Rapport sur les atteintes à la liberté de la presse en République du Bélarus

Avril 2002 - Enquête : Alexandre Lévy - Jean-Christophe Menet 2002, vers une "détente" en matière de liberté de l'information ? L'état de la liberté de la presse en République du Bélarus est classé depuis plusieurs années par Reporters sans frontières parmi les situations les plus graves à travers le monde. Le maintien d'un régime de type soviétique en Biélorussie après la dissolution de l'URSS en 1991, la dérive autoritaire du président Alexandre Loukachenko à compter de 1996 et l'isolement du pays sur la scène internationale, n'ont pas permis à cette situation de s'améliorer significativement depuis lors. La République du Bélarus est le seul Etat du continent européen à n'être ni membre, ni "invité" du Conseil de l'Europe, alors que l'Ukraine et la Russie ont rejoint l'organisation paneuropéenne respectivement en 1995 et 1996. Le peu d'intérêt que suscite par ailleurs ce pays de seulement dix millions d'habitants, dont un quart de la population a été décimé pendant la Seconde Guerre mondiale, et qui, plus récemment, a été particulièrement touché par la catastrophe de Tchernobyl (23% du territoire y est contaminé contre seulement 5% pour l'Ukraine), achève de l'isoler davantage. La question de la liberté de l'information est, aujourd'hui, une donnée clé de toute perspective d'évolution démocratique en Biélorussie. Bien que les principaux médias du pays, la télévision d'Etat et le plus gros tirage de la presse quotidienne, soient directement contrôlés par le pouvoir, se sont développées néanmoins une presse d'opposition, une presse économique, une presse populaire et une presse régionale indépendantes. Elles se heurtent aux monopoles d'Etat en matière d'impression et de diffusion, à la pression du pouvoir sur les annonceurs, aux subventions réservées aux médias contrôlés par l'Etat, à l'interdiction des financements étrangers. Elles font, par ailleurs, toujours l'objet de diverses mesures d'intimidation. L'affaire de la disparition du cameraman Dmitri Zavadski en 2000 a fortement marqué la communauté journalistique, d'autant que le procès, en mars 2002, des assassins présumés du journaliste n'a pas cherché à faire toute la lumière sur les circonstances exactes de son enlèvement, et que de graves zones d'ombre subsistent. L'élection présidentielle de septembre 2001 a, par ailleurs, été précédée de nombreuses pressions de toute nature sur les publications les plus critiques à l'égard du pouvoir. Depuis lors, les autorités biélorusses ont annoncé des réformes touchant au secteur de l'information, notamment la création d'une seconde chaîne nationale non contrôlée par l'Etat et le vote d'une nouvelle loi sur la presse, dont le texte a fait l'objet d'un échange de vues en janvier 2002, à Strasbourg, entre le ministre de l'Information et la Commission de la science, de la culture et de l'éducation de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Une délégation de Reporters sans frontières a rencontré, du 2 au 8 mars 2002, à Minsk, des responsables de la presse d'opposition, ainsi que le ministre de l'Information et des personnalités proches du pouvoir. Ces entretiens ont confirmé l'importance accordée par chacun de ces interlocuteurs au dialogue engagé avec l'Europe sur les questions de liberté de l'information. Le Bélarus n'a jamais été membre du Conseil de l'Europe et son statut d'"invité spécial" de l'Assemblée parlementaire, qui maintenait une perspective d'adhésion, a été suspendu en 1997. Le Conseil de l'Europe semble pourtant l'organisation le mieux à même d'accompagner une éventuelle évolution du pays vers les standards démocratiques en matière de liberté de la presse. Les relations entre Minsk et l'OSCE, la seule organisation paneuropéenne dont la Biélorussie est encore membre, sont en effet toujours plus tendues depuis la campagne pour l'élection présidentielle de 2001. Le pouvoir accuse l'organisation de travailler au renversement du régime, refuse le retour sur le territoire du chef de la mission locale de l'OSCE et demande la fermeture du bureau de la mission à Minsk. Dans le même temps, les autorités biélorusses annoncent vouloir engager des réformes en matière d'information, en conservant la maîtrise du processus, mais en se montrant ouvertes, dans une certaine mesure, aux demandes du Conseil de l'Europe. Le moratoire sur la peine de mort demandé par l'organisation européenne devrait également être prochainement discuté par le Parlement. Sur la base des témoignages recueillis par Reporters sans frontières à Minsk, le présent rapport a pour objet de dresser les grands traits du paysage de la presse en Biélorussie, de recenser les principales atteintes à la liberté de l'information et d'évoquer les perspectives ouvertes par les réformes envisageables dans le cadre d'un dialogue avec les organisations européennes. Ces éléments conduisent Reporters sans frontières à recommander à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe d'intensifier les échanges avec la Biélorussie sur les questions de liberté de l'information, d'appuyer le développement d'une presse libre et pluraliste, et de poser des conditions - précises -, en matière de liberté de l'information, à un éventuel rétablissement de liens plus formels entre la Biélorussie et le Conseil de l'Europe.
Etat des lieux des médias biélorusses
Un paysage singulier
La télévision nationale biélorusse, qui comprend une seule chaîne directement contrôlée par le pouvoir, ne permet aucun pluralisme de l'information. Un millier de périodiques sont enregistrés auprès du ministère de l'Information, dont beaucoup de publications institutionnelles de ministères, de "conseils régionaux de députés", d'associations publiques, entreprises d'Etat, kolkhozes et autres établissements scientifiques et d'enseignement. Mais seuls une vingtaine d'hebdomadaires et de quotidiens nationaux et régionaux relèvent de la presse généraliste d'information. Un seul d'entre eux, contrôlé par l'administration présidentielle, représente plus de la moitié du tirage total de l'ensemble des quotidiens et hebdomadaires du pays. La presse dite d'opposition, en butte à de nombreuses mesures discriminatoires, ne parvient pas, tous titres confondus, à égaliser le tirage du grand quotidien d'Etat. Ce paysage singulier ne doit cependant pas masquer la diversité des médias existant actuellement en Biélorussie et le développement de certains d'entre eux. Monopole et désaffection de la télévision d'Etat
Le pouvoir des chaînes russes La seule chaîne nationale de télévision, BT 1, est entièrement contrôlée par le pouvoir. Les Biélorusses peuvent néanmoins regarder, et ils le font massivement, toutes les grandes chaînes nationales russes : ORT, RTR, NTV... Les plus fortunés peuvent également s'abonner au câble au prix de 18 à 20 dollars par mois et recevoir ainsi les principales chaînes internationales. Dans certains quartiers de Minsk, certaines chaînes internationales peuvent même être captées sans aucun abonnement. En revanche, dans les régions, seules les chaînes russes et la chaîne d'Etat sont captées. De nombreuses villes et régions possèdent leurs propres chaînes, le plus souvent câblées, mais qui se bornent à diffuser des programmes de divertissements ou d'infos pratiques locales. La chaîne de télévision nationale BT 1, de l'aveu même de proches du pouvoir, n'est pas " à la hauteur ". Vieux films soviétiques en noir et blanc, programmes historiques et folkloriques y côtoient le journal télévisé et quelques flashes d'information quotidiens. Démodée voire ennuyeuse, BT 1 privilégie l'information sur les initiatives des représentants du pouvoir, en premier lieu le Président, et réalise de faibles scores d'audience. Les chaînes de télévision russes occupent cet espace russophone laissé vide, notamment ORT, "première chaîne" dans les foyers biélorusses. Leur influence auprès de la population est immense. Les Biélorusses suivent non seulement les programmes de divertissements et les films diffusés en masse par les chaînes russes, mais aussi les talk-shows, les émissions politiques