Sommet UE/Balkans : RSF appelle l’Europe à mettre la liberté de la presse au coeur des discussions
Les journalistes des Balkans occidentaux qui enquêtent sur les sujets d'intérêt général, comme la corruption et la pandémie de Covid-19, sont menacés par le manque d'indépendance de la justice et concurrencés par la désinformation. Reporters sans frontières (RSF) appelle l’Union européenne à faire du soutien au journalisme d’investigation un sujet phare du sommet organisé par la présidence slovène.
Si la liberté de la presse conditionne l'adhésion à l'Union européenne (UE), elle ne figure pas au programme du sommet entre les États membres et les six pays des Balkans occidentaux candidats, qui se tient le 6 octobre prochain en Slovénie. L’Albanie, la Bosnie, le Kosovo, le Monténégro, la Macédoine du Nord et la Serbie n'ont pourtant fait aucun progrès significatif en la matière. Au contraire, le score de tous ces pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021 s'est détérioré, à l'exception de la Bosnie qui a enregistré une très légère amélioration.
“La liberté de la presse ne doit pas être un sujet tabou du sommet UE-Balkans, déclare le responsable du bureau UE/Balkans de RSF, Pavol Szalai. Le soutien au journalisme d’investigation et professionnel dans les Balkans est un remède essentiel pour aider la région à lutter contre deux de ses principaux fléaux : la corruption et l’épidémie de Covid-19. L’UE doit absolument profiter de la force d’attraction qu’elle exerce sur les Balkans occidentaux pour être plus ambitieuse pour permettre l’accès, aux citoyens de la région, à une information fiable.”
Dans les Balkans occidentaux, les crimes commis contre les journalistes bénéficient d’une impunité inquiétante. En Serbie, la justice n’a toujours pas condamné les auteurs de l'assassinat du journaliste d'investigation Slavko Curuvija en 1999, ni ceux de l'attaque au cocktail molotov contre son confrère Milan Jovanovic en 2018. En Albanie et au Kosovo, les autorités n’ont pas été capables de sanctionner l’explosion d’une bombe devant la maison du reporter albanais Elidon Ndreka l’année dernière ni l’attaque brutale sur son collègue kosovar Visar Duriqi devant son domicile en février 2021. La faible efficacité de la justice, notamment due à son manque d'indépendance, est aussi évidente au Monténégro où le journaliste d'investigation internationalement primé, Jovo Martinovic, fait l'objet de poursuites arbitraires depuis 2015.
Le travail des journalistes professionnels qui enquêtent sur les sujets d'intérêt général comme la COVID-19 et la migration est également régulièrement entravé par les autorités. Alors qu’elles couvraient ces sujets, la journaliste serbe Ana Lalic, sa consoeur Tatjana Lazarevic du média kosovar KoSSev et la journaliste indépendante bosnienne Nidzara Ahmetasevic ont été arbitrairement interpellées ou harcelées par la police au cours de cette dernière année.
Par ailleurs, la désinformation dans les Balkans prospère et les fausses informations - désormais diffusées par des grands médias - posent un problème à la société toute entière dans le contexte de la crise sanitaire. En Serbie et au Monténégro, de nombreux tabloïds relaient des théories conspirationnistes sur la Covid-19, alors que la chaîne TV Happy, diffusée dans plusieurs pays de la région, fait la promotion de thèses douteuses sur la vaccination. S’il est difficile de prouver un lien direct entre un niveau élevé de désinformation sur le coronavirus et la volonté relativement faible des populations de se faire vacciner, les deux phénomènes sont très présents dans les Balkans. Alors que le taux de vaccination se situe entre 23% et 45% dans les six pays balkaniques, la moyenne de l’Union européenne dépasse les 70%. Or, les médias indépendants qui diffusent l’information fiable sont souvent discriminés - en raison de leurs critiques du gouvernement - par une distribution de la publicité d’Etat opaque et inéquitable ainsi que par des projets de lois liberticides sous le prétexte de la lutte contre les fausses informations comme celui en Albanie.
Une fois les pays candidats entrés dans l’Union européenne, celle-ci peine à défendre la liberté de la presse à l’intérieur de ses frontières. Le Premier ministre slovène Janez Jansa attaque régulièrement les journalistes et son gouvernement - organisateur du sommet UE-Balkans - a arbitrairement suspendu le financement de l’agence de presse nationale STA, contraignant récemment son directeur à la démission. La Bulgarie est le dernier pays de la zone UE/Balkans du Classement mondial de la liberté de la presse, ayant perdu 61 places depuis son entrée dans l’Union européenne en 2007. La Hongrie a chuté de 64 places et la Pologne de 32 places depuis 2004.
La Bosnie occupe la 58e place, le Kosovo la 78e et l’Albanie, la Macédoine du Nord, la Serbie et le Monténégro les 83e, 90e, 93e et 104e places au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.