Ukraine : RSF appelle à une enquête indépendante et approfondie dans l’affaire d’un journaliste d’investigation menacé de mobilisation

La justice ukrainienne a ouvert une enquête pour entrave au travail des journalistes à la suite de révélations indiquant que l'armée aurait essayé de mobiliser Yevhen Choulhat afin d'empêcher la publication d’un de ses articles. Face à cette tentative d’intimidation inacceptable, Reporters sans frontières (RSF) demande une procédure judiciaire exemplaire afin que ce type d’entraves ne se reproduisent plus. 

 

Mise à jour du 10/04/24 : À la suite des révélations du média d’investigation Slidstvo.info sur cette affaire, le chef du département de cybersécurité du Service de sécurité d’Ukraine (SBU), Illia Vitiuk, suspecté d’être impliqué, a été suspendu de ses fonctions le 9 avril pour la durée de l’enquête. Le chef du commissariat militaire du quartier de Solomyanka à Kyiv chargé de mobiliser le journaliste a été rétrogradé à un poste inférieur. 



La justice ukrainienne a ouvert le 8 avril une enquête pour “entrave au travail journalistique” et “abus de pouvoir par un officiel” en lien avec des actes d’intimidation présumés visant Yevheni Choulhat, journaliste du média d’investigation ukrainien Slidstvo.info. Les faits remontent au 1er avril, lorsque deux soldats ukrainiens contrôlent Yevheni Choulhat, alors qu’il faisait ses courses dans un centre commercial dans le nord de Kyiv. Ces derniers lui remettent alors une convocation pour le commissariat militaire, première étape de mobilisation dans l’armée ukrainienne. 

Dans une vidéo de l’interpellation, filmée par Yevheni Choulhat, les deux soldats l’appellent immédiatement par son prénom, laissant entendre qu’ils l’avaient identifié avant le contrôle. Yevheni Choulhat, après avoir interrogé les soldats sur un lien éventuel avec son travail de journaliste, refuse de prendre la convocation. 



Cet épisode a eu lieu trois jours avant la publication d’une enquête de Yevheni Choulhat sur les biens immobiliers d’Illia Vitiuk, chef du département de cybersécurité du Service de sécurité d’Ukraine (SBU). Selon les informations publiées le 6 avril par Slidstvo.info, cette tentative de mobilisation pourrait avoir été directement orchestrée par le SBU. Sur les vidéos de surveillance du centre commercial que Slidstvo.info a pu consulter, les deux soldats ont été conduits près de Yevheni Choulhat par un homme en civil, qui serait un membre du SBU.

“Cette affaire constitue une grave tentative d’intimidation, visant à dissuader les journalistes de publier des enquêtes, sous peine d’être mobilisés. Les médias d’investigation ukrainiens jouent un rôle essentiel dans le pays, aussi bien sur les crimes de guerre que sur la lutte contre la corruption. Bien que l’ouverture d’une enquête par la justice ukrainienne soit une première étape, RSF demande qu’elle soit menée de manière indépendante, approfondie et transparente, pour identifier les responsables et que ce type de menaces ne se reproduise pas.

Jeanne Cavelier
Responsable du bureau Europe de l'est et Asie centrale de RSF

Cette affaire a suscité de nombreuses réactions au niveau militaire, politique et au sein des médias. Dans une déclaration commune publiée le 7 avril, plusieurs organisations et médias ukrainiens ont sommé le Président, le ministère de la Défense et le SBU d’ouvrir des procédures pénales contre les instigateurs de cette mobilisation ciblée. Oleksandr Syrsky, commandant en chef des forces armées ukrainiennes, a également demandé l’ouverture d’une enquête et Yaroslav Yurchyshyn, président de la commission parlementaire ukrainienne sur la liberté d’expression, a déclaré qu’il suivait cette affaire de près.

Des tentatives de menaces contre des médias et journalistes d’investigation avaient déjà été dénoncées par RSF en janvier dernier. Les enquêtes sont toujours en cours. 



Si l’Ukraine, classée 79e sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2023, bénéficie d’un paysage médiatique qui a gagné en transparence et en pluralisme ces dernières années, il reste fragilisé par des exactions commises par la Russie contre les journalistes et des pressions des autorités ukrainiennes.

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