et les journaux télévisés. " ORT peut facilement décider de l'avenir politique de ce pays ", analyse un diplomate occidental en poste à Minsk. De fait, le soutien implicite des chaînes de télévision russes à Alexandre Loukachenko, à la veille de l'élection présidentielle de septembre 2001, a été décisif pour sa victoire. " Il s'agissait d'un arrangement avec leurs propriétaires, des industriels qui sont eux-mêmes des proches du Kremlin : le soutien de leur média en échange d'ouvertures sur le marché biélorusse ", confie un analyste de Minsk. " Mais Loukachenko tarde un peu à honorer ses promesses, d'où le changement de ton récent à son égard." Effectivement, plusieurs observateurs biélorusses signalent une attitude de plus en plus critique d'ORT à l'égard du Président. Début 2002, il avait notamment été interviewé de façon très incisive par le présentateur d'un programme phare d'ORT. " C'est la première fois que les téléspectateurs biélorusses ont pu voir leur Président traité de la sorte." Ce changement de ton pourrait également s'expliquer par le réchauffement des relations américano-russes à la faveur des conséquences du 11 septembre et la volonté du Kremlin de se dissocier, du moins dans les formes, d'un Etat " voyou ", selon la terminologie américaine. En avril 2002, le correspondant de la chaîne russe NTV, Pavel Seline, a été menacé d'un retrait de son accréditation de correspondant étranger pour la diffusion d'informations "tendancieuses et infondées" dans ses reportages sur la répression à l'encontre de l'opposition biélorusse. Un autre correspondant de NTV, Alexandre Stoupnikov, avait été privé de son accréditation en 1997. Un mastodonte au service du Président
Sovietskaïa Bielorussia Le journal Sovietskaïa Bielorussia (Biélorussie soviétique) est, incontestablement, avec 330 000 exemplaires, le poids lourd de la presse quotidienne dans le pays. Il appartient directement à une association de membres de l'administration présidentielle. L'Etat en est son unique actionnaire. C'est le seul journal diffusé sur l'ensemble du territoire biélorusse, jusqu'au moindre village. Toutes les administrations et institutions officielles sont abonnées à Sovietskaïa Bielorussia, y compris les entreprises d'Etat et les bibliothèques. Le journal est imprimé dans la Maison de la presse, l'imprimerie d'Etat, et bénéficie du réseau postal du pays à des prix préférentiels. Son prix d'achat, et surtout d'abonnement, est également en dessous de celui des journaux d'opposition dont les responsables l'accusent fréquemment de " concurrence déloyale ". Sovietskaïa Bielorussia bénéficie de spots publicitaires à la télévision nationale et de campagnes d'affichage dans les grandes villes. Le journal a trois éditions bien étoffées, une pour la province, une pour Minsk (d'une grande qualité infographique et typographique en comparaison des autres journaux) et une dominicale. L'ensemble des entreprises d'Etat biélorusses ainsi que quelques compagnies russes achètent régulièrement de l'espace publicitaire au journal. Pavel Yakoubovitch, le rédacteur en chef de Sovietskaïa Bielorussia, ne cache ni ses liens très proches avec le chef de l'Etat, ni l'objectif premier de sa publication : servir les intérêts de la présidence biélorusse. Ainsi, à la veille de l'élection de septembre 2001, qui a vu la réélection du président Loukachenko pour un troisième mandat, M. Yakoubovitch a mobilisé toute son équipe d'une cinquantaine de journalistes afin d'assurer la meilleure couverture médiatique de la campagne menée par le président sortant. Sovietskaïa Bielorussia a ainsi relayé fidèlement les faits et gestes du Président et usé de son influence afin de discréditer les candidats de l'opposition et l'action des défenseurs des droits de l'homme biélorusses. Même si, en privé, M. Yakoubovitch confesse son attachement aux valeurs démocratiques en vigueur en Europe de l'Ouest et considère que la place et l'avenir de la Biélorussie sont bien dans une Europe élargie, son journal s'oppose farouchement à la présence de la mission de l'OSCE en Biélorussie : " A la différence d'autres pays ex-communistes, notre pays effectue une transition pacifique et progressive, sans heurts ethniques, ni grands bouleversements sociaux. Pourquoi maintenir la présence de l'OSCE ici ? Nous ne sommes pas dans les Balkans ! " M. Yakoubovitch attribue à son journal une mission " éducative " et " culturelle ". " Nous souhaitons que Sovietskaïa Bielorussia soit un véritable vecteur de la culture et de la littérature dans notre pays. Que nos citoyens continuent à lire et à s'éduquer." Il va sans dire qu'à la différence des journaux d'opposition, Sovietskaïa Bielorussia ne connaît aucun problème de diffusion ni d'impression. Dans ce journal, pas de contrôles fiscaux mensuels, ni de harcèlement judiciaire ou administratif de la part des autorités. Une plainte a été néanmoins déposée contre le journal, début mars, par la présidente du Comité Helsinki biélorusse, Mme Tatiana Protko, qui a eu la surprise de lire au cours de la campagne électorale un article qui citait des extraits de ses conversations privées avec des représentants de l'OSCE à Minsk. " Il s'agit d'une série de conversations que j'ai eues au téléphone et dans le bureau du chef de la mission de l'OSCE à Minsk, strictement privées et confidentielles, explique-t-elle. Quelqu'un les avait probablement enregistrées dans le but de me compromettre, moi et surtout la mission de l'OSCE. J'ai décidé de porter plainte pour violation de ma vie privée. " M. Yakoubovitch, visiblement mal à l'aise dans cette affaire, s'est également expliqué : " Oui, on m'a bien transmis ce document du Conseil de sécurité de l'Etat. Les informations qu'il contenait étaient visiblement obtenues par des moyens peu catholiques, mais ce n'était pas mon affaire. En tant que responsable du plus grand journal gouvernemental, la loi m'oblige à publier tous les documents officiels que l'on me transmet... Je l'ai fait, avec un petit commentaire de ma part expliquant la procédure et l'origine de l'info. " Aurait-il publié cette information s'il n'y avait pas été " obligé " par la loi ? " Personnellement, non, répond le rédacteur en chef. Parce que je trouve que les méthodes utilisées donnent une très mauvaise image de notre pays. Mais ai-je le choix ? Je ne suis qu'un exécutant. Si j'avais été le propriétaire de Sovietskaïa Bielorussia, j'aurais changé beaucoup de choses dans ce journal, à commencer par son titre qui rappelle trop l'Union soviétique, mais ce n'est pas le cas." " Répondre à la propagande par de la propagande "
Le quotidien Narodnaïa Volia Le quotidien Narodnaïa Volia, dirigé par l'ancien directeur du journal parlementaire Iosif Syaredzich, est classé parmi les plus " critiques " dans la demi-douzaine de journaux d'opposition. Narodnaïa Volia, qui tire à 37 000 exemplaires, et son directeur font ainsi l'objet d'au moins deux procédures judiciaires pour " diffamation " et ont reçu de nombreux avertissements du Comité d'Etat pour la presse. Au moins à deux reprises, à la veille de l'élection présidentielle, le Comité d'Etat pour la presse a contraint les journalistes de Narodnaïa Volia de sortir le journal avec des " carrés blancs " à la place d'articles critiquant le gouvernement. Mais son directeur, connu pour son énergie et sa détermination, ne semble pas affecté par ces entraves : " J'ai l'habitude des procès et des problèmes d'impression ", affirme-t-il en rappelant que son journal a dû, par le passé, être imprimé en Lituanie. Narodnaïa Volia emploie une dizaine de jeunes journalistes, d'une trentaine d'années en moyenne, dont le directeur loue l'énergie : " Ils écrivent près de cinq papiers par jour, ils courent les conférences de presse, surveillent l'impression du journal et cela sept jours sur sept." Réputé pour sa virulence (on traite régulièrement dans les pages de Narodnaïa Volia le président Loukachenko de " fasciste " et de " criminel "), le journal est fréquemment pointé du doigt pour son parti pris, voire le manque de professionnalisme de ses journalistes. " Mes journalistes n'ont pas besoin de stages à l'étranger. S'ils y vont, ce n'est pas pour apprendre mais pour se reposer. Je serais curieux de voir comment un journaliste occidental pourrait tenir leur rythme de travail ici ", rétorque M. Syaredzich. Pourtant, il ne cache pas les objectifs de son journal : " Il faut répondre à la propagande menée par l'Etat par notre propre propagande, plus forte et plus intelligente. Mais pour l'instant, le pouvoir a la supériorité numérique : comment faire concurrence aux journaux de l'Etat qui tirent à près de 400 000 exemplaires ? " M. Syaredzich se dit fier d'être " à 100 % " propriétaire de son journal et appelle de ses vœux des investisseurs étrangers : " J'ai besoin d'un soutien financier pour augmenter mon tirage et développer mon journal." Jusqu'à présent, seules quelques subventions américaines sont venues s'ajouter aux recettes du journal, déplore-t-il, en critiquant la " frilosité " et la " pingrerie " de l'Union européenne. Le directeur du journal avoue également ne pas bénéficier d'entrées publicitaires, aucune entreprise ne voulant s'afficher dans ses pages par peur de représailles des autorités. Un quotidien économique indépendant et influent
