RSF appelle le Parlement géorgien à rejeter le projet de loi sur les “agents de l’étranger”

Les députés géorgiens s’apprêtent à adopter un projet de loi sur les “agents de l’étranger”, largement inspiré d’une loi russe utilisée depuis quelques années pour museler les journalistes et la société civile. Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète de la dérive répressive du pouvoir et exhorte les parlementaires à la rejeter.

 


Mise à jour du 10/03/23 : À la suite des manifestations et des pressions internationales, le parti au pouvoir Rêve géorgien a décidé le 9 mars 2023 de retirer le texte. Il est rejeté formellement par le Parlement le lendemain.


 

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“Ce projet de loi sur les “agents étrangers” met en danger la liberté de la presse en Géorgie, s’inquiète la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale, Jeanne Cavelier. Très éloigné des standards internationaux, il vise uniquement les médias et les ONG dans une claire tentative de les stigmatiser et de les intimider. Le précédent russe nous montre les conséquences dramatiques d’une telle loi. Nous appelons le Parlement à rejeter ce texte liberticide, qui rendrait impossible tout avenir européen à la Géorgie.

Jeanne Cavelier
Responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale

C’est une loi qui peut changer durablement le visage de la démocratie géorgienne. Moins d’un mois après la présentation du texte original par le nouveau parti La Force du peuple le 14 février 2023, le projet de loi sur les “agents de l’étranger” doit être voté cette semaine au Parlement. Le parti au pouvoir Rêve Géorgien a d’ores et déjà annoncé qu’il le soutiendrait. Prétextant une volonté de transparence des financements des médias indépendants et des ONG opérants en Géorgie, il vise en réalité à entraver le travail de ces organisations. Celles recevant plus de 20 % de leur financement de l’étranger seraient labellisées “agents de l’étranger”, synonyme en géorgien d’espion étranger. Ce statut impliquerait de lourdes charges administratives et les exposerait à de graves sanctions en cas de manquements. 

Le projet présente de grandes similitudes avec une loi russe votée en 2012 et qui a été utilisée à partir de 2017 pour cibler spécifiquement les médias et les journalistes. Les défenseurs du texte, qui rejettent la comparaison, ont proposé une version alternative le 27 février, présentée comme conforme aux normes européennes et inspirée de la loi américaine sur l’enregistrement des agents étrangers (FARA ou Foreign Agents Registration Act). Or, cette deuxième version s’avère plus sévère que la première, avec des peines allant jusqu’à cinq ans de prison. Elle concerne désormais aussi les individus, contrairement à la FARA qui se concentre principalement sur les filiales de partis politiques ou d’organisations gouvernementales étrangères.

Mobilisation contre la loi

Le projet de loi sur les “agents étrangers” a provoqué une levée de bouclier. Deux journalistes ont été brièvement arrêtés et un autre blessé lors d’une manifestation devant le Parlement, dans la soirée du 2 mars. Le reporter du site d'information Tabula, Beka Jikurashvili, a été interpellé par les policiers alors qu’il les interrogeait sur la raison des arrestations en cours de manifestants. Son confrère directeur du média spécialisé dans les politiques publiques Publika, Zura Vardiashvili, a lui été arrêté alors qu’il scandait un slogan contre la loi. Après cet épisode, le Parlement a suspendu pour un mois l’accréditation de ses trois correspondants, Natia Amiranashvili, Keti Goguadze et Natia Leverashvili. Pris dans une rixe entre policiers et manifestants, un caméraman de la chaîne d’opposition TV Pirveli, Niko Kokaia, a reçu une blessure à la jambe causant son immobilisation pendant dix jours.

Trois jours plus tôt, le 27 février, de nombreux journalistes s’étaient réunis au sein du Parlement afin d’exprimer leur opposition. Plus de 60 médias ont par ailleurs annoncé leur intention de ne pas respecter cette législation si elle était adoptée. Une pétition contre la loi a été signée par plus de 260 organisations dont la respectée Charte d’éthique journalistique de Géorgie. À l’international, des représentants des Nations unies et de l’Union européenne (UE) ont vivement critiqué le projet. Non conformes aux lois européennes, les deux versions du texte en discussion contreviennent, en outre, à deux des douze conditions posées par l’UE pour garantir à la Géorgie le statut de candidat à l’intégration. La présidente de la Géorgie, Salomé Zourabichvili, a annoncé vouloir déposer son veto contre cette loi qui rendrait impossible un avenir européen au pays.

Cette loi apparaît dans un contexte d’attaques croissantes contre les médias indépendants et d’opposition, sur fond d’éloignement entre la Géorgie et l’Europe. Depuis le début de la guerre, le parti à l’origine de la loi, La Force du Peuple, emploie une rhétorique violente envers l’Occident qu’il soupçonne de vouloir entraîner la Géorgie dans une guerre contre la Russie. Outre des campagnes de dénigrement visant plusieurs médias, une loi sur la radiophonie, votée en décembre 2022, censée réguler les discours de haine, fait craindre aux observateurs une possibilité de censure. Le cas du directeur de la chaîne d’opposition Mtavari Arkhi TV, Nika Gvaramia, condamné à trois ans et demi de prison, symbolise cette pression croissante exercée par le gouvernement géorgien sur les journalistes.

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