Le gouvernement a émis de nouvelles directives visant à étouffer toute forme de contestation sur les forums de discussion en ligne. Dans le même temps, la société Verisign attribue plus de responsabilité à la Chine dans la gestion de l'Internet mondial. Ignorance ou realpolitik? Reporters sans frontières tire la sonnette d'alarme.
Le gouvernement a émis de nouvelles directives à l'attention des portails chinois proposant des services de discussion sur Internet. Celles-ci ont entraîné, depuis le 23 février 2004, la fermeture de nombreux news groups et une intensification du filtrage des messages postés en ligne. La récente décision de Verisign d'attribuer un serveur de DNS à la Chine constitue également un danger pour l'avenir de la Toile dans ce pays.
Reporters sans frontières exprime son inquiétude face à cette énième tentative de museler la Toile. "Les forums de discussions sont utilisés par des millions de Chinois. S'ils étaient déjà étroitement surveillés, ils fournissaient toutefois un exutoire au mécontentement et aux critiques de la population. Nous craignons que ces dernières mesures ne poussent encore davantage les internautes à l'autocensure", a déclaré l'organisation. Cette dernière ajoute que, dans ce contexte, la récente décision de Verisign d'impliquer la Chine dans la gestion du trafic Internet mondial apparaît extrêmement dangereuse.
Le Bureau de l'information du Conseil d'Etat, qui régule les activités en ligne, a directement explicité ces nouvelles directives aux responsables des principaux portails Internet du pays: Sohu.com, Netease.com et Sina.com.
D'après des informations recueillies par Reporters sans frontières, le changement a été rapidement visible sur les forums de ces portails. Certains groupes de discussion, légèrement politisés ou traitant de sujets sociaux, ont été fermés ou redirigés sur des forums de divertissement (culture, people, etc.). C'est le cas du news group de Sohu.com, Xin Kong (ciel étoilé), qui a été fermé et remplacé par un espace de discussion jugé non subversif. Il semblerait en outre que les débats à consonance politique aient quasiment disparu des forums, en raison de critères de filtrages plus strictes appliqués par les Ban Zhu (modérateurs des groupes de discussion). On constate d'ailleurs une recrudescence des messages d'internautes dénonçant la censure de leurs textes, qu'ils ne parviennent plus à publier en ligne.
Les groupes de discussion en ligne ont été massivement utilisés par les internautes pour dénoncer les affaires ayant défrayé la chronique en 2003. Ils avaient constitué le vecteur d'information principal au moment de la crise du SRAS, les autorités ayant rapidement interdit d'aborder le sujet dans les médias classiques. Plus récemment, les internautes s'étaient mobilisés dans "l'affaire de la BMW". Une femme de milieu aisé avait volontairement écrasé une paysanne, le 12 octobre 2003, et blessé douze autres personnes. La condamnation très légère de l'automobiliste, vraisemblablement due à des interventions politiques, avait fait naître un important mouvement de protestation dans le pays. Des dizaines de milliers de messages avaient été postés sur des forums de discussion pour dénoncer la corruption des fonctionnaires de justice et l'iniquité de la sentence. L'ampleur prise en ligne par la contestation aurait incité les autorités à renforcer leur contrôle des forums de discussion.
Reporters sans frontières avait mené, en mai 2003, une étude détaillée du système de surveillance des forums Internet en Chine. Consultez l'intégralité de ce rapport "vivre dangereusement sur le Net" à:
Verisign, société américaine qui gère les noms de domaines (dits DNS, comme .com ou .net) au niveau mondial, aurait décidé d'attribuer à la Chine un serveur de DNS, ce pays devenant ainsi l'un des principaux nœuds de trafic sur le Réseau. Or, les autorités chinoises utilisent couramment le détournement de DNS, une technique permettant de rendre totalement inaccessible un site Internet en redirigeant son nom de domaine (ex: ltpszjrkmr.oedi.net) vers une adresse IP erronée, entraînant ainsi un message d'erreur du type "site introuvable". Selon Dynamic Internet Technology (DIT), une entreprise spécialisée dans les questions de filtrage de l'Internet en Chine basée aux Etats-Unis, la décision de Verisign pourrait faciliter ce détournement de DNS et accroître ainsi la censure du Net dans le pays.