques affirment leurs engagements pour garantir aux citoyens une information fiable, plurielle et indépendante, et que des mesures soient prises pour mettre un terme à l’érosion continue de la liberté de la presse en Inde depuis une décennie. Nous leur proposons dix mesures phares à intégrer à leurs programmes.

Célia Mercier
Responsable du Bureau Asie du Sud

RSF demande aux partis politiques de s’engager pour la liberté de la presse en endossant ses dix recommandations phares : 

1) Libérer immédiatement les neuf journalistes arbitrairement détenus, dont cinq sont originaires de la région du Jammu-et-Cachemire (au nord) 

2) Réviser les lois antiterroristes afin qu’elles ne soient plus utilisées pour réprimer les journalistes

La loi sur la prévention des activités illégales (UAPA - The Unlawful Activities Prevention Amendment Bill, 2019) et la loi sur la sécurité publique (Public Safety Act), sont régulièrement utilisées contre les journalistes. 

3) Mettre fin à la censure et la surveillance des journalistes

Un nouveau corpus législatif permet déjà, ou permettra, au gouvernement de censurer des publications, de surveiller les journalistes et de porter atteinte au secret des sources. C’est le cas du projet de loi sur les télécommunications (Telecom Bill, 2023) ; de celui sur les services de radiodiffusion (The draft Broadcasting Services (Regulation) Bill, 2023,) ; de l’amendement en 2023 sur les règles de l’information en ligne (Information Technology Amendment Rules, 2023) ; et aussi de la législation sur la protection des données personnelles numériques (The Digital Personal Data Protection Act, 2023). RSF appelle à leur révision afin que ces textes ne soient pas utilisés pour entraver le travail des journalistes.

4) Mettre en place une commission d’enquête indépendante sur les cas d’espionnage de journalistes

Au moins une quinzaine de journalistes indiens ont été ciblés par le logiciel espion Pegasus de NSO Group depuis 2021, et ce, en toute impunité à ce jour.

5) Protéger le secret des sources des journalistes

Un régime d'exception, soumis au contrôle d'une autorité judiciaire indépendante, doit être défini pour la saisie du matériel des journalistes. Une condition essentielle à la garantie de protection du secret des sources des journalistes, ce qui n’est pas le cas à ce jour où le matériel des professionnels de l’information peut être saisi sans restriction.

6) Garantir le pluralisme en régulant la concentration des médias

Un petit nombre d'entreprises et de conglomérats possèdent aujourd’hui les principaux médias en Inde. Une législation doit être introduite pour briser les monopoles et imposer des restrictions sur la propriété croisée des médias, afin de garantir le pluralisme.

7) Adopter des mécanismes de protection pour les journalistes 

Un dispositif pour garantir la sécurité physique et numérique des journalistes doit être mis en place. Notamment pour ceux qui déclarent être menacés, comme ce fut le cas récemment avec l’agression du journaliste indépendant, Nikhil Wagle dans l'État du Maharashtra (dans l’ouest du pays) ou encore de Nesaprabhu, reporter de News7, attaqué par un gang à coups de couteaux et de machettes en janvier 2024 dans le Tamil Nadu (au sud du pays). Des mesures doivent aussi être prises face à la généralisation du cyberharcèlement envers les journalistes et les médias.

8) Mettre fin aux coupures arbitraires d’Internet 

L'Inde est championne du monde en matière de coupures arbitraires de l’accès à Internet : en 2023, les autorités ont imposé 5 000 heures de suspension dans le seul État de Manipur (nord-est). Ces coupures, contraires au droit international, entravent le travail des journalistes et favorisent la diffusion de fausses informations et de désinformation, a fortiori en période électorale.

9) Mettre un terme aux restrictions d’accès à certaines zones du pays

Dans l’État d’Uttarakhand, au nord de l’Inde, les journalistes se sont vu refuser l’accès à la localité d’Haldwani en février. Les journalistes étrangers doivent obtenir des permissions de déplacements pour se rendre dans 10 des 36 États et territoires de l’Union. Le Jammu-et-Cachemirenotamment, leur est quasiment inaccessible. 

10) Garantir la couverture médiatique des médias étrangers

L'Inde a renforcé ses mesures de rétorsion envers les journalistes étrangers, notamment en raccourcissant les visas ou en refusant des permis de travail. Symbole de la difficulté des professionnels des médias étrangers à pouvoir travailler dans le pays, Vanessa Dougnac, une journaliste française qui couvrait l'Inde depuis plus de 20 ans, a ainsi été contrainte de quitter le pays.

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