RSF interpelle le Premier ministre thaïlandais et les rapporteurs spéciaux de l’ONU pour empêcher le retour de journalistes exilés vers la Birmanie
Trois journalistes et deux défenseurs de la liberté de la presse arrêtés par la police en Thaïlande où ils s’étaient réfugiés risquent d’être renvoyés en Birmanie où leur vie est en danger. Reporters sans frontières (RSF) demande au Premier ministre thaïlandais Prayut Chan-o-cha d’empêcher leur expulsion et saisit les rapporteurs spéciaux de l’ONU sur la liberté d’opinion et d’expression, sur la Birmanie et sur la torture ainsi que le Haut Commissariat pour les réfugiés (UNHCR).
Ils risquent de retourner en enfer. Dimanche 9 mai, trois reporters travaillant pour le groupe birman indépendant Democratic Voice of Burma (DVB), qui produit des programmes de télévision et de radio, et deux défenseurs de la liberté de la presse ont été arrêtés à Chiang Mai, une grande ville au nord de la Thaïlande proche de la Birmanie, lors d’un contrôle de routine. Ils sont désormais poursuivis pour entrée illégale dans le territoire thaïlandais et menacés d’être expulsés vers leur pays d’origine où l’armée a pris le pouvoir le 1 février et exerce une répression de plus en plus sanglante.
Les trois journalistes, dont DVB, pour des raisons de sécurité, préfère ne pas révéler les noms, avaient couvert le coup d’Etat et les manifestations pro-démocratie jusqu’au 8 mars, date à laquelle la junte a brutalement révoqué la licence de DVB et de quatre autres grands médias indépendants. Le groupe a alors été contraint de stopper toutes ses activités dans le pays. Les journalistes de DVB ont cependant continué à couvrir la situation depuis des pays limitrophes, dont la Thaïlande, comme ils avaient déjà été contraints de le faire sous le régime militaire précédent, il y a 10 ans.
Fuir ou souffrir
Créé en 1992 par des expatriés birmans basés en Thaïlande (à Chiang Mai), et en Norvège (à Oslo), pour “fournir une information non censurée à la Birmanie”, Democratic Voice of Burma, a été particulièrement visé par la répression militaire. A ce jour, cinq de ses reporters sont toujours en détention sur les 50 journalistes actuellement emprisonnés dans le pays. L’un d’eux, le correspondant pour DVB Min Nyo a été sérieusement blessé lors de son arrestation, le 3 mars dernier, et vient d’être condamné à trois ans de prison, ce 12 mai. Son collègue caméraman Thura Soe a lui été arrêté par une dizaine de militaires qui ont tiré des coups de feu devant son domicile à Rangoun, dimanche 24 avril au soir.
Au moins trois autres journalistes de DVB, dont le célèbre présentateur Ye Wint Thu sont sur la liste noire établie par la junte militaire et visés par un mandat d’arrêt. Sur la base de la section 505 a du Code Pénal, ils risquent jusqu’à trois ans de prison pour diffusion d’information portant atteinte aux intérêts de l’armée.
“Dans ce contexte d’emprisonnements arbitraires et de violences extrêmes à l’égard des journalistes et des civils birmans, le renvoi des journalistes vers la Birmanie constitue une grave menace pour leur liberté et leur sécurité, dénonce la porte-parole de RSF, Pauline Adès-Mével, qui précise que l’organisation a lancé un appel urgent au Premier ministre Prayut Chan-o-cha pour que la Thaïlande “applique le principe de non-refoulement comme son pays s’y était engagé en ratifiant la Convention des Nations Unies contre la torture.”
RSF a également saisi les rapporteurs spéciaux de l’ONU sur la liberté d’opinion et d’expression, sur la Birmanie et sur la torture, ainsi que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) pour leur demander d'agir auprès des autorités thaïlandaises afin qu'elles accordent protection et asile à ces journalistes.
Face à l’interdiction des médias indépendants et à la persécution des journalistes par les autorités militaires, nombreux sont ceux qui ont fait le choix de l’exil. A l’inverse, ceux qui ont préféré rester sur place pour continuer de couvrir les événements ont été férocement pris pour cible par la junte militaire : des journalistes ont été la cible de tirs à balles réelles lors des manifestations, certains ont fait l’objet de mandats d’arrêts, leur domicile ont été perquisitionnés, quand ils n’ont pas été tout simplement enlevés, voire torturés une fois tombés aux mains de la junte.
Ce 12 mai, soit 100 jours après le coup d’Etat, la répression perpétrée par le pouvoir militaire a fait 783 morts et plusieurs milliers de personnes sont maintenues en détention, selon l’Association birmane d'assistance aux prisonniers politiques (AAPP).
La Birmanie occupe la 140e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.