Union européenne : RSF et la FEJ pressent la présidente de la Commission d’agir avec célérité pour empêcher l’arrêt du programme de fact-checking de Meta en Europe
L’annonce, le 7 janvier, de la fermeture du programme de fact-checking de Meta aux Etats-Unis ouvre la voie à une décision similaire en Europe. Google, de son côté, envisage de renoncer à ses engagements de soutien au fact-checking pris dans le cadre du Code européen de bonnes pratiques sur la désinformation. Ces revirements successifs de la part des plateformes entraîneraient des conséquences désastreuses pour l’intégrité de l’espace informationnel européen. Reporters sans frontières (RSF) et la Fédération européenne des journalistes (FEJ) adressent une lettre ouverte à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lui demandant d’agir avec fermeté sur le fondement de la législation du Digital Services Act (DSA).
“A la suite de Elon Musk, Mark Zuckerberg s’engage dans une croisade contre le journalisme et promeut une vision de la liberté d’expression qui s’y oppose et donne le droit de tout dire sans égard pour les vérités factuelles. Dans le contexte actuel de prolifération d’ingérences informationnelles malveillantes qui ciblent les démocraties, il faut que l’Union européenne fasse respecter les lois qu’elle s’est données et engage un rapport de forces clair avec les plateformes. Le DSA doit être appliqué, les règles démocratiques doivent l’emporter. ”
Lire la lettre en intégralité:
Madame la Présidente,
Nous vous écrivons ce jour pour vous demander d’empêcher la mise en œuvre, dans l’Union européenne (UE), des décisions unilatérales prises récemment par l’entreprise Meta concernant l’arrêt du programme de fact-checking par des tiers, et, le cas échéant, d’engager toutes les mesures, y compris des sanctions, prévues par le Digital Services Act (DSA).
L’entreprise Meta a décidé le 7 janvier 2025, d’opérer un revirement complet de sa politique de modération des contenus sur les plateformes Facebook, Instagram et WhatsApp qu’elle contrôle. Cette annonce implique notamment l’arrêt des partenariats avec les organisations de vérification des faits aux Etats Unis. Elle ouvre la voie à une décision similaire dans l’UE à plus ou moins long terme.
La décision de Meta, si elle venait à être appliquée sur le territoire de l’UE, constituerait une atteinte grave et immédiate à l’intégrité de l’espace informationnel européen et à la souveraineté démocratique de l’Union. Elle constituerait un préjudice sérieux pour les destinataires des services de Meta, voire un risque de menace pour la sécurité publique dans tout ou partie de l’Union. En permettant aux contenus haineux, trompeurs et manipulateurs de prospérer sans limite sur des plateformes aussi puissantes que Facebook ou Instagram, elle s’inscrirait en violation directe du DSA et transformerait le chaos informationnel en cours en crise informationnelle et démocratique.
Meta renierait ainsi les déclarations antérieures selon lesquelles elle souhaitait créer un espace sûr et ouvert pour ses utilisateurs. De plus, cette décision, appliquée dans l’UE, serait contradictoire avec son engagement pris, en 2022, dans le cadre du Code européen de bonnes pratiques renforcé contre la désinformation, en particulier l’engagement 30 relatif à la coopération avec la communauté du fact-checking.
Nous vous appelons aujourd’hui à résister avec force aux pressions ainsi exercées contre la démocratie européenne en faisant prévaloir avec la plus grande fermeté les principes et libertés essentiels qui la fondent, dont la liberté d’opinion et d’expression, la liberté des médias et le droit à l’information :
-
ouvrir sans délai une procédure d’investigation pour évaluer les conséquences transnationales, sur le territoire de l’UE, de l’annonce de la fermeture du programme de fact-checking aux Etats-Unis. Cette procédure doit être ouverte sans attendre la publication du prochain rapport annuel de transparence de Meta. Elle devra permettre à la Commission européenne d’établir un potentiel manquement à l’obligation d’atténuation des risques (article 35 du DSA). Pour les besoins de cette enquête, la Commission pourra s’appuyer sur les conclusions de l’instruction en cours contre X (ex-Twitter) ;
- exiger dès maintenant de Meta une analyse approfondie des conséquences qu'entrainerait l’arrêt de son programme de fact-checking dans l’UE et son remplacement par un système de “notes de la communauté” (article 34 du DSA). Il est impératif, dans un souci de transparence vis-à-vis des utilisateurs de Facebook et Instagram, de rendre cette analyse publique. Celle-ci ne doit, en aucun cas, servir de justification à l’arrêt du programme de fact-checking mais doit informer, de manière objective, les citoyens européens des risques de désinformation auxquels ils s’exposent en continuant d’utiliser les services fournis par Meta si une telle décision était adoptée pour l’UE ;
- exiger immédiatement de la part de Meta une suspension provisoire - si elle prenait la décision d’arrêter son programme de fact-checking dans l’UE - au regard du préjudice grave et immédiat que causerait une telle décision pour les utilisateurs européens des plateformes Facebook et Instagram, et ordonner des mesures provisoires notamment afin de permettre aux organisations de fact-checking de réintégrer ces plateformes (article 70 du DSA) le temps de mener toutes les investigations pertinentes.
Madame la Présidente, il vous incombe de faire appliquer avec fermeté, et sans délai, les instruments juridiques dont vous disposez à travers le DSA. Il en va de la crédibilité de l’Union à faire respecter les lois qu’elle s’est données afin de protéger son espace public, ses citoyens et ses processus démocratiques. D'autres moyens, y compris plus coercitifs, devront être envisagés si l’entreprise en question refuse de se soumettre à ces règles.
Les cinq prochaines années seront déterminantes pour garantir le droit des citoyens européens à une information fiable et protéger l’espace informationnel de l’UE contre la désinformation et les opérations de manipulation de l'information par des régimes autoritaires. Au-delà du cadre législatif existant (DSA), des mesures de nature systémique nous paraissent nécessaires. Celles-ci devront garantir l’effectivité du droit des citoyens de l’UE à un accès effectif à une pluralité de sources fiables d’information sur les plateformes de réseaux sociaux.
Nous sommes à votre disposition pour vous soumettre des propositions en ce sens.
Veuillez croire, Madame la Présidente, à l’assurance de nos considérations distinguées.
Renate Schroeder, Fédération européenne des journalistes (FEJ)
Thibaut Bruttin, Reporters sans frontières (RSF)