Belaruskaïa Delovaïa Gazeta (BDG) Les recettes publicitaires ne sont pas un problème pour le principal quotidien économique du pays, Belaruskaïa Delovaïa Gazeta (BDG), pourtant opposé à la politique officielle biélorusse. " Même si des entreprises d'Etat n'ont pas encore franchi le pas, les grandes compagnies internationales présentes dans le pays s'affichent volontiers dans BDG ", explique Svetlana Kalinkina, rédactrice en chef adjointe du journal. Pour elle, la situation ne fait que s'améliorer depuis les " années noires " du régime de Loukachenko, à savoir après la dissolution du Parlement en 1996. " Nous avons adopté une stratégie de différenciation de l'opposition ", explique Mme Kalinkina. Son objectif est de faire de BDG un journal " complet ", indispensable pour la compréhension de l'évolution du pays. Les lecteurs sont plutôt des cadres urbains, des dirigeants d'entreprises privées, des universitaires... La diffusion du journal, souvent absent ou boudé dans les campagnes, se concentre sur les grandes villes, notamment la capitale, Minsk. Pour cela, la direction du journal a décidé de se priver des services du réseau de diffusion contrôlé par l'Etat, Belpost, qui pratique des tarifs dissuasifs pour la presse privée. " Nous avons mis en place notre propre réseau de diffusion, composé de colporteurs et de points de vente privés ", poursuit la journaliste. De fait, le journal emploie un certain nombre de dames âgées (les " babouchkas ") à la retraite et de jeunes, dans la capitale et en province, qui vendent le journal dans les passages piétons souterrains et sur certaines grandes avenues des villes. Ces derniers ont souvent maille à partir avec la police qui les poursuit au gré des humeurs du pouvoir - notamment à la veille des élections - pour " vente illégale " ou " mendicité ". " A Minsk, nous avons souvent des problèmes de diffusion, se plaint Mme Kalinkina. A Gomel nous sommes pratiquement interdits alors qu'à Brest tout se passe à merveille. Tout dépend de l'attitude des autorités locales." La journaliste affirme que le journal fait tout le nécessaire pour acquérir les licences indispensables à la vente par colportage et s'assure que les " babouchkas " possèdent tous ces documents. " Mais il leur arrive toujours d'être arrêtées par la police ", déplore-t-elle. Le tirage de BDG est de 25 000 à 27 000 exemplaires par jour. L'édition du week-end, très étoffée, connaît des pics d'impression et de diffusion. Le journal tire essentiellement ses revenus de la vente (la diffusion par abonnement étant très limitée à cause des tarifs dissuasifs pratiqués par la Poste) et de la publicité. Le projet Internet du journal bénéficie néanmoins d'une bourse d'assistance européenne du programme Tacis. Après avoir utilisé les services de la maison d'édition Magic, qui a été contrainte de cesser l'impression de journaux d'actualité, BDG est mis sous presse dans une petite entreprise d'Etat - Krasnaïa Zvezda - dont le propriétaire prend ses ordres au plus haut niveau de l'Etat. Néanmoins, cette " normalisation " de la situation du journal est, pour de nombreux observateurs, une conséquence directe du changement de stratégie des journalistes, devenus beaucoup moins virulents et moins critiques envers le pouvoir. Pour Mme Kalinkina, il s'agit plutôt d'une " professionnalisation " du journal. Elle rappelle que BDG est à l'origine des récentes révélations concernant d'éventuelles ventes d'armes par le gouvernement biélorusse à l'Irak, une information qui a provoqué l'ire de l'administration américaine. Comme tous les journaux non contrôlés par l'Etat, BDG fait l'objet de nombreux avertissements de la part du Comité d'Etat pour la presse et ses responsables se retrouvent fréquement devant les tribunaux du pays. " Mais nous gagnons tous nos procès ", se réjouit Mme Kalinkina. Le quotidien emploie une trentaine de jeunes rédacteurs, qui ont généralement " appris le métier sur le tas " ainsi que de nombreuses signatures de prestige : économistes, écrivains, universitaires. " Nous avons l'ambition de devenir le journal le plus influent du pays ", rappelle la rédactrice en chef adjointe qui déplore néanmoins la concurrence " déloyale " de la presse gouvernementale ainsi que le monopole de l'Etat sur l'affichage publicitaire en ville. Ainsi, à l'occasion du dixième anniversaire de la naissance de BDG, la direction du journal a voulu acheter, en vain, plusieurs panneaux publicitaires à Minsk pour annoncer la nouvelle. La mairie a refusé en bloc les propositions de la rédaction. Néanmoins, se console Mme Kalinkina, tout le gratin politique et journalistique, d'opposition comme proche des autorités, était présent à la fête organisée à cette occasion. Un tabloïd de Moscou prospère à Minsk
Komsomolskaïa Pravda En Biélorussie, les principaux journaux d'opposition ne dépassent que très rarement, notamment lors des éditions spéciales publiées pendant la campagne électorale, les 30 000 exemplaires. En comparaison, les journaux d'Etat dans leur ensemble arrivent effectivement à un tirage de près de 400 000 exemplaires, dont au moins 300 000 pour la seule Sovietskaïa Belorussia, dépendant directement de l'administration présidentielle. Leur seule concurrence s'avère être le quotidien Komsomolskaïa Pravda, l'ancien organe des jeunesses communistes édité à Moscou devenu, depuis la perestroïka, un tabloïd tiré à plusieurs millions d'exemplaires à travers toute la Russie et certaines républiques ex-soviétiques. " Nous sommes un journal russe, enregistré en Biélorussie et dépendant de la loi locale sur la presse ", précise Julia Slutskaïa, rédactrice en chef de l'édition pour la Biélorussie de Komsomolskaïa Pravda, basée à Minsk. " Tous les jours, nous produisons plusieurs pages sur l'actualité locale y compris, lorsque l'actualité l'exige, la une du journal. Le reste vient de la rédaction centrale de Moscou. Certains week-ends, nous diffusons jusqu'à 325 000 exemplaires en Biélorussie." Mme Slutskaïa affirme également que le journal ne reçoit pas de financement de Moscou, et que la force du journal est sa politique rédactionnelle. A savoir ? " Faire de l'information de proximité, se mettre toujours au niveau du lecteur moyen, utiliser des photos et des titres accrocheurs... " Une technique de tabloïd " à l'anglaise ", admet-on à la rédaction. Mme Slutskaïa a d'ailleurs effectué un stage à Londres et elle défend cette approche de l'actualité : " Nous ne voulons surtout pas faire un bulletin politique, nous voulons que notre journal soit rentable et pour cela il faut qu'il intéresse un maximum de gens." Ainsi, le 5 mars, alors que l'ensemble de la presse biélorusse et russe analysait en détail le déroulement du sommet d'Alma Ata, au Kazakhstan, des pays membres de la CEI, la Communauté des Etats indépendants qui a succédé à l'URSS, Komsomolskaïa Pravda titrait sur les prouesses en ski du président russe Vladimir Poutine en marge de ce même sommet. Plus généralement, le journal évite de s'en prendre personnellement au président biélorusse. C'est probablement la raison pour laquelle il a toujours été mis sous presse dans la principale imprimerie officielle, la Maison de la presse. " C'est la seule qui peut supporter l'impression de la maquette plutôt complexe de notre journal ", précise la rédactrice en chef. Komsomolskaïa Pravda, dont le tirage ne cesse de monter en Biélorussie, bénéficie également d'un système de diffusion original, à travers le réseau d'Etat et des points de vente qui lui sont propres. Sa diffusion reste néanmoins moindre dans les campagnes, où, rappelle Mme Slutskaïa, ceux qui lisent la presse sont abonnés presque par défaut au journal d'Etat, Sovietskaïa Bielorussia. Une radio semi-clandestine
