Les journalistes turcs sur le banc des accusés
La Turquie utilise son système judiciaire pour réduire le quatrième pouvoir au silence. Reporters sans frontières (RSF) et sept autres organisations dénoncent, dans un rapport commun, une justice au service de la répression des médias sous le régime du président Erdoğan.
La justice turque ne fonctionne plus, et la réforme judiciaire en cours n’est qu’un trompe-l’oeil. C’est ce qu’ont constaté huit organisations de la liberté de la presse dans un rapport remis les 18 et 19 novembre à des députés européens. Pour évaluer la situation, elles ont rencontré des journalistes, des représentants de la société civile, du système judiciaire et des autorités lors d’une mission conjointe menée en septembre à Istanbul et Ankara.
Les juges manipulent la loi anti-terroriste (Terörle Mücadele Kanunu - TMK), aux contours flous, pour incarcérer les journalistes indépendants poursuivis par le régime. Le rapport souligne entre autres l’inconsistance du système : des peines différentes sont établies pour des cas similaires. Des tribunaux révisent même le jugement d’un autre tribunal, comme ce fut récemment le cas pour Ahmet Altan. La “réforme” judiciaire en cours ne contient pour le moment aucune avancée crédible.
Parmi leurs recommandations, RSF et les huit autres organisations de défense de la liberté de la presse appellent les autorités turques à rétablir l’indépendance de la justice. Celle-ci passe nécessairement par une réforme du Conseil suprême de la Magistrature (Hakimler Savcilar Kurulu - HSK) ainsi que l’abolition des articles liberticides du Code pénal turc (Türk Cela Kanunu - TCK). Elles demandent aussi à stopper les arrestations arbitraires de journalistes.
“Le cadre légal est un problème (...) mais le système judiciaire aussi. Le réformer va prendre du temps”, a souligné Nacho Sanchez Amor, nouveau rapporteur du Parlement européen pour la Turquie, à l’occasion de la remise du rapport. La députée des Verts / Alliance libre européenne Alice Kuhnke, ancienne ministre de la Culture suédoise, va de son côté relayer les positions des ONG au sein de la commission parlementaire UE-Turquie.
En attendant des avancées concrètes, les journalistes turcs sont sous pression. “J’ai été licenciée de CNN Turquie pour avoir dit à l’antenne quelque chose qui a déplu au président Erdoğan, lors d’une rencontre avec Donald Trump” (ndlr: le président américain) a affirmé hier Nevşin Mengü devant le Parlement européen. Egalement présent à Bruxelles, son collègue Bülent Mumay a lui été accusé d’espionnage par un rapport de la Fondation pour la recherche politique, économique et sociale (SETA), think tank fondé par un conseiller du président turc. Ces exemples illustrent le harcèlement dont font l’objet les journalistes en Turquie, qui les incite à l’auto-censure.
La Turquie occupe la 157e place sur 180 pays au Classement mondial 2019 de la liberté de la presse établi par RSF.
Le rapport de la mission menée par l’Institut international de la presse (IPI), avec Article 19, la Fédération européenne des journalistes (FEJ), le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), PEN International, le PEN norvégien, le Centre européen de la presse et des médias (ECPMF) et Reporters sans frontières (RSF) est consultable sur le lien ci-dessous.