Il est indéniable que le roi Bhumipol Adulyadej, sur le trône depuis le 5 mai 1950, jouit d'une très grande popularité en Thaïlande. Le régime est celui d'une monarchie constitutionnelle qui lui assigne le rôle de chef de l'Etat et de protecteur des religions. Couronné sous le nom dynastique de Rama IX, Bhumipol Adulyadej, né en 1927, a fait ses études en Suisse et a toujours montré un intérêt particulier au développement agricole et économique du pays.
La dévotion envers le roi est immense en Thaïlande. Ainsi, tous les lundi, des centaines de milliers de Thaïs portent un T-shirt jaune, couleur du lundi, en l'honneur de Bhumipol Adulyadej, né ce jour-là. Mais l'absence de critiques à l'encontre du roi, de sa famille ou du système monarchique, n'est pas seulement liée à une attitude respectueuse envers le monarque. Il existe des lois très strictes qui punissent la libre parole sur cette question.
Aujourd'hui, des milliers de sites Internet sont censurés en Thaïlande. La peur règne dans les milieux intellectuels. Un ressortissant Australien est détenu comme un criminel pour avoir écrit quelques lignes sur un prince thaï. Comment en est-on arrivé là?
Depuis le 20 décembre 2008, un nouveau gouvernement dirige la Thaïlande. L'une de ses priorités est de réguler la Toile. Un peu plus d'un mois après son entrée en fonctions, près de 4 000 sites Internet ont été bloqués en raison de leur “contenu portant atteinte à la monarchie”. Selon le ministère de la Justice, 10 000 sites comporteraient des commentaires et des articles critiquant la monarchie. La nouvelle ministre de l'Information, Ranongruk Suwanchawee, a décidé de consacrer 80 millions de bahts (près de 1,7 million d'euros) à la création d'un réseau de filtrage de l'Internet (“war room”) dans le royaume.
Selon les informations recueillies pas Reporters sans frontières, il semble qu'une réforme des lois sur le crime de lèse-majesté ne pourrait venir que du palais. C'est pour cette raison que notre organisation s'adresse directement au souverain pour lui demander de trouver une solution à cette crise qui met en péril la liberté d'expression dans le royaume.
Mais, à 81 ans, le monarque est en fin de règne. Se pose également la question de la succession. Le prince héritier Wachiralongkorn sera-t-il aussi populaire que son père ? Et si ce n'était pas le cas, les autorités utiliseront-elles la loi sur le crime de lèse-majesté pour réprimer encore plus sévèrement toutes les critiques ?
La Thaïlande est à juste titre un modèle de liberté de la presse en Asie du Sud-Est. La presse est libre et variée, mais les journalistes ont tous un point en commun : ils s'auto-censurent pour ce qui touche à la monarchie.
Face à cette situation, Reporters sans frontières appelle à une réforme rapide des lois régissant le crime de lèse-majesté. Outre la censure sur Internet, ce délit aurait déjà permis l'incarcération d'une centaine de personnes. Ce rapport raconte notamment l'histoire de six personnes victimes d'une enquête ou d'une condamnation pour crime de lèse-majesté. “Quiconque diffame, insulte ou menace le roi, la reine, le prince héritier ou le régent” commet un crime de lèse-majesté. Les contrevenants risquent “de trois à quinze ans de prison” (art 112 du code pénal de Thaïlande relatif aux offenses à la sécurité nationale). Il y a dix ans, Amnesty International affirmait que “le dernier cas de l'utilisation de cette loi dat(ait) de 1991” ! Désormais, il ne se passe plus une journée sans que l'Alliance du peuple pour la démocratie (PAD), l'un des partis représentés dans le gouvernement, ne redouble d'effort pour faire taire les critiques. Tout cela au nom du respect du roi.
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Télécharger le rapport "Son intouchable Majesté - Censure et emprisonnement : les abus au nom du crime de lèse-majesté"