Radio Racija En guise d'adresse sur la carte de visite des journalistes de Radio Racija figure une simple boîte postale à Minsk, un e-mail et un numéro de téléphone mobile polonais. Une partie de la rédaction de cette radio héritière de la célèbre radio 101.2 FM fermée en 1996 par les autorités, s'obstine à travailler depuis la capitale biélorusse alors que son siège est désormais à Varsovie, en Pologne, d'où émet Radio Racija. " Officiellement, nous sommes enregistrés ici comme une petite entreprise privée ", reconnaît le rédacteur en chef de la station, Yuras Karmanau, à la tête d'une poignée de journalistes qui travaillent quasi clandestinement depuis un studio improvisé dans un grand appartement discret situé au fond d'une arrière-cour au centre de Minsk. En 1996, à la veille du référendum sur le prolongement du mandat du président Loukachenko, la radio 101.2 avait été fermée parce que ses émissions interféraient, selon les autorités, avec la fréquence utilisée par la police à Minsk. " Un prétexte technique, alors qu'il s'agissait d'une décision purement politique ", rappelle Yuras. Pour preuve, les autorités biélorusses n'ont jamais voulu envisager une solution technique à ce prétendu problème de fréquence ; elles se sont bornées à décréter la fermeture pure et simple de la station et sa fréquence a été attribuée à une station contrôlée par une organisation de jeunes proches du Président. Après trois ans de déboires techniques et de négociations, les journalistes de la radio ont néanmoins obtenu du gouvernement polonais l'autorisation de travailler et d'émettre en ondes longues, courtes et moyennes depuis Varsovie, officiellement en direction de l'importante minorité biélorusse vivant à l'est de la Pologne. En réalité, Radio Racija peut être écoutée sur presque tout le territoire de la Biélorussie, même si la qualité de la transmission laisse à désirer. Selon Yuras Karmanau, la station bénéficie du soutien de nombreux Biélorusses vivant en Pologne et surtout d'une aide fournie par le Département d'Etat américain. " En revanche, nous ne recevons pas un euro de l'Europe ", souligne le journaliste. Les reporters et techniciens travaillant pour Racija sont tous très jeunes, férus de nouvelles technologies et d'Internet, formés pour la plupart dans des écoles de journalisme américaines. Il pratiquent ainsi un journalisme aux normes " occidentales ", fait d'interviews, d'émissions de news et de programmes culturels faisant la promotion de la langue et de la culture biélorusses par opposition à Moscou. " Nous avons l'ambition d'être une radio d'informations, objective et réaliste ", explique Yuras. Racija réalise deux heures de direct quotidien mais il reste impossible d'évaluer son impact auprès de la population. " Nous sommes très écoutés à Minsk et surtout dans les campagnes, où les gens ne parlent que le biélorusse ", affirme son rédacteur en chef, alors que, pour de nombreux diplomates occidentaux, l'audience et l'influence de la radio restent insignifiantes. " On ne peut pas faire de la concurrence aux radios FM officielles qui diffusent de la bonne musique et ont un son bien meilleur, leurs émetteurs étant basés dans le pays ", souligne l'un d'entre eux. Malgré leur statut de quasi-clandestins, les journalistes de Radio Racija arrivent néanmoins à produire un certain nombre de sujets depuis Minsk. " Mais si nous n'avons aucun problème d'accès aux leaders de l'opposition, les officiels nous boudent ", déplore Yuras. Ses collègues de la station sont privés d'accréditation - " on n'accrédite pas un média qui n'existe pas ", expliquent les autorités - et leurs noms ne figurent jamais sur les listes des journalistes autorisés à suivre les conférences de presse des membres du gouvernement. Les reporters de la radio travaillent ainsi essentiellement par téléphone et sur Internet. Le site de la radio, constamment mis à jour, connaît une affluence croissante et peut être classé, selon un moteur de recherche russe, parmi les cinq sites les plus visités du pays. " Mais nous n'avons toujours pas renoncé à récupérer un jour notre fréquence en Biélorussie " affirme Yuras Karmanau.
Etat des atteintes à la liberté de l'information
Une presse sous pression
Dans l'ensemble de la zone de l'ex-Union soviétique, la presse indépendante fait l'objet ces dernières années, de la part des pouvoirs établis, politiques, économiques, judiciaires ou criminels, d'atteintes toujours plus graves à l'exercice de la liberté d'expression. Toute une panoplie de moyens est mise en œuvre pour réduire au silence le journalisme critique ou d'investigation : assassinats ou disparitions de journalistes, incarcérations, violences policières et intimidations, harcèlement judiciaire et pressions fiscales. La situation en Biélorussie a été marquée, ces dernières années, par l'affaire de la disparition du journaliste Dmitri Zavadski, et par les mesures ouvertement discriminatoires du pouvoir envers la presse d'opposition. Assassinat de journaliste
La disparition du cameraman Dmitri Zavadski A la différence d'autres pays de l'ex-Union soviétique, notamment la Russie et l'Ukraine, les agressions et meurtres crapuleux de journalistes en Biélorussie sont pratiquement inexistants. La période de "Glasnost", plus tardive et plus encadrée en Biélorussie que chez ses voisins, le nombre beaucoup plus réduit de journaux indépendants, l'activité semble-t-il plus faible des groupes mafieux, et la dérive ouvertement autoritaire du régime qui provoque une autocensure plus forte de la part des journalistes, expliquent cette différence. Dans l'Ukraine voisine, pays cinq fois plus important en termes de population, dix journalistes ont été tués dans des circonstances non élucidées, et quarante et un violemment agressés et sérieusement blessés depuis 1998. Dans l'ensemble des Républiques de la Fédération de Russie, dix-sept journalistes ont été assassinés pour la seule année 2001, selon la Fondation pour la défense de la Glasnost, basée à Moscou. La disparition à Minsk, le 7 juillet 2000, du jeune cameraman biélorusse Dmitri Zavadski, est intervenue plus d'un an après la disparition, en 1999, de trois opposants au président Loukachenko : l'ancien ministre de l'Intérieur Youri Zakharenko, l'ex-député Viktor Gontchar, et l'homme d'affaires et propriétaire de la maison d'édition Krasika, Anatoli Krassovski. Bien que les assassins présumés du journaliste aient été déjà arrêtés et condamnés, de graves zones d'ombre subsistent dans cette affaire. Ancien cameraman personnel du Président, Dmitri Zavadski avait quitté la télévision d'Etat, sans l'assentiment du pouvoir, en 1996, pour travailler pour la chaîne russe ORT. Il avait été emprisonné pendant deux mois avec un collègue de l'ORT, en 1997, à la suite d'un reportage sur les défaillances des dispositifs de sécurité biélorusses le long de la frontière avec la Lituanie. Pendant l'hiver 1999-2000, il part en reportage en Tchétchénie pour l'ORT, où il apprend qu'un mercenaire biélorusse, Valeri Ignatovitch, ancien agent des forces spéciales du ministère de l'Intérieur biélorusse, a été arrêté par les forces russes alors qu'il aurait été au service des combattants tchétchènes. A son retour à Minsk, cette histoire intéresse la presse et le quotidien BDG publie une longue interview du cameraman. Son épouse Svetlana se souvient que "des gens qui