Médias serbes : qui possède quoi ?
Une large enquête menée par Reporters sans frontières (RSF) en collaboration avec BIRN (Balkan Investigative Reporting Network) met en lumière un manque de pluralisme dans le paysage médiatique du pays.
La politique et la concentration sont des éléments qui perturbent le marché des médias en Serbie. Le manque de pluralisme est visible dans les secteurs de la télévision, de la radio et de la presse écrite. C'est l'une des conclusions de l’enquête menée conjointement par Balkan Investigative Reporting Network (BIRN) et Reporters sans frontières (RSF) pendant trois mois et dont les résultats ont été présentés à Belgrade le 21 juin 2017. Les résultats du «Media Ownership Monitor Serbia» (MOM) disponibles en anglais et en serbe sur serbia.mom-ltpszjrkmr.oedi.net apportent un éclairage sur l'état du marché des médias et sur l’identité de ses propriétaires.
“Le projet MOM nous a permis de montrer la fragilité du secteur des médias en Serbie que le manque de moyens financiers rend vulnérables aux pressions politiques” déclare Nafisa Hasanica, responsable de l’étude pour RSF en Serbie.
UNE AUDIENCE CONCENTRÉE
Le MOM révèle que le marché des médias en Serbie est ultra concentré. Les quatre plus grandes chaînes de télévision se partagent plus des deux tiers des téléspectateurs. Des chiffres similaires sont observés dans le secteur de la presse écrite, où les groupes Ringier Axel Springer Media AG, Adria Media Group , Insajder team et Kompanija Novosti rassemblent plus de 63% des lecteurs. Phénomène identique dans le secteur de la radio, où les stations leaders (S Media Team, Maxim Media Group, Public Broadcasting Service and Antenna Group) du marché rassemblent elles aussi la moitié des auditeurs.
Cette situation met à mal le pluralisme des médias dans le pays.
L'étude montre que la concentration n’épargne pas non plus les groupes multimédias : le radiodiffuseur public est en tête des parts d’audience avec une présence sur le marché TV, radio et la presse en ligne.
Il n’existe pas en Serbie de groupes multimédias présents sur tous les secteurs (TV, radio, presse en ligne, presse écrite). L’audiovisuel et la presse écrite sont deux secteurs distincts et c’est une des particularités du paysage médiatique serbe.
DES MÉDIAS SOUS INFLUENCE
Le marché des médias dans le pays est sursaturé. 1600 organes de presse sont enregistrés auprès du registre du commerce (SBRA), mais le nombre exact de médias actifs demeure inconnu.
Les deux chaînes publiques (RTV et RTS) sont quasi exclusivement financées par l’Etat qui accordent des financements publicitaires à d’autres médias, de façon totalement arbitraire et non transparente. Les financements publicitaires estimés à 174 millions d’euros en 2016, encore trop faibles aujourd’hui, ne permettent pas aux médias de s’extraire de cette “tutelle”.
Cette dépendance des médias aux subventions publiques contribue à en faire des outils de propagande favorables au pouvoir en place plutôt que des vecteurs d’informations objectifs et impartiaux. A titre d’exemple, Aleksandar Vucic, à la fois Premier ministre et candidat à la présidence du pays a pu ainsi bénéficier d’un temps d’antenne sur les chaînes publiques dix fois supérieur à celui de ses concurrents, lors des élections présidentielles d’avril 2017.
UN MANQUE DE TRANSPARENCE APRES LA VAGUE DE PRIVATISATION
Soixante quinze médias publics (pour la plupart des médias locaux) ont été mis aux enchères récemment dans le cadre d’un processus de privatisation lancé par le gouvernement en 2015 mais seuls 34 d’entre eux ont trouvé un repreneur. Les autres ont été fermés laissant ainsi sur le carreau près de 1000 journalistes.
Cette vague de privatisation a renforcé le phénomène de concentration de médias locaux, certains hommes d’affaires proches du gouvernement en ayant profité pour acquérir plusieurs médias d’un coup.
L’échantillon de 48 médias étudié par BIRN et RSF dans le cadre de son enquête fait apparaître un manque de transparence totale pour sept d’entre eux dont deux journaux d’envergure Vecernje Novosti et Politika. Pour la plupart des autres médias, les informations sur leurs propriétaires étaient disponibles auprès du registre du commerce serbe. Le radiodiffuseur public est légalement tenu de rendre publiques les informations relatives à ses propriétaires, l’étude conclut cependant qu’il pourrait faire preuve de beaucoup plus de transparence, les données disponibles auprès du registre du commerce serbe étant parcellaires et parfois périmées.
LA CONCENTRATION DES MÉDIAS LOCAUX
Les seuils de concentration sont théoriquement réglementés par des dispositions claires spécifiques au secteur des médias, à l'exception des médias en ligne. Pourtant, l'application de ces dispositions reste problématique, le seuil à ne pas dépasser pour un média étant 35% des parts d’audiences. Au niveau local, le taux de concentration des médias -difficile à déceler- impacte la diversité et le pluralisme des médias.
“Notre recherche a révélé une grande différence de traitement entre les médias nationaux et locaux. Alors que les organes nationaux bénéficient de toute l’attention et des profits, les médias locaux- soit plus de 1000 organes de presse - s’avèrent sous réglementés, sous financés et sujets à des pratiques illicites,” conclut Tanja Maksic, coordinatrice du projet chez BIRN.
Le MOM est un projet international lancé par Reporters sans frontières, pour promouvoir la liberté de la transparence et le pluralisme des médias à une échelle internationale. Il a été publié dans huit pays, dont la Turquie, la Tunisie, la Colombie et le Cambodge. En plus de la Serbie cette année, le MOM a également lancé des travaux au Ghana, au Pakistan, au Brésil et au Maroc.
En Serbie, BIRN, réseau d'organisations non gouvernementales qui assure la promotion de la liberté d’expression, des droits de l’Homme et des valeurs démocratiques, est le partenaire de l’étude.
Contacts presse:
Balkan Investigative Reporting Network (BIRN)
Tanja Maksic
[email protected]
Tel.: + 381637116693
RSF Allemagne
Ulrike Gruska
Tel.: +49-30-6098953355