Ukraine : privée de financements américains, Radio Svoboda, branche de RFE/RL, menacée de silence en pleine invasion russe

En pleine invasion russe à grande échelle, Reporters sans frontières (RSF) alerte sur le risque de suspension qui pèse sur Radio Svoboda, média indépendant clef qui couvre aussi les territoires ukrainiens occupés noyés sous la propagande du Kremlin. La branche ukrainienne de Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), privée de financements américains du jour au lendemain, a d’ores et déjà annoncé l’interruption de certains programmes et la mise en chômage technique d’une partie de ses employés. 

Avec plus de 433 millions de vues sur YouTube et 151 millions de pages consultées l’année dernière, Radio Svoboda – branche ukrainienne de l’audiovisuel public extérieur américain RFE/RL – est l’un des principaux médias indépendants et fortement consultés en Ukraine. Près d’un adulte sur quatre suit ses contenus chaque semaine et d’après une enquête en 2024 de l’agence fédérale américaine pour les médias mondiaux (USAGM), 92 % de son audience lui fait confiance. Le média, qui rassemble une centaine de collaborateurs autour d’un site d’information, de programmes radio et de plusieurs chaînes YouTube, figure également sur la “liste blanche” des rédactions ukrainiennes les plus “transparentes et responsables”, établie par l’Institute of Mass Information (IMI), partenaire ukrainien de RSF.

C’est pourtant ce média de référence, informant aussi sur les territoires ukrainiens occupés par la Russie, qui risque la suspension de ses activités. Le gel des financements, consécutif à l’annonce du démantèlement de l’USAGM – principal bailleur de plusieurs médias indépendants dont RFE/RL – a forcé l’équipe à arrêter plusieurs programmes et à placer certains employés de ses bureaux de Kyiv et Lviv, dans l’ouest du pays, en chômage technique depuis le 14 avril. “Il s'agit d'une mesure forcée à un moment où Radio Liberty se bat devant les tribunaux américains pour obtenir le droit de recevoir des financements du Congrès américain”explique Radio Svoboda, dans un communiqué. 

Radio Svoboda est un pilier de l’information libre en Ukraine, et l’une des ressources clefs à couvrir, depuis le terrain, les territoires occupés par la Russie. Ses journalistes enquêtent sur les crimes de guerre commis par la Russie, l’occupation et la corruption. Les soutenir, c’est défendre le droit à une information indépendante dans un pays en guerre. Il est impératif que le Congrès américain restaure ces financements, essentiels pour leur permettre de poursuivre leur travail.

Pauline Maufrais
Chargée de zone Ukraine chez RSF

Parmi les programmes interrompus : l’émission matinale Svoboda.Ranok, diffusée sur YouTube et sur la chaîne de télévision ukrainienne en ligne Espreso TV. Son dernier épisode a été publié le 11 avril. “Nous avons été parmi les premiers à révéler le naufrage de navires russes en mer Noire, la destruction du barrage de Kakhovka ou encore la rébellion avortée du groupe Wagner”, rappelle Anna Tokhmakhchi, rédactrice en chef de l’émission. Deux autres podcasts, Dialogues avec Portnikov et Libertés historiques, sont suspendus depuis mars. Si le gel des financements venait à se prolonger, d'autres programmes réputés pourraient également finir par être fragilisés.

Un pilier de l’information libre en Ukraine

Radio Svoboda, figure majeure du journalisme d’investigation en Ukraine, mène des enquêtes approfondies sur la corruption et sur l’invasion russe. Son département d’investigation Schemes, créé en 2014, a récemment révélé l’implication d’un vice-procureur général ukrainien dans un détournement de fonds, entraînant sa démission, et identifié des mercenaires cubains combattant dans l’armée russe. Les programmes en ligne Krym.Realii et Donbass.Realii – consacrés à la Crimée et au Donbass – couvrent la situation locale et permettent aux civils d’accéder à une information libre, contournant la censure et la propagande du Kremlin. Ces douze derniers mois, Krym.Realii a enregistré 6,8 millions de visites de son site, près de 30 millions de vues sur ses vidéos YouTube et, selon RFE/RL, près d’un adulte sur cinq en Crimée consulte ses contenus chaque semaine. Donbass.Realiiqui se concentre notamment sur l’actualité du front, a cumulé plus de 15 millions de vues sur YouTube sur la même période. 

Des journalistes ciblés par la Russie

Arrestations, journalisme sous couverturemenaces, etc. Informer depuis les territoires occupés n’est pas sans risque pour les journalistes de Radio SvobodaVladyslav Yesypenko, correspondant de Krym.Realii, est détenu en Crimée depuis 2021, condamné à l’issue d’un procès inique pour “espionnage”. Avant lui, Stanislav Asseïev, qui travaillait sous pseudonyme avec Radio Svoboda, a été arrêté en 2017 dans la région occupée de Donetsk. Il a passé plus de deux ans en détention, avant d’être libéré en 2019. “J’ai reçu une décharge électrique pendant la torture simplement parce que j’écrivais pour Radio Libertytémoignait-il en mars peu après l’annonce du gel des financements pour le média. En 2024, le directeur de la prison secrète où il avait été détenu a été condamné par la justice ukrainienne.

Le décret de Donald Trump touche aussi d’autres médias soutenus par l’USAGM, comme la chaîne indépendante en langue russe Current Time TV, qui a interrompu sa diffusion par satellite mais reste accessible en ligne et via le bouquet satellitaire Svoboda, lancé par RSF ; et Radio Free Asia suspendu ses programmes, privant des millions de personnes d’une information fiable.

L’Ukraine occupe la 61e place sur 180 pays et territoires dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2024. 

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