refusaient de se présenter voulaient rencontrer mon mari après avoir lu son interview, puis ils raccrochaient. Parfois, ils se présentaient comme des fonctionnaires de la police. Nous avons commencé à avoir peur". La presse révèle également que le mercenaire, Valeri Ignatovitch, serait le numéro deux de l'organisation ultranationaliste russe Unité nationale russe (UNR, extrême-droite), et y serait responsable de la "préparation physique et militaire de ses membres". Suite à la publication de l'interview de Zavadski dans BDG et la diffusion d'un reportage de la chaîne russe NTV, Valeri Ignatovitch aurait été suspendu et interdit de tout contact avec les membres d'UNR par le chef de ce mouvement, un certain Gleb Samoïlov. Ce dernier est assassiné quelque temps plus tard. Selon la version défendue par les autorités biélorusses, Ignatovitch aurait également décidé de se venger de Zavadski. Ce dernier disparaît, le 7 juillet 2000, à l'aéroport de Minsk où il venait accueillir à sa descente d'avion l'un des directeurs de la chaîne russe ORT, Pavel Cheremet. Son véhicule a été retrouvé sur le parking de l'aéroport. Le 11 mai 2001, les autorités biélorusses annoncent avoir arrêté quatre anciens agents des forces spéciales du ministère de l'Intérieur, dont Valeri Ignatovitch, "soupçonnés d'avoir kidnappé Dmitri Zavadski pour le compte du mouvement d'extrême droite russe UNR". Ils sont condamnés à la prison à vie, le 14 mars 2002, par la Cour régionale de Minsk, pour le meurtre de cinq personnes et la "disparition" du journaliste. Malgré la vraisemblance du mobile des assassins présumés, de nombreuses questions demeurent. Une chape de plomb s'est, en effet, abattue sur cette affaire à partir de septembre 2000, date de la nomination au poste de ministre de l'Intérieur de Vladimir Naumov, à l'origine de la création des unités spéciales Almaz, véritable garde prétorienne au seul service du Président, dont sont issus les accusés. Etrangement, le tribunal de Minsk n'a cherché ni à localiser le corps du journaliste disparu, ni à déterminer les circonstances exactes de son enlèvement, puis de son probable assassinat. Aucun représentant de la presse n'a pu rencontrer les protagonistes de cette affaire, ni avoir accès aux séances du tribunal. Les membres de la famille de Zavadski n'ont été convoqués que ponctuellement en tant que témoins à la barre. Pour l'épouse du journaliste, "on ne peut pas ne pas remarquer la différence entre la brutalité des assassinats dont on accuse ces quatre hommes et la disparition de Dmitri, une opération délicate, planifiée et exécutée avec beaucoup de discrétion et de savoir-faire. Sa disparition ne peut être que l'œuvre d'anciens ou actuels membres des services secrets". Elle évoque également la mystérieuse pelle, avec des traces de sang du journaliste, qui est miraculeusement apparue dans la voiture des suspects, alors qu'aucun rapport de police n'en avait fait état auparavant. Le collègue et ami de Zavadski, Pavel Cheremet, ne comprend toujours pas pourquoi le meurtrier présumé, Valeri Ignatovitch, a attendu six mois après la publication des révélations du journaliste dans BDG pour mettre sa vengeance à exécution. " Et pourquoi ne l'avoir pas tout simplement tué, comme ces gens savaient si bien le faire, mais fait disparaître ? " demande Cheremet. Dans un communiqué diffusé le 11 juin 2001, deux anciens membres du parquet biélorusse réfugiés à l'étranger, dont Dmitri Petrouchkevic en charge de l'affaire Dmitri Zavadski, ont accusé le procureur général Viktor Cheïman, et le chef adjoint de l'administration présidentielle Iouri Sivakov, d'avoir créé un " escadron de la mort " en 1996, alors qu'ils étaient respectivement secrétaire du Conseil de sécurité et ministre de l'Intérieur. Ce groupe aurait été chargé, dans un premier temps, d'éliminer des chefs du milieu criminel, avant de recevoir des missions plus " politiques ". Il aurait procédé à une série d'"éxécutions" avec l'arme même utilisée pour les condamnés à la peine capitale les années précédentes. Cet escadron est-il impliqué, en lien ou non avec le principal accusé Valeri Ignatovitch, dans le meurtre du journaliste, comme il l'est vraisemblablement - de l'avis de nombreux observateurs - dans la disparition des trois personnalités d'opposition un an plus tôt ? Les deux responsables du parquet s'en disent convaincus. De fait, suite à leurs révélations, plusieurs hauts responsables de l'enquête, y compris le patron du KGB biélorusse et le magistrat en charge de l'instruction de ce dossier, ont été démis de leurs fonctions. Selon Pavel Cheremet, tous les documents concernant l'enquête ont depuis lors mystérieusement disparu. " Deux autres juges d'instruction et le témoin principal sont morts de crise cardiaque ", ajoute-t-il. La disparition de Dmitri Zavadski en juillet 2000, comme celle de son confrère ukrainien Géorgiy Gongadze dans des circonstances très semblables deux mois plus tard à Kiev, sont largement à l'origine du réveil de la société civile dans les deux pays. La recherche de l'ensemble des responsabilités dans l'enlèvement et le probable meurtre de Dmitri Zavadski devra nécessairement accompagner toute évolution démocratique au Bélarus. Incarcération de journaliste
Le cas Valery Schukin Le 12 juin 2001, le journaliste et militant des droits de l'homme Valery Schukin, est incarcéré dans une prison de Minsk. Il est, semble-t-il, le seul journaliste à avoir été incarcéré en 2001 pour une durée relativement longue et après condamnation. En 2002, six journalistes ayant manifesté à Grodno (ouest du pays), à la veille de l'ouverture du procès du rédacteur en chef et du journaliste du journal Pagonya pour insulte au Président, ont été condamnés à plusieurs jours de "détention administrative". Véritable icône de l'opposition biélorusse à l'allure de patriarche, Valery Schukin est militant des droits de l'homme et collaborateur free-lance de journaux de l'opposition, les quotidiens Tovarisch et Narodnaïa Volia notamment. Il est bien connu des forces de police qui lui barrent systématiquement l'accès à toute manifestation officielle. Selon M. Schukin, cette attitude s'explique par l'animosité particulière que nourrit le président Loukachenko envers sa personne : "Il n'aime pas ma tête", explique-t-il, "et il a dû donner des consignes concrètes me concernant. Il me connaît très bien et il est, de surcroît, très rancunier." Ancien député d'opposition du parlement dissous en 1996 par le Président, Valery Schukin, volontiers provocateur, persiste néanmoins à assister, en tant que journaliste, aux conférences de presse des membres du gouvernement. Ainsi, le jour du " point presse " organisé au ministère de l'Intérieur par le nouveau ministre, Vladimir Naumov, il est repéré par les policiers en faction, mais tente néanmoins de pénétrer dans la salle où a lieu la conférence de presse. Il se retrouve rapidement maîtrisé et plaqué au sol par trois policiers en uniforme, la jambe profondément entaillée par la glace brisée de la porte. Immobilisé et blessé, M. Schukin attend près de vingt minutes l'arrivée d'une ambulance. Il est hospitalisé pendant une semaine suite à une importante perte de sang. Le ministre de l'Intérieur, interrogé le lendemain par un journaliste de Narodnaïa Volia, commente en ces termes l'incident : " Pour moi, Schukin n'est pas un journaliste. J'aimerais seulement qu'il soit aussi respectueux des lois que l'écrasante majorité de nos concitoyens. Au lieu de cela, il se plaît à donner de lui une image de défenseur des droits de l'homme, genre 'je vais où je veux, quand je veux'... Mais qu'il fasse le journaliste ou le militant des droits de l'homme, cela ne lui donne aucun droit particulier." C'est suite à une plainte du ministère de l'Intérieur, que Valery Schukin est alors condamné, le 15 mars 2001, à trois mois de prison pour " hooliganisme ". Malgré les procédures d'appel engagées par le journaliste, le tribunal maintient sa décision et, le 12 juin, M. Schukin est incarcéré à la prison de Jodinskoe, près de Minsk. " J'étais incarcéré avec des prisonniers de droit commun, dont beaucoup