Tentative d’empoisonnement : RSF appelle les États européens à garantir la sécurité des journalistes russes en exil

La journaliste Elena Kostioutchenko, qui a couvert pour le média d’investigation Novaïa Gazeta l’invasion russe de l’Ukraine, témoigne publiquement d’une tentative d’empoisonnement dont elle aurait été victime en octobre 2022 en Allemagne, son pays d’exil. Reporters sans frontières (RSF) tire la sonnette d’alarme pour la sécurité des journalistes russes réfugiés en Europe.

 

“Pendant longtemps, je n'ai pas eu envie d'écrire ce texte. Je suis dégoûtée, terrifiée, j’ai honte” : c’est ainsi que la reporter Elena Kostioutchenko introduit le récit glaçant de sa tentative d'empoisonnement présumée par les services secrets russes, publié le 15 août par le site d’information indépendant Meduza. La journaliste a couvert les premières semaines de l’invasion russe dans les régions du sud de l’Ukraine, jusqu’à la suspension des publications de son journal, Novaïa Gazeta, fin mars 2022. Après de sérieuses alertes de menaces sur sa vie par l’appareil sécuritaire russe, et l’insistance de son rédacteur en chef Dmitri Mouratov (co-lauréat du Prix Nobel de la Paix 2021), elle avait dû quitter le terrain alors qu’elle tentait d’entrer à Marioupol. Réfugiée en Allemagne où elle se croyait en sécurité, la journaliste n’a jamais pu retourner en Russie

“La traque des voix critiques du Kremlin ne s’arrête pas aux frontières de la Russie. Cette tentative d’empoisonnement d’une journaliste en plein cœur de l’Europe démontre la détermination du régime de Poutine à les faire taire, même à l’étranger. RSF dénonce cette attaque odieuse et appelle les États européens, en particulier l’Allemagne, à agir pour garantir la sécurité des journalistes russes indépendants réfugiés sur leur territoire.

Jeanne Cavelier
Responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale

En octobre 2022, devenue journaliste à Meduza depuis l’arrêt forcé des activités de Novaïa Gazeta, Elena Kostioutchenko décide de repartir en reportage en Ukraine. Elle se rend alors à Munich pour demander auprès du Consulat ukrainien un nouveau visa pour couvrir la guerre. Avant de retourner à Berlin, le 18 octobre, elle déjeune dans un restaurant, où aurait eu lieu l’empoisonnement, avant de reprendre le train pour Berlin. La journaliste commence à ressentir des symptômes lors de ce voyage, qui ne feront qu’empirer : transpiration excessive et malodorante, mal de tête, difficulté de concentration, vomissements, puis œdèmes. Après des batteries d'examens, les médecins avancent deux mois plus tard que la thèse d’un empoisonnement est la plus probable.

Une enquête est alors ouverte en Allemagne. Aujourd’hui, Elena Kostioutchenko parvient à travailler environ trois heures par jour, mais ne dispose toujours pas des forces nécessaires pour partir en reportage. “Soyez plus prudents que moi. Nous ne sommes pas en sécurité et nous ne serons pas en sécurité, tant que le régime politique en Russie ne changera pas”, prévient la journaliste.

Le drame d’Elena Kostioutchenko n’est pas un cas isolé. Dans une enquête publiée hier, mardi 15 août, le site d’investigation indépendant russe The Insider dresse la liste des personnalités de la diaspora russe ayant vécu des histoires similaires. Parmi elles, figure l’ancienne journaliste de la radio Écho de Moscou - privée d’antenne en Russie, Irina Babloyan. Exilée à Tbilissi, en Géorgie, elle a connu fin octobre 2022 des symptômes similaires.

Plusieurs centaines de journalistes russes ont fui leur pays en raison de la répression systématique des médias indépendants par les autorités. Ils sont quasiment les seuls à pouvoir fournir une information libre et indépendante à leurs concitoyens. La Russie a encore perdu neuf places dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2023, passant de la 155ème place à la 164ème sur 180 pays.

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