RSF appelle à la libération de Maxence Melo, co-fondateur du site d’information Jamii Forums
Reporters sans frontières condamne vivement l'arrestation par la police tanzanienne du co-fondateur du site Maxence Melo, à son domicile le 14 décembre 2016. Elle demande la libération immédiate du responsable du site, l’un des forums d’information les plus importants d’Afrique de l’Est.
Depuis plusieurs mois, les autorités harcèlent Maxence Melo pour qu’il révèle l’identité des contributeurs anonymes de ce site qui ont participé à révéler des scandales de corruption impliquant plusieurs grandes compagnies privées proches du pouvoir.
Jusqu’à ce jour, Mello a refusé de répondre à ces injonctions qui se fondent sur l’article 32 du très controversé Cybercrime Act en vertu duquel la police peut demander ces informations dans le cadre d’enquêtes judiciaires. Or malgré les demandes répétées de la part de Jamii Forums pour savoir quelles offences étaient reprochées à ses usagers et de là décider comment répondre aux demandes de la police, cette dernière n’a jamais pu montrer que des enquêtes judiciaires avaient été ouvertes.
Selon l’avocat de Maxence Melo, la police a par ailleurs porté ses requêtes devant un tribunal, sans que Jamii Forums en soit averti pour demander l’exécution de ses requêtes. Maxence Mello serait donc aujourd’hui arrêté pour ne pas s’être présenté à des audiences dont il n’avait pas été informé… Il aurait violé l’article 22 concernant l’obstruction des enquêtes et prévoyant un minimum d’un an de prison et/ou 3 millions de Shillings tanzaniens. Or à ce jour, la police n’a toujours pas pu montrer qu’une enquête était ouverte, rendant donc l’article 22 inapplicable.
“Nous dénonçons cette arrestation abusive qui vise à intimider M. Melo et demande sa libération immédiate, déclare Reporters sans frontières. La question judiciaire est ici instrumentalisée dans une logique politique, visant à museler les critiques de ceux proches du pouvoir. Depuis son arrivée à la tête de l’Etat, le président Magufuli prône la lutte contre la corruption. Or ici, ce sont ceux-là même qui dénoncent cette corruption qui se retrouvent inquiétés !"
En plus de demander à la police de motiver ses requêtes, Jamii Forums conteste depuis plusieurs mois la constitutionnalité du Cyber crime act, notamment ses articles 32 permettant de révéler les sources et 38 prévoyant des interrogatoires au secret par la police.
Selon plusieurs sources, la loi aurait été rédigée dans la perspective d’être appliquée spécifiquement à Jamii Forums. En effet, ce site constitue la plus grande plateforme d'information citoyenne en Afrique de l’Est. Rédigée essentiellement en Swahili, le site garantit l'anonymat de ses usagers vis-à-vis de l’extérieur tout en effectuant des vérifications sérieuses d’identité pour éviter la désinformation. Selon Maxence Melo, rencontré en septembre par RSF, plus de 50% des parlementaires sont abonnés au forum. Plusieurs journalistes ont confirmé que nombre de leurs articles de fond sur des questions de corruption, avaient trouvé leur origine dans des informations révélées par les usagers de Jamii Forums.
Pour l’avocat de Jamii Forums, Benedict Ishabakaki, “la protection des sources est au coeur de la démocratie. Si le public est menacé lorsqu’il partage une information, il se retrouve muselé et empêche de demander des comptes à son gouvernement, de plaider pour ses droits.”
L’arrivée au pouvoir du Président Magufuli en octobre 2015 a marqué un durcissement vis-à-vis des médias; plusieurs radios ont été suspendues en l’espace de quelques mois et une dizaine de personnes sont poursuivies en raison de leurs publications sur les réseaux sociaux. Les journalistes rencontrés par RSF disent avoir perdu toute marge de manoeuvre pour critiquer le président ou ses proches. Les sanctions (du coup de fil menaçant au procès) ne se font pas attendre.
En novembre, le président a ratifié le Media Services Bill, une nouvelle loi sur les médias, qui remplace le Newspaper Act datant des années 1970. Ce nouveau texte a été très critiqué par les organisations de médias ainsi que le Media Tanzania Council qui déplore que ses recommandations n’aient pas été prises en compte. Elle prévoit notamment de lourdes peines de prison et d’amende, et restreint l’espace de liberté des journalistes en permettant plus de contrôle sur le contenu des publications et rendant obligatoire l’enregistrement des journalistes. Par ailleurs, elle oblige tout utilisateur de plateformes de médias sociaux et leurs contributeurs à être accrédités…
La Tanzanie occupe la 71ème place sur 180 pays dans l’édition 2016 du Classement de la liberté de la presse établi par RSF.