Un million de dollars d’amende pour les journalistes qui “critiqueront” l’émir
Reporters sans frontières s’alarme d’un très large recul de la liberté de l’information au Koweït. Si elle est ratifiée par l’Assemblée, une proposition de loi sur les médias, présentée le 8 avril 2013 par le gouvernement, permettra aux autorités de condamner les journalistes à payer des amendes allant jusqu’à 300 000 dinars (un million de dollars) pour “critique envers l’émir ou le prince héritier” ou encore “déformation de leurs propos”. Le projet de loi prévoit également des peines pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement pour les journalistes qui offenseraient Dieu, les prophètes de l’islam, ou encore les compagnons ou épouses du prophète Mahomet.
“Nous sommes scandalisés par la volonté du gouvernement de contrôler l’information et restreindre la liberté d’expression par le biais de ce projet de loi. Nous rappelons que la liberté de l’information est une liberté fondamentale consacrée par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ratifiée par le Koweït, qui se doit de respecter ses engagements nationaux et internationaux. Une telle loi, si elle était adoptée par l’Assemblée, constituerait une terrible menace pour la liberté de la presse, et non un “renforcement des médias”, comme l’a ironiquement affirmé le ministre de l’Information”, a déclaré Reporters sans frontières, qui exhorte l’assemblée à rejeter ce projet de loi liberticide.
Les condamnations d’acteurs de l’information se multiplient dangereusement ces derniers mois. Le blogueur Badr Al-Rashidi a été condamné en appel, le 20 mars 2013, à une peine de cinq ans d’emprisonnement assortie de travaux forcés. Il a été reconnu coupable “d’insultes envers l’émir”, “diffusion de fausses informations” et “atteinte à la réputation de l’émirat”. Condamné en première instance à deux ans de détention, il est en prison depuis le 14 juin 2012. Badr Al-Rashidi clâme son innocence depuis le début du procès, affirmant qu’il n’est pas l’auteur des tweets incriminés. Son compte Twitter a continué à être utilisé bien après son arrestation, prouvant qu’il était utilisé par une autre personne et avait certainement été hacké .
Une peine de dix ans de prison assortie de travaux forcés contre le blogueur Ourance Rashidi a été confirmée par la Cour de cassation le 4 février 2013. Condamné en première instance le 27 octobre 2011, il est accusé d’avoir critiqué l’émir dans des vidéos postées sur Youtube, ainsi que d’avoir “diffusé de fausses informations”.
Le journaliste du site Internet indépendant Sabr, Ayyad Al-Harbi, suivi par plus de 13 000 personnes sur Twitter, avait été condamné à deux ans de prison le 7 janvier 2013 pour “insulte envers l’émir”. Il avait écrit des articles portant sur la corruption au sein du pouvoir et la politique répressive du gouvernement.
Reporters sans frontières a également pris la défense de Rima Al-Baghdady et Ahmad El-Enezi, deux journalistes de la chaîne koweïtienne Al-Yaum accusés d’avoir “porté atteinte à l’honneur et à l’autorité de l’émir” et “insulté les valeurs traditionnelles de l’émirat”, pour avoir lu à l’antenne un communiqué de l’opposition, pendant le bulletin d’informations du 9 octobre 2012 ; de telles charges sont passibles de cinq ans d’emprisonnement. Le 10 avril, la cour a décidé de reporter au 8 mai prochain l’examen des preuves jointes au dossier par la défense.
“La multiplication des condamnations de blogueurs et net-citoyens à de la prison ferme est inquiétante. Les dernières peines prononcées sont très lourdes : de deux à dix ans de prison pour des articles sur un blog, des tweets ou quelques vidéos ! Les condamnations pour “insulte envers l’émir” ou “diffusion de fausses informations” sont le plus souvent un moyen détourné d’empêcher toute critique contre le gouvernement. Cette politique d’intimidation envers les blogueurs et net-citoyens menace donc directement la liberté de l’information”, a déclaré Reporters sans frontières.