Tour de vis du gouvernement ukrainien sur les médias et leurs sources militaires
Les autorités ukrainiennes exercent une pression croissante sur les médias et leurs sources, illustrant leur volonté de contrôler l’information et d’étouffer toute critique sur les activités de l’armée. Reporters sans frontières (RSF) appelle le ministère de la Défense ukrainien à cesser de dénigrer le droit d’informer et à respecter les engagements de l’Ukraine sur la liberté de la presse et la liberté d’expression.
Mobilisés en masse pour remplir leur mission d’information du public ukrainien et international sur l’invasion russe, les journalistes voient désormais leur accès aux sources sur les activités de l’armée remis en question. Alors que la vice-ministre de la Défense brime les journalistes sous les spots des plateaux télé, dans l'ombre des bureaux des généraux, les militaires qui parlent aux médias sont sanctionnés.
"La pression exercée sur les journalistes et leurs sources au sein de l’armée met à mal le circuit de l’information sur la guerre russe en Ukraine. Elle s’inscrit à contre-courant des aspirations européennes de l’Ukraine. Les autorités ukrainiennes doivent cesser de dénigrer sans fondement les médias et permettre aux militaires de communiquer aux journalistes des informations non classifiées sans peur de représailles."
Sur ses réseaux sociaux et sur le plateau de télévision de la chaîne d'information TSN le 21 août 2023, la vice-ministre de la Défense Hanna Maliar a accusé la presse d’avoir dévoilé le positionnement de la 82ème brigade aéromobile de l’armée ukrainienne, ce qui en aurait fait la cible des forces russes. Mais celles-ci détenaient ces informations avant même leur publication par Forbes, notamment grâce à des images filmées par leurs drones. Cette saillie désinformée et dangereuse par un membre clé du gouvernement nie le rôle essentiel joué par les médias tout au long de la guerre d'agression russe et risque d’alimenter un climat de défiance envers les professionnels de l'information. Preuves en sont les commentaires sous la vidéo de l’intervention de la vice-ministre, tels que “les journalistes professionnels n'ont aucune retenue” ou “ne peut-on pas faire taire tous ces blogueurs et journalistes ?”
Le travail des journalistes est aussi mis à mal du fait des pressions sur les sources militaires des médias, comme l’a révélé l’Institute of Mass Information (IMI), partenaire local de RSF, dans un communiqué daté du 22 août. Aucune loi n'interdit pourtant aux militaires de donner des interviews aux journalistes.
L’élu municipal de Kyiv, Oleksandr Pohrebyskyi, qui appartenait à la 46ème brigade aéromobile, associe par exemple, sa mise au placard dans un centre de formation militaire à une interview publiée en janvier 2023 par le site d’information indépendant Ukraïnska Pravda.
Il continue néanmoins à accorder de multiples entretiens aux médias et s’est retrouvé de nouveau convoqué par ses supérieurs le 18 août, au lendemain de la parution d’une interview au site d’information Censor.net. Issu de la même brigade, le lieutenant-colonel Anatoliy Kozel, surnommé “Kupol”, a lui aussi été rétrogradé à la suite d’une interview au Washington Post en mars 2023. Peu après cette prise de parole soulignant le manque de formation des nouvelles recrues de l'armée, qui fait scandale en Ukraine, il est envoyé dans le même centre que son subordonné.