Simulacre de justice au Tadjikistan : le rédacteur en chef de Paik, Ahmad Ibrohim, condamné à dix ans de prison
Gênant pour le pouvoir en raison de ses enquêtes sur des sujets sensibles, le rédacteur en chef du dernier média indépendant de la région de Khatlon, province du sud-ouest du Tadjikistan a écopé de dix ans de prison le 10 janvier, à l’issue d’un procès opaque. Reporters sans frontières (RSF) dénonce cette instrumentalisation de la justice pour réduire au silence les voix critiques et appelle à sa libération immédiate, ainsi qu'à celle des sept autres journalistes emprisonnés dans le pays.
“La condamnation arbitraire d’Ahmad Ibrohim à dix ans de prison signe l’arrêt de mort du journalisme indépendant dans la région de Khatlon, l’une des quatres provinces du Tadjikistan. Cette sentence, résultat d’un procès opaque et sans droit à la défense, montre une fois de plus la détermination des autorités tadjikes à museler les derniers bastions de la presse indépendante. RSF appelle à la libération immédiate d'Ahmad Ibrohim et des autres journalistes emprisonnés.
Détenu depuis le 12 août 2024 pour “corruption”, “extorsion” et “extrémisme”, le rédacteur en chef du journal régional Paik Ahmad Ibrohim nie en bloc ces accusations. En décembre, le journaliste de 63 ans avait adressé une lettre en ce sens au fils du président Rustam Emomali, maire de la capitale, Douchanbé, et président de l’Assemblée nationale. Il rappelait également dans ce courrier son engagement, toute sa vie, contre l’extrémisme, et déplorait l’absence d’accès à un avocat ainsi que l’exploitation par les autorités de photos de sa famille ainsi que de sa correspondance personnelle contre lui.
Privé de défense, Ahmad Ibrohim affirme également dans ses lettres qu’aucun des 13 témoins cités par l’accusation n’a comparu lors du procès tenu à huis clos, a relaté Radio Ozodi, le service en tadjik Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL). Selon les autorités, il aurait offert un pot-de-vin à un membre du service national de sécurité. L’une des sources de Radio Ozodi affirme que cet agent aurait en réalité piégé Ahmad Ibrohim, en lui réclamant l’équivalent de 250 dollars pour le renouvellement de la licence de son journal.
Fermé depuis l’arrestation de son rédacteur en chef, Paik, fondé en 2012, était le dernier média indépendant de la région. Il faisait régulièrement l’objet de pressions et d’amendes en raison de ses articles, n’hésitant pas à exposer l’inaction des autorités, par exemple face aux conditions sanitaires déplorables dans les jardins d’enfants.
Vague de répression
Depuis 2022, au moins six autres journalistes ont été arrêtés et condamnés à des peines de prison longues au Tadjikistan, dans ce qui constitue l’une des vagues de répression les plus graves contre la presse depuis la guerre civile (mai 1992 - juin 1997). Comme dans le cas d’Ahmad Ibrohim, leurs procès ont été entachés d’irrégularités flagrantes, et les accusations portées contre eux relèvent de prétextes pour justifier leur mise au silence.