Iran : La journaliste Elaheh Mohammadi détenue depuis près d’un an pour avoir porté la voix des femmes

Sa couverture des funérailles de Mahsa Amini a révélé au monde entier l'histoire d'une communauté en deuil. Alors que la journaliste Elaheh Mohammadi attend son verdict derrière les barreaux depuis près d'un an, sa sœur jumelle, Elnaz Mohammadi, aussi professionnelle de l'information, vient d'être condamnée à trois ans de prison avec sursis.

 

Elaheh Mohammadi est la seule journaliste à avoir couvert les funérailles de Mahsa Amini, jeune étudiante kurde de 22 ans décédée le 16 septembre 2022 lors d’une garde à vue qui a suivi son arrestation par la police des mœurs pour “port de vêtements non appropriés”. Depuis Saqqez, capitale de la province du même nom, la journaliste avait raconté à l’Iran et au monde, dans les pages du quotidien Ham Mihan, l’histoire d’une famille et d’une communauté enterrant l’une des leurs. Pour cela, la journaliste avait été arrêtée le 29 septembre 2022. Depuis, elle est toujours derrière les barreaux de la prison d’Evin à Téhéran. Accusée notamment de “complot” et “collusion”, elle attend le verdict d’un procès qui s’est ouvert le 30 mai 2023. 

“Dès que le journal l'a autorisée à partir, Elaheh a acheté le dernier billet d'avion pour Sanandaj [..] et a parcouru les deux heures de trajet entre Sanandaj et Saqqez, la ville natale de Mahsa Amini en taxi,” raconte la sœur jumelle de Elaheh, dans les colonnes du quotidien Ham Mihan deux jours après l’arrestation de sa sœur. Elnaz Mohammadi est, elle aussi journaliste et, pour avoir couvert, dans la continuité du travail d’Elaheh, les mouvements populaires “Femme, Vie, Liberté” déclenchés par la mort de Mahsa Amini, elle vient d’être condamnée, le 3 septembre, à trois ans de prison avec sursis.

“En emprisonnant Elaheh Mohammadi pendant près d'un an et en punissant Elnaz Mohammadi, le régime iranien est déterminé à réduire au silence ces deux sœurs journalistes et les femmes dont elles portent la voix. RSF demande à ce que ces sanctions aveugles contre les jumelles Mohammadi, et tous les journalistes du pays, cessent pour de bon.

Jonathan Dagher
Responsable du bureau Moyen-Orient de RSF

Le journalisme : une vocation pour les soeurs Mohammadi

Après avoir obtenu une licence en langue et littérature persanes à l'Université Al Zahra en 2009, et une maîtrise en “Women’s study”, à l'Université Shahid Bahonar de Kerman en 2011, Elaheh poursuit sa carrière dans les rubriques société et politique de plusieurs rédactions locales telles que Etemaad Daily, Khabar Online, Haft-e Sobh Daily et Etemaad Online. Elle devient alors, en 2018, collègue, de celle qui est actuellement sa co-détenue à la prison d'Evin, la journaliste Niloofar Hamedi. Ensemble, elles ont été nommées parmi les femmes les plus influentes de 2023 par le média britannique Time Magazine, et ont remporté le Prix mondial de la liberté de la presse UNESCO/Guillermo Cano, avec leur consoeur Narges Mohammadi. Bien qu'elles portent le même nom de famille, Narges et Elaheh ne sont pas, elles, de la même famille. Elnaz, quant à elle, est spécialisée dans la communication, avec une licence obtenue à l'université Allameh Tabataba'i de Téhéran. 

Le journalisme est en effet une affaire de famille chez les Mohammadi. Les jumelles partagent depuis leur enfance une passion pour l'écriture, la littérature et la poésie. Elnaz et Elaheh, aujourd’hui âgées de 36 ans, travaillent ensemble, à partir de 2022, pour l’un des rares journaux réformistes, Ham Mihan, récemment rouvert après 15 années de suspension par le régime. Elles ont en commun leur détermination à visibiliser, par la plume, les problèmes des femmes en Iran, à amplifier leur voix dans un pays qui les opprime. Elaheh a ainsi analysé les projets législatifs relatifs à ladite “protection des femmes”, écrit des reportages sur les mariages forcés de jeunes filles et sur l'interdiction faite aux femmes de conduire des motos. “Partout où il y avait de la souffrance, toi et ta plume y étiez", lui avait écrit, sur son compte X, la journaliste Fatima Rajabi, elle aussi détenue le 30 septembre 2022 pendant trois semaines. 

Trajectoire d’une répression judiciaire violente contre Elaheh Mohammadi 

L'histoire de Mahsa Amini, blessée et transportée à l'hôpital Kasra de Téhéran le 16 septembre 2022, attire évidemment l’attention d’Elaheh Mohammadi. Elle prend contact avec la famille de la jeune kurde et devient l'une des premières à faire entendre sa voix, à travers celle de ses proches. Seule reporter présente au cimetière d'Aichi à Saqqez le jour de l’enterrement, elle titre son papier "Une terre de chagrin"

A la suite de cette publication, Elaheh est convoquée pour un interrogatoire le 29 septembre 2022. Des agents des services de renseignement l'empêchent de s'y rendre et l'arrêtent en chemin. “Mon épouse a annoncé dans un court appel qu'elle se trouvait dans le pavillon 209 de la prison d'Evin et qu'aucune charge n'avait été retenue contre elle,” raconte son mari le soir même sur le réseau social X. Malgré 17 jours d'isolement, une campagne de diffamation publique menée par les forces de sécurité, un long transfert à la prison de Qarchak à l’est de Téhéran, puis un retour à celle d’Evin, la journaliste garde le moral. Depuis sa cellule, rapportent ses proches, elle récite des poèmes et écrit des lettres de remerciement pour ceux qui la soutiennent depuis l'extérieur. Elle réaffirme souvent son dévouement à son travail de journaliste qui donne la parole aux femmes.

Après sept mois de détention provisoire, la date de son procès est fixée au 30 mai 2023 et les chefs d'accusation sont énoncés : "collusion" et "propagande contre l'État". Ces accusations sont passibles de lourdes condamnations pouvant aller jusqu'à la peine de mort.​​ Lors de sa dernière audience, le 1er juillet dernier, Elaheh Mohammadi a nié toutes ces charges. 

Prison avec sursis pour sa soeur jumelle, interdite d’exercer le journalisme

Quant à sa jumelle, Elnaz Mohammadi, elle a été arrêtée le 5 février pour avoir dénoncé, dans HamMihan, trois mois auparavant, la répression criante du régime à l’encontre des journalistes couvrant la mort de Mahsa Amini. Libérée sous caution une semaine après son interpellation, elle est condamnée par la branche 26 du tribunal révolutionnaire de Téhéran le 3 septembre, à trois ans de prison avec sursis. Si, contrairement à sa sœur, elle échappe actuellement à l’enfermement formel, il lui est interdit de quitter le pays et de s'adresser aux médias étrangers. Sommée de ne plus exercer son activité de journaliste, elle doit par contre participer régulièrement à une formation au “journalisme éthique”, en coordination avec… des agents du ministère iranien des Renseignements.

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