Reporters sans frontières demande à la Commission nationale informatique et libertés d'être plus vigilante sur les questions de transgressions des libertés numériques et les recours aux méthodes et aux technologies liberticides. Le président de la CNIL, Michel Gentot, a estimé qu'il n'y a pas eu d'"effet après-11 septembre" dans le domaine des cyberlibertés...
Reporters sans frontières a marqué son étonnement et sa désapprobation, suite à la présentation, le 10 juillet 2002, du 22e rapport annuel d'activité de la Commission nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL) présidée par Michel Gentot, et aux propos tenus à cette occasion dans les médias, notamment dans un article du Monde Interactif daté du 16 juillet 2002, par ce dernier.
" A en croire votre rapport et surtout vos commentaires, " il n'y a pas d'effet 11 septembre constaté " dans le secteur d'Internet, dans le cyberespace. Reporters sans frontière s'inscrit en faux et fustige cette prise de position pour le moins surprenante ", a souligné Robert Ménard, secrétaire général de l'organisation, dans une lettre ouverte adressée au président de la CNIL le 31 juillet 2002.
" Notre organisation a eu à maintes reprises l'occasion, depuis les attentats à New York et Washington, de tirer la sonnette d'alarme et de dénoncer les dérives sécuritaires qui entravent la libre circulation de l'information, qui restreignent la liberté d'expression et qui mettent à bas la confidentialité des connexions à la Toile et des courriers électroniques. Ces dérives sont directement imputables à la politique de lutte antiterroriste. Et, près d'un an après les tragiques événements du
11 septembre, force est de reconnaître, a contrario de votre analyse, que le Réseau et, d'une manière générale, les libertés numériques, sont les principales victimes d'une dérive sécuritaire généralisée ", a insisté Robert Ménard.
" La Résolution 1373 relative au combat contre le terrorisme dans le monde votée par le Conseil de sécurité de l'ONU le 28 septembre 2001 ; l'USA Patriot Act voté le 24 octobre 2001 au Congrès américain et les décrets présidentiels de George W. Bush qui ont précédé ou suivi ce texte ; la révision de la Directive européenne sur la protection des données de télécommunications votée, le 30 mai 2002, par les députés des Quinze ; les recommandations du G8 et d'Europol et, concernant la France, l'adoption de la Loi sur la sécurité quotidienne (LSQ) en novembre 2001 ainsi que tout récemment, le 17 juillet 2002, le vote en première lecture à l'Assemblée nationale de la Loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure (LOPSI) ne sont que quelques exemples des mesures édictées et des pratiques liberticides mises en œuvre ", rappelle Reporters sans frontières.
L'organisation s'alarme du recours de plus en plus courant à des technologies et des méthodes d'interception et de surveillance qui tendent à mettre Internet et, d'une manière générale, les outils informatiques, numériques, ou les données de communication, sous la tutelle des services de police, de sécurité et de certaines administrations.
" En la matière, la France est en passe de monter sur le podium des Etats prédateurs des libertés numériques. En moins de huit mois, la LSQ et, désormais, la LOPSI ont renforcé la mainmise des autorités sur Internet et le cyberespace, sur les outils numériques, et institutionnalisé un contrôle strict et une surveillance systématisée des citoyens via le Réseau et les technologies. Demain, les fournisseurs d'accès à Internet et les opérateurs de téléphonie vont devenir des auxiliaires de police et tous les citoyens des suspects en puissance. Or, nous estimons que vos initiatives pour endiguer ce phénomène grave sont déconcertantes et insuffisantes ", souligne le secrétaire général de Reporters sans frontières.
" Concernant la LSQ, après avoir signifié au gouvernement qu'il peut être dangereux pour les libertés de conserver les données de connexions et de télécommunications plus de trois mois, vous vous êtes borné, une fois la loi votée (elle porte à un an la durée de conservation de ces données) à déclarer : " Ces dispositions n'ont pas plu à tout le monde, pas plus qu'à la CNIL, mais ce n'est pas nous qui faisons la loi. Nous n'avons pas été entendus, mais encore une fois notre responsabilité est de mettre en éveil les autorités responsables. Il n'est pas question que nous nous substituions aux autorités gouvernementales et législatives."
Au sujet du vote de la LOPSI, l'association de défense de la liberté de la presse et de la liberté d'expression s'inquiète " du silence de la CNIL et de l'absence d'initiative à même de porter le débat sur la place publique et d'envoyer un signal fort au gouvernement et au législateur. Le signal que la libre circulation de l'information et la confidentialité des échanges sur Internet sont des libertés numériques fondamentales qui doivent être préservées, protégées ".
En conclusion de sa lettre à Michel Gentot, Reporters sans frontières demande à la CNIL :
d'être plus que jamais vigilante sur toutes les questions de transgressions des libertés numériques et d'être intransigeante par rapport aux projets de lois, aux recours aux méthodes et aux technologies liberticides ;
de réclamer au législateur la mise en chantier d'une véritable Loi Informatique et Libertés à même de préserver la libre circulation des informations, l'anonymat des échanges sur Internet, ainsi que les modalités de gestion, de rétention, de réquisition et d'examen des données et informations stockées sur supports numériques ;
d'impulser une réforme profonde de la CNIL visant à étendre son mandat et ses capacités à agir, pour aller au-delà des recommandations, des préconisations ou de l'instruction des dossiers d'infractions. Ce, pour que la CNIL soit l'interlocutrice incontournable, constructive et respectée des pouvoirs publics et du législateur, et puisse peser concrètement sur l'élaboration des textes de régulation.