Tadjikistan : RSF appelle le procureur général à libérer la journaliste Rukhshona Khakimova, condamnée à huit ans de prison
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Alors que le Tadjikistan s’apprête à organiser, le 2 mars, des élections législatives sans véritable opposition, la répression contre les voix indépendantes s’intensifie. Dernière victime en date, Rukhshona Khakimova attend son procès en appel après sa condamnation à huit ans de prison pour "haute trahison", en raison de son travail sur l’influence chinoise dans le pays. Reporters sans frontières (RSF) s’insurge contre cette sentence arbitraire et exhorte le procureur à libérer la journaliste.
Cela fait près d’un mois que Rukhshona Khakimova croupit en prison, pour avoir mené des interviews – non publiées – sur l’influence chinoise et l’aide étrangère au Tadjikistan. Ce même questionnaire, réalisé pour un institut indépendant de recherche, a pourtant été utilisé dans plusieurs autres pays d’Asie centrale sans conséquences judiciaires.
Un tribunal a condamné le 5 février 2025 la journaliste à huit ans de prison pour “haute trahison”, lors d’un procès à huis clos mené dans le plus grand secret en moins d’un mois. Le juge a également ordonné la confiscation de ses biens, aggravant encore la pression exercée sur sa famille. La date de son procès en appel auprès de la Cour suprême n’a pas été révélée.
“L’enquête sur le cas de Rukhshona Khakimova a été entachée d’irrégularités et son procès inique. Sa condamnation arbitraire et scandaleuse, à une lourde peine, illustre la volonté des autorités tadjikes de museler toute voix indépendante à l’approche des élections législatives, prévues ce dimanche, dans un climat d’absence totale de pluralisme. RSF soutient la journaliste, réfute l’accusation dont elle fait l’objet et demande au procureur sa libération immédiate.
Condamnation arbitraire
"La sentence sévère prononcée contre notre collègue Rukhshona Khakimova doit être contestée en appel et l'affaire pénale réexaminée, car l'enquête a été menée sous le sceau du secret et le procès s'est déroulé à huis clos, ce qui n’a guère permis de garantir une justice équitable à l'égard de la journaliste."
Nuriddin Karshiboev, Président de NANSMIT, l’Association nationale des médias indépendants du Tadjikistan, partenaire de RSF
Arrêtée sans mandat le 16 juillet 2024 devant son domicile à Douchanbé, la capitale du Tadjikistan, Rukhshona Khakimova a été détenue pendant près de douze heures sans accès à un avocat. Son domicile a été perquisitionné en son absence, et son matériel professionnel, son passeport et ses cartes bancaires ont été saisis sans qu’aucun procès-verbal ne lui soit remis.
Selon ses proches, l’accusation repose sur des entretiens qu’elle a menés avec plusieurs personnalités, dont un député et un membre de l’opposition, son oncle, emprisonnés depuis l’été dernier. Aucun élément ne permet pourtant de considérer que ses travaux constituaient une menace pour la sécurité nationale.
Mère de deux jeunes enfants dont un nourrisson, Rukhshona Khakimova, 31 ans, est restée en assignation à résidence jusqu’à sa condamnation. Figure reconnue du journalisme indépendant au Tadjikistan, elle a travaillé pour des médias influents comme Factcheck.tj, pour lesquels elle a mené des enquêtes sur la corruption, la transparence des institutions et la désinformation. La jeune journaliste a reçu en 2023 un prix national pour l’une de ses investigations, témoignant de son engagement pour une information libre et fiable.
Climat de répression contre la presse
Le cas de Rukhshona Khakimova s’inscrit dans une répression accrue contre les journalistes indépendants au Tadjikistan. Le 10 janvier 2025, le rédacteur en chef du journal régional Paik Ahmad Ibrohim a été condamné à dix ans de prison, une décision arbitraire signant l’arrêt de mort du journalisme indépendant dans la province de Khatlon. Au moins neuf journalistes ont été condamnés ces dernières années à de lourdes peines sous prétexte d’atteintes à la sécurité nationale ou de “corruption”, soit plus que dans tout autre pays d’Asie centrale.