purgeaient une peine à vie pour meurtre ", se rappelle-t-il. " Mais en ma présence, les gardiens ne se sont jamais livrés à des actes de violence, pourtant fréquents dans cette prison". Le journaliste estime également ne pas avoir été victime de mauvais traitements pendant ces trois mois de détention. On lui a, néanmoins, rasé de force la barbe et il a été envoyé à plusieurs reprises en cellule d'isolement en guise de punition pour des " actes d'insoumission et de rébellion " comme celui de " lever la tête " lors des promenades réglementaires. " En fait, je leur rappelais constamment quels étaient mes droits selon le règlement que j'avais étudié à la lettre ", se souvient le journaliste. Ainsi, à l'approche de l'élection présidentielle de septembre 2001, il rappelle à la direction de la prison ses droits d'électeur. Il exige une urne fermée et fait remarquer au directeur de la prison que la seule affiche électorale dans la prison est un portrait du président Loukachenko. Sa correspondance est lue et filtrée : " J'ai écrit, de ma cellule pour mon journal, dix-sept articles qui ont disparu, ainsi que de nombreuses lettres à ma famille et à des personnalités." Le journaliste reçoit la visite de membres de sa famille, ainsi que de représentants de l'Association des journalistes biélorusses (BAJ, non officielle) et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). " Après ce passage en prison, je n'ai plus peur de rien, conclut M. Schukin. Je suis capitaine de réserve de la marine soviétique et de la même façon que j'ai servi l'armée, je continuerai à faire mon devoir : combattre le régime de Loukachenko. Pour cela je suis prêt à retourner en prison. Je continuerai à faire des scandales qui finiront par l'éclabousser." M. Shukin a purgé la totalité de sa peine. Violences policières et intimidations
Une pression constante Les forces de police et de l'armée, ainsi que les nombreux services " spéciaux " dépendant directement du président de la République, quadrillent de façon ostentatoire et efficace les rues de Minsk. Lors de manifestations d'opposants au régime, des journalistes, et surtout des photographes et cameramen, sont souvent durement refoulés, voire interpellés par les forces de l'ordre. Le 25 mars 2000, les forces de l'ordre avaient interpellé trente-six journalistes qui couvraient la grande "marche de l'opposition" organisée par le principal parti d'opposition, le Front populaire biélorusse. Parmi eux, de nombreux représentants de la presse étrangère, dont les correspondants des agences de presse AFP, Itar-Tass, d'une chaîne de télévision polonaise, des chaînes russes NTV, ORT et RTR et de Radio Liberty. Gardés avec près de 300 autres personnes dans une salle de sport transformée en centre de détention provisoire, la plupart d'entre eux avaient été relâchés, quelques heures plus tard, à la périphérie de la ville. Le 27 mars, le porte-parole du ministre de l'Intérieur avait présenté ses excuses aux journalistes interpellés. Le ministre de l'Intérieur, M. Sivakov, vivement critiqué par le président Loukachenko pour les interpellations de journalistes étrangers notamment, avait démissionné un mois plus tard. Ces préventions ne sont pas toujours de mise. Le 25 mars 2001, un jeune reporter photographe du journal régional indépendant Birzha Informacji, Dmitri Yegorov, a été interpellé et détenu pendant plusieurs heures dans un véhicule de police dans la ville de Grodno (ouest du pays), juste avant le début d'une manifestation organisée par l'opposition. Le journaliste a été frappé, menacé et prévenu qu'il n'avait "pas intérêt à écrire des articles relatifs à cette interpellation". On l'a ensuite conduit dans une prison pour lui montrer "où peuvent être emprisonnés les journalistes", puis libéré. Le journaliste a été hospitalisé dix jours suite aux coups reçus. Les services d'ordre sont également utilisés pour harceler la presse d'opposition, en dehors de toute opération de maintien de l'ordre. Ces pressions se sont intensifiées à l'approche de l'élection présidentielle de septembre 2001. Tout au long du mois de mars 2001, des vendeurs du journal indépendant Nasha Svaboda ont ainsi été interpellés et harcelés par les forces de l'ordre. A l'été 2001, les "descentes de police" se sont multipliées dans les rédactions. Elles s'accompagnaient de confiscations quasi systématiques de matériel de travail qui avaient clairement pour objectif de neutraliser les journaux les plus critiques à quelques semaines de l'élection. Ainsi, le 12 juillet, le matériel du journal indépendant Volny Grad est saisi par la police. Le 19 juillet, des équipements du journal Belaruskiy Uschod sont confisqués. Le 14 août, le journal Kutseyna connaît le même sort. Le 17 août 2001, les forces du ministère de l'Intérieur confisquent l'essentiel du tirage du quotidien Nasha Svaboda, dont l'édition du jour comprenait plusieurs articles critiques envers le pouvoir et des informations sur la campagne du candidat de l'opposition Vladimir Goncharik. A ces saisies de matériel s'ajoutent des cambriolages suspects, dont l'objectif est manifestement d'empêcher les journaux de paraître. Ainsi, en mars 2001, le journal De Facto à Moguilev a dû suspendre son activité suite au cambriolage de la rédaction du journal. Le 25 juillet 2001, le matériel informatique de la rédaction du quotidien Dyen a été totalement mis hors d'usage lors d'un cambriolage. Aucune trace d'effraction n'a été constatée, alors même que les lieux étaient gardés par la police. Un précédent cambriolage des locaux de Dyen, le 17 juillet, avait empêché la publication d'une édition spéciale consacrée aux disparitions inexpliquées de personnalités de l'opposition en 1999. Les services douaniers sont également sollicités pour participer à cette stratégie de harcèlement. En mars 2001, les douanes ont saisi une partie du tirage du journal Belaruskaïa Vedamasti, au prétexte qu'il représentait un "danger pour le régime politique" de Biélorussie. Poursuites pénales et harcèlement judiciaire
L'"offense à l'honneur du Président" Les poursuites pénales contre la presse se concentrent sur les cas de mise en cause personnelle du Président. Le code pénal prévoit des peines allant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement pour "offense à l'honneur du Président". Aucune peine de prison ferme n'a, jusqu'à présent, été prononcée à ce titre en 2001 et 2002, à la date de parution de ce rapport. Les poursuites sont, dans la plupart des cas, intentées par le parquet général ou les parquets locaux. Ainsi, en janvier 2001, le parquet général a poursuivi le journal Nasha Svaboda ("Notre liberté") pour offense à l'honneur du Président suite à la publication d'un article du psychiatre Dmitri Schiguelski sur l'état de santé psychique du président Alexandre Loukachenko, suggérant qu'il souffrait d'un désordre mental à tendance paranoïaque. Près d'un an et demi plus tard, le journal ne sait pas si ces poursuites donneront finalement lieu à procès, ou si le dossier est clos. L'engagement de poursuites permet également d'empêcher la diffusion des articles incriminés. Le 28 août, le parquet de Minsk a ordonné l'arrêt de l'impression de l'édition du quotidien Rabochy et ouvert une procédure judiciaire pour insulte au Président. La police a saisi le jour même près de 40 000 exemplaires du quotidien au titre de "pièces à conviction", manifestement pour empêcher la diffusion d'un article intitulé "Le voleur doit aller en prison", accusant de corruption des hauts responsables du pouvoir. Le 19 novembre, le parquet a engagé des poursuites pour diffamation à l'encontre de Iosif Syaredzich, rédacteur en chef du journal Narodnaïa Volia. Il lui est reproché la publication d'une déclaration du 5 septembre du candidat d'opposition à l'élection présidentielle, Uladzimir Hancharyk, accusant le pouvoir de trafiquer les résultats du scrutin électoral. Cette affaire est toujours en cours d'instruction. L'une des affaires les plus sérieuses est sans doute celle du journal Pagonya, bien que le ministre de l'Information minimise les poursuites contre ce "petit journal régional" de Grodno (ville