Serbie : RSF appelle l’UE à condamner la descente de police de 28 heures dans les locaux d’un média indépendant financé par l’USAID
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Encouragé par la rhétorique toxique de Donald Trump et le gel de l'aide étrangère américaine, le gouvernement serbe exerce sur les médias une pression inédite depuis les années 1990. Reporters sans frontières (RSF) exhorte les institutions de l'Union européenne (UE) – que la Serbie souhaite rejoindre – à condamner fermement le ciblage délibéré et la criminalisation d'une organisation qui fournit aux citoyens serbes des informations fiables.
Une perquisition de 28 heures a bouleversé les bureaux du Centre pour la recherche, la transparence et la responsabilité (CRTA), l'organisation non gouvernementale (ONG) à l'origine du site de fact-checking Istinomer.rs. Cette opération de police, menée les 25 et 26 février, visait au total quatre ONG à la demande du Département spécial anti-corruption du parquet supérieur de Belgrade. Le procureur a justifié cette perquisition par des accusations formulées par des membres du gouvernement américain selon lesquelles certains bénéficiaires de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) auraient “détourné des fonds” et “blanchi de l'argent”.
Bien que les activités du CRTA, dont l’édition d’Istinomer.rs, aient été soutenues par l'USAID – suspendue par Donald Trump fin janvier – la descente de la police serbe repose sur des accusations infondées et des bases juridiques fragiles. Les forces de l'ordre l’ont justifiée par le Code de procédure pénale, qui leur permet d’identifier les auteurs d’un crime, d’empêcher leur fuite ou la poursuite de leurs activités, et de saisir les preuves. Pourtant, la police a perquisitionné les locaux d'un média certifié par la Journalism Trust Initiative (JTI) – une norme journalistique mondiale développée par RSF – sans contrôle judiciaire indépendant ni garantie de la protection des sources journalistiques.
“Cette descente de police rappelle les techniques utilisées pour intimider et discréditer les journalistes sous l'ère du dictateur yougoslave Slobodan Milošević. Encouragé par la rhétorique toxique de Donald Trump et le gel de l’aide étrangère (USAID), le niveau de pression exercé par le gouvernement serbe sur les médias atteint des sommets inédits depuis les années 1990. Nous appelons l’Union européenne – que la Serbie souhaite rejoindre – à condamner fermement cette tentative de criminalisation et de discréditation d’une organisation qui fournit aux citoyens serbes des informations fiables.
La descente visant les locaux du CRTA – dont les fact-checkeurs et experts critiquent souvent le gouvernement serbe et sont régulièrement cités dans le débat public – était une manœuvre politique. Le 16 février, le président serbe Aleksandar Vučić a exprimé la nécessité de “poursuivre” les “crimes” prétendument commis par des ONG serbes. Une semaine plus tard, la présidente du Parlement Ana Brnabić a déclaré que “CRTA fait partie des organisations faisant l'objet d'une enquête pour avoir reçu de l'argent de l'USAID”. La descente de police qui a suivi a été relayée par plusieurs médias pro-gouvernementaux 30 minutes avant son début, et leur couverture s'est poursuivie tout au long de l'opération.
Une pression accrue
Le régime serbe a intensifié ses attaques politiques contre les médias indépendants, souvent suivies d’actes de violence contre les journalistes. Quelques jours avant la descente de police, le siège de l’Association des journalistes indépendants de Voïvodine a été cambriolé, et des menaces de mort ont été proférées contre sa présidente Ana Lalić ainsi que d'autres journalistes. De surcroît, les associations de journalistes serbes se sont retirées du Groupe de travail permanent pour la sécurité des journalistes, un organe consultatif gouvernemental.
Des dirigeants politiques d'autres pays ont également interprété les actions et déclarations hostiles à la presse du président américain Donald Trump comme un feu vert pour intensifier la pression sur les médias indépendants bénéficiant du soutien de l’USAID. “Il est nécessaire de rendre leur existence juridiquement impossible”, a déclaré le Premier ministre hongrois Viktor Orbán début février. Son homologue slovaque Robert Fico, ainsi que le chef de l'opposition tchèque Andrej Babiš, ont annoncé vouloir demander aux autorités américaines des informations sur les bénéficiaires de l’USAID dans leurs pays respectifs – une tentative claire d'intimidation de ces médias indépendants.