de l'ouest du pays). Le rédacteur en chef de l'hebdomadaire, Nikolai Markevitch, et le journaliste Pavel Mozheiko sont poursuivis pour "offense à l'honneur du Président" suite à un article mettant en cause le rôle du Président dans la disparition d'opposants. La sensibilité du sujet, la fermeture du journal décidée par la Cour suprême en novembre 2001, la mobilisation de l'opposition et des organisations de défense des droits de l'homme et les manifestations de soutien au journal - systématiquement interdites et réprimées par la police - ont fait de Pagonya un cas emblématique du combat pour la liberté de la presse aujourd'hui au Bélarus. La première audience du procès, prévue pour le 9 avril 2002, a été reportée sine die, le président de la Cour, Nikolaï Sergueïko, étant tombé malade ce même jour. Les jours précédents, la presse d'opposition et les organisations de défense des droits de l'homme à Minsk et à l'étranger avaient exprimé leur soutien aux accusés. Une manifestation de journalistes à Grodno s'était soldée par l'interpellation de quatorze journalistes et la condamnation de six d'entre eux à plusieurs jours d'arrêts. Le déroulement du procès des journalistes de Pagonya, et les peines requises et prononcées, auront valeur de test quant à une éventuelle "détente" en Biélorussie en matière de liberté de la presse. Fermetures de médias
Les "avertissements" Après deux avertissements du ministère de l'Information (qui remplace l'ancien Comité d'Etat de la presse) ou d'un magistrat de quelque niveau que ce soit dans une même année, la fermeture d'un journal peut être prononcée définitivement. Cette menace permanente, et sans voie de recours, est l'un des principaux moyens de contrôle et de pression sur la presse. L'hebdomadaire Pagonya a ainsi été fermé, le 13 novembre 2001, sur ordre de la Cour suprême pour l'article mettant en cause le Président dans la disparition des opposants, après deux précédents avertissements. Le rédacteur en chef de Pagonya, Nikolaï Markevitch, a été condamné à une amende, un mois plus tard, pour avoir organisé une manifestation de protestation contre cette fermeture. Il a renoncé à faire appel estimant que "les tribunaux en Biélorussie servent les intérêts d'une seule personne, et pas ceux de la société". Ces menaces de fermeture interviennent fréquemment, au-delà des seuls cas qui font l'objet de poursuites judiciaires. Début février 2001, la rédaction du journal indépendant Brestski Kourier ("le Courrier de Brest"), l'un des journaux indépendants régionaux les plus populaires, a reçu un avertissement du Comité d'Etat de la presse pour "diffusion d'informations sur des partis politiques, unions professionnelles ou autres groupements non autorisés". Le même mois, le journal indépendant Belaruskaïa Delovaïa Gazeta a reçu un avertissement du Comité d'Etat pour "violation du secret de l'instruction" dans un article traitant de l'enquête sur les officiers de la subdivision spéciale "Almaz", soupçonnées d'être impliqués dans la disparition du journaliste Dmitri Zavadski, en juillet 2000. Le 24 août 2001, le journal Svabodniye Novosti a reçu un avertissement du Comité d'Etat pour "dissémination de fausses informations". Le 29 mars 2002, le ministère de l'Information a envoyé un nouvel avertissement au quotidien Narodnaïa Volïa pour "affirmations sans fondements sur le Président". Le 20 mars, le journal avait publié le passage suivant, retranscrit depuis le site internet de Radio Free Europe - Radio liberty : "Avec l'implication des autorités dans le commerce des armes et la privatisation par l'administration présidentielle de la partie la plus rentable de l'économie du pays, on imagine sans mal l'argent qu' Alexandre Loukachenko veut aller blanchir en Autriche." Autres mesures discriminatoires
Monopoles publics, pressions fiscales et interdiction des financements étrangers Quarante-sept médias publics ont reçu des subventions d'Etat en 2001. Le ministère de l'Information a annoncé que ce nombre avait été limité à trente-six pour l'année 2002, et devrait être encore réduit dans les années suivantes. Cinq des médias subventionnés appartiennent directement aux services du Président ou des ministres, dont le quotidien d'Etat Sovietskaïa Bielorussia. La plupart des autres sont destinés à la jeunesse ou à la "promotion de la langue et la littérature bélarusses". La procédure d'attribution des subventions est à la seule discrétion du pouvoir, et les accords ou refus ne sont pas motivés. Une évolution pourrait néanmoins intervenir avec l'annonce par le ministre de l'Information de la création prochaine d'un comité consultatif public "comprenant des représentants de l'Etat et des membres indépendants". Les tarifs des monopoles publics de distribution et d'impression constituent de puissantes subventions déguisées pour les médias publics, les journaux indépendants étant, pour leur part, lourdement handicapés. En février 2000, les rédacteurs en chef des six plus importants médias privés du pays, Narodnaïa Volia, Belaruskaïa Delovaïa Gazeta, Belaruskaïa Gazeta, Svobodnie Novosti, Belaruski Rinok et Komsomolskaïa Pravda Belorussii, avaient envoyé une lettre ouverte au Premier ministre Vladimir Yermochine, pour réclamer la fin des mesures discriminatoires utilisées par l'Etat. Mais la situation s'est détériorée en 2001, année électorale. En décembre 2000, les services postaux ont augmenté de 400 à 600 % les frais de distribution réclamés aux journaux indépendants, les publications contrôlées par l'Etat bénéficiant dans le même temps de baisses de tarifs. Les pressions fiscales se sont, par ailleurs, multipliées. La plupart des équipements de journaux saisis par la police à l'approche de l'élection présidentielle de septembre l'ont été sur ordre de l'administration fiscale. Le 22 août, dix ordinateurs de la rédaction du journal Narodnaïa Volia ont été saisis par la police à la demande de l'administration fiscale. Le 23 août, un ordinateur de la rédaction du quotidien Nasha Svaboda a été confisqué par la police pour non-respect de la législation fiscale. La Maison de la presse, imprimerie directement administrée par l'Etat, imprime Sovietskaïa Bielorussia, et une dizaine d'autres journaux dont Komsomolskaïa Pravda. Les titres qui y sont imprimés sont en permanence menacés d'un arrêt de la fabrication en cas de critique ouverte contre les autorités. Ainsi, le 1er août 2001, le journal Dyen y a été interdit d'impression pour avoir "mal interprété" une décision du Comité d'Etat pour la presse. La seule maison d'édition privée du pays, Magic, qui imprimait avec le soutien de la Fondation Soros, jusqu'en 2001, la plupart des journaux indépendants, dont Belaruskaïa Delovaïa Gazeta, Nasha Svaboda, Narodnaïa Volia et Femida-Nova, a été contrainte par les autorités de cesser toute impression de quotidiens. Le 13 septembre 2000, les bâtiments de la maison d'édition avaient été investis par la police. Plus de 110 000 exemplaires de l'hebdomadaire Rabochy, journal du "syndicat libre biélorusse", avaient été saisis, soit environ un tiers du tirage total. Rabochy avait appelé ses lecteurs à participer au "Boycott 2000" organisé par l'opposition avant les élections du 15 octobre. Le rédacteur en chef, Viktar Ivashkevich, l'avocat du journal, Dzmitry Kastiukevich, et le directeur général de la société Magic, Yury Budzco, avaient été interpellés. Après deux heures de garde à vue, ils avaient été accusés de "propagande pour un boycott électoral" et condamnés à de faibles amendes. Les comptes bancaires de la maison d'édition Magic avaient été gelés et le matériel d'impression des quotidiens indépendants saisi pour rembourser une dette fiscale de la Fondation Soros estimée à 88 100 euros. Le 3 novembre, la Fondation Soros avait porté plainte, en vain, contre le gouvernement. La presse permettant d'imprimer les quotidiens a finalement été mise sous scellés, en 2001, pour "taxes impayées" sur ordre de l'administration fiscale. Une seule presse est laissée dans l'imprimerie pour l'édition d'un annuaire des entreprises et des commerces, et d'un guide des sorties et spectacles à Minsk.
Etat des réformes engagées
De nouvelles marges de progrès
Le ministre de l'Information a annoncé la création prochaine d'un comité consultatif public, "comprenant des représentants de l'Etat et des membres indépendants", précisant qu'au-delà de la distribution des subventions aux publications, cet organe pourrait se voir attribuer une fonction plus large de "contrôle des médias". Néanmoins, ni les attributions précises de ce nouvel organe, ni sa composition et les modalités de désignation des "membres indépendants" n'ont, semble t-il, été encore arrêtées. Le projet donne néanmoins matière à des échanges avec les organisations européennes et les organisations non gouvernementales de défense de la liberté de l'information. Surtout, les deux principales réformes annoncées, dont la mise en œuvre est attendue en 2002, méritent d'être suivies avec attention tant elles peuvent décevoir les attentes ou, au contraire permettre une amélioration concrète des conditions d'exercice de la liberté et du pluralisme de l'information en Biélorussie. -La réforme du secteur audiovisuel Courant février 2002, un décret présidentiel a ordonné la création d'une deuxième chaîne de télévision nationale dans le pays, BT 2, qui pourrait occuper la fréquence utilisée jusqu'à présent par ORT. Officiellement, la création d'une deuxième chaîne de télévision nationale a pour objectif de " favoriser la concurrence dans le domaine audiovisuel " et surtout " fournir à la population plus de moyens pour obtenir une information plus complète, fiable et actuelle ". Le gouvernement qui, via le ministère de l'Information, devrait participer à hauteur de 51 % dans le budget de la chaîne, se retrouve de facto le principal décisionnaire quant à la politique éditoriale de la chaîne. Le directeur de BT 2, Grigory Kissel, nommé par le Président en mars 2002, a déjà dirigé la première chaîne de télévision nationale de 1995 à 2000 avant d'être nommé ambassadeur en Roumanie d'où il vient d'être rappelé. "C'est lui qui avait transformé BT 1 en une chaîne ennuyeuse et idéologisée", note le quotidien BDG. "Mais alors qu'on le croyait exilé, il était en fait dans l'attente d'un nouveau poste." Ainsi, les journalistes d'opposition biélorusses parlent d'une tentative de " cloner " BT 1 pour occuper davantage d'espace audiovisuel et surtout grignoter un peu de l'influence des chaînes russes dans le pays. BT 2 va diffuser, à partir de mai 2002, sur les fréquences et le canal jusque-là réservé à ORT, " mais selon un protocole d'accord avec la direction de la chaîne russe ", affirment ses nouveaux dirigeants ainsi que le ministre de l'Information, Mihail Podgaïny. " Une chose est sûre, rassure G. Kissel, ORT continuera à diffuser dans le pays." Il est néanmoins probable qu'un certain nombre de programmes phares d'ORT pourraient être supprimés au profit des émission de BT 2. " Ainsi, les téléspectateurs biélorusses devront dire adieu au programme politique "Vremena" du présentateur vedette Vladimir Pozner ", prédit le journal Komsomolskaïa Pravda qui rappelle qu'à la veille des élections biélorusses cette émission avait accueilli quatre candidats de l'opposition et interviewé le représentant de l'OSCE à Minsk. Le journal rappelle également que cette émission avait provoqué l'ire du président Loukachenko, qui avait accusé ORT de mener une politique contre son pays et menacé de " régler ses comptes avec les chaînes russes après les élections ". " Je ne veux mettre la pression sur personne, mais après les élections nous allons réfléchir à deux fois avec qui travailler " avait-t-il déclaré. Aujourd'hui, le directeur de la nouvelle chaîne assure, comme le ministre de l'Information, M. Podgaïny, que "pour éviter les conflits politiques, le programme Vremena sera maintenu". Le ministre de l'Information a, par ailleurs, annoncé la création de nouvelles émissions sur la chaîne de télévision d'Etat, BT1, auxquelles "tous les hommes politiques pourront participer". Un protocole sur l'accès aux médias publics avait été approuvé par les représentants de la présidence mais n'a jusqu'à présent pas été respecté. Le ministre Podgaïny a reconnu à Strasbourg, en janvier 2002, que "la loi régissant la télévision mérite d'être améliorée. Je suis ouvert à toutes les suggestions". Compte tenu de l'importance de l'enjeu pour le pluralisme de l'information en Biélorussie, cette offre ne doit pas rester sans réponse de la part des organisations européennes. -La législation sur la presse Des amendements à la "loi sur les médias de la République du Bélarus", en vigueur depuis 1995, ont été préparés et soumis à consultation au cours de l'année 2001. Ils garantissent "l'indépendance des médias", le libre accès aux informations officielles, et le respect des accords internationaux signés par la République du Bélarus. Les dispositions non conformes aux standards démocratiques européens y sont encore nombreuses. Le ministère de l'Information dit avoir pris note des observations des observateurs étrangers, dont l'organisation internationale Article 19. Le Conseil de l'Europe avait proposé, dés le début du processus, le concours de ses experts pour examiner le projet de loi mais les autorités bélarusses n'avaient alors pas donné suite à son offre. Un échange de vues plus large avec le ministre de l'Information a finalement été organisé à l'initiative de la Commission de la science, de la culture et de l'éducation de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe en janvier 2002, à Strasbourg. Le ministre de l'Information, Mihail Podgaïny, s'est alors engagé à envoyer, à son retour à Minsk, le projet de loi rédigé en russe et en anglais aux experts et organisations compétentes et "à écouter leurs points de vue, ce qui ne veut pas dire qu'ils seront tous pris en compte". Le projet de loi définitif n'a, à la date de parution de ce rapport, pas été rendu public. Un débat sur les questions d'information au Parlement avait été annoncé en avril. Il n'a pas encore eu lieu. Trois dispositions, maintenues dans la dernière version publique du projet de texte, sont de puissants obstacles à la libre information. L'interdiction légale de diffuser de "fausses informations" contraint la presse à l'autocensure, autorise les poursuites abusives et empêche tout journalisme d'investigation. Une autre interdiction, celle de diffuser des déclarations ou communiqués de partis ou d'organisations sociales non enregistrées au ministère de la Justice, a été introduite par des amendements à la loi sur la presse en toute fin d'année 1999. Les amendes encourues représentent cent fois le salaire moyen mensuel d'un journaliste. Instrument direct de censure, cette disposition protège la propagande d'Etat et vise les organisations d'opposition non enregistrées, mais également les organisations internationales de défense des droits de l'homme. L'abrogation de ces dispositions doit être exigée, même si elle est peu vraisemblable en l'état actuel du régime, de même que la levée des obstacles aux financements en provenance de l'étranger. Enfin, l'accès et la publication de l'information officielle fait toujours l'objet de restrictions dans la loi sur la presse. Selon la législation biélorusse, l'accès à l'information officielle est libre. Les conférences de presse officielles sont théoriquement ouvertes aux journalistes de l'ensemble des médias. Malgré quelques plaintes de journalistes d'opposition, cette règle semble désormais assez généralement respectée, à l'exception du cas du journaliste et militant des droits de l'homme Valery Schukin cité précédemment. En revanche, l'administration biélorusse maintient une interdiction absolue pour les journaux de publier des textes de loi, seuls les ministères compétents étant habilités à publier les documents juridiques de leur ressort. Le ministre considère que "la publication des lois est une affaire sérieuse. Nous devons nous assurer que le texte qui parvient à nos citoyens est bien le bon". Le quotidien d'Etat Sovietskaïa Bielorussia se voit, à l'inverse, contraint de diffuser toute information qui lui est transmise par un service officiel. Ces deux survivances du modèle soviétique sont aujourd'hui deux puissants obstacles à la liberté d'informer.
Conclusions
Ces éléments et témoignages recueillis, en mars 2002 à Minsk, conduisent Reporters sans frontières à recommander aux organisations européennes, Conseil de l'Europe et OSCE, d'intensifier les échanges avec la Biélorussie sur les questions de liberté de l'information. RSF recommande, en particulier, à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe : - d'envisager l'envoi plus fréquent d'experts du Conseil de l'Europe en Biélorussie; - d'appuyer le développement d'une presse libre et pluraliste ; - de poser des conditions - précises -, en matière de liberté de l'information, à un éventuel rétablissement de liens plus formels entre la Biélorussie et le Conseil de l'Europe ; - d'évaluer à cet effet précisément, et à intervalles réguliers, la situation en Biélorussie au regard des normes européennes en matière de liberté de l'information, et de maintenir un dialogue permanent sur le sujet avec les autorités. RSF demande aux autorités de la République du Bélarus : - d'accepter de faire toute la lumière sur les conditions de la disparition du journaliste Dmitri Zavadski et d'établir toutes les responsabilités dans cette affaire ; - de veiller à ce qu'aucune peine de prison ne soit prononcée pour délit d'opinion et de modifier la disposition du code pénal prévoyant cinq ans de prison pour diffamation ; - de veiller à ce que la future loi sur les médias soit conforme aux normes européennes et de la soumettre à une large consultation ; - de mettre fin à la discrimination économique et politique à l'encontre des médias non gouvernementaux ; - de mettre en oeuvre une réforme de la télévision garantissant un véritable pluralisme de l'information audiovisuelle.
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Updated on 20.01.2016