Reporters sans frontières et l'organisation de défense des droits de l'homme INSEC publient un rapport d'enquête sur les exactions commises par les maoïstes et les forces de sécurité contre les civils, et notamment les journalistes. Les deux organisations lancent un appel aux Nations unies pour protéger les droits de l'homme gravement menacés dans le royaume.
Depuis la rupture de la trêve par les maoïstes et l'imposition de l'état d'urgence, en novembre 2001, la guerre civile s'est intensifiée au Népal. Les affrontements entre les forces gouvernementales (armée royale, police et forces paramilitaires) et les rebelles maoïstes ont atteint une violence sans précédent. Le gouvernement, soutenu par le roi, a déclaré la guerre au "terrorisme maoïste" tandis que les rebelles ont relancé leur "guerre populaire". Cette reprise des affrontements a, selon l'organisation népalaise de défense des droits de l'homme INSEC, coûté la vie à au moins quatre mille neuf cents personnes entre novembre 2001 et novembre 2002. Plus de trois mille neuf cents ont été tuées par les forces de sécurité.
Fin septembre 2002, une mission d'enquête commune de Reporters sans frontières (Réseau Damoclès) et de l'INSEC a pu constater que les civils, entre autres les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme, ont été largement touchés par l'état d'urgence et la guerre populaire. "Les populations civiles, notamment les plus pauvres, sont prises dans le feu croisé des militaires et des maoïstes", affirme Subodh Raj Pyakurel, secrétaire général de l'INSEC. Les témoignages recueillis par la mission confirment que des violations graves des droits fondamentaux sont actuellement commises par les deux protagonistes. Les maoïstes s'attaquent aux civils qu'ils accusent de soutenir l'Etat et pratiquent des tortures, des mutilations et des exécutions sommaires qui tendent à imposer un régime de terreur. Pour leur part, l'armée et la police sont coupables d'exécutions sommaires, de tortures graves et de détentions arbitraires. Ces violations des droits de l'homme, commises en toute impunité, vont à l'encontre des lois du Népal et des textes internationaux de protection des droits fondamentaux signés et ratifiés par le royaume.
Le 19 octobre 2002, le nouveau Premier ministre, Lokendra Bahadur Chand, nommé par le roi, a affirmé vouloir chercher une issue négociée et politique au conflit avec les maoïstes. Mais le chemin de la paix pourrait être long.
Au vu de la gravité de la situation, les deux organisations de défense des droits de l'homme en appellent aux Nations unies, et notamment au Haut Commissaire aux droits de l'homme des Nations unies, Sergio Vieira de Mello. Reporters sans frontières et l'INSEC demandent aux Nations unies d'envoyer dans les meilleurs délais une mission d'enquête et d'intervenir auprès des deux parties pour que les droits des populations civiles soient respectés.
Les violations des droits de l'homme commises par les maoïstes
"S'ils veulent les tuer, ils peuvent tout à fait leur tirer une balle dans la tête. Mais là, ils préfèrent leur briser les jambes ou les bras et les laisser paralyser à vie. Pour prolonger leur souffrance", a expliqué le docteur Kanodia, directeur d'un hôpital privé de Nepalgunj (sud-ouest du pays) qui a soigné plusieurs victimes des maoïstes. "Les tortures et les mutilations sont les bases de la terreur imposée par les maoïstes dans certaines parties du pays", ajoute Subodh Raj Pyakurel, de l'INSEC. Des dizaines de cas ont été recensés par les organisations de défense des droits de l'homme : "Ces tortures déstructurent les familles. L'homme devient inutile et, surtout, ses blessures rappellent à tous les villageois qu'il ne faut pas s'opposer aux maoïstes", renchérit un médecin de Nepalgunj.
La mission a recueilli à Nepalgunj les témoignages de huit personnes qui ont été victimes des rebelles maoïstes. Les examens médicaux réalisés par le docteur Jean Rivolet (expert du réseau Damoclès) confirment la gravité des sévices subis par ces personnes.
1. Khadak Bahadur Budha a été attaqué en février 2002 à son domicile. Les rebelles lui ont attaché les mains dans le dos après l'avoir accusé d'avoir demandé à des militants maoïstes de se rendre à la police. Ils l'ont sorti de sa maison, l'ont forcé à s'allonger et ont commencé à frapper à coups de bâtons ses deux jambes posées sur une pierre. Khadak Bahadur, âgé de 30 ans, a été retrouvé inconscient, les mains attachées, laissé pour mort par les maoïstes. Le docteur Jean Rivolet a constaté des fractures multiples comminutives sur le tiers supérieur du tibia gauche et sur le condyle externe. Sur la jambe droite, il a observé des fractures sur le tiers supérieur du péroné. Les coups portés ont également laissé des traces sur les bras, la tête et la poitrine de Khadak Bahadur. Il est actuellement soigné à l'hôpital principal de Nepalgunj, aux frais du gouvernement népalais, et sa famille a dû quitter leur village. Selon les conclusions du docteur Rivolet, ces fractures sont le résultat de coups très violents et la victime ne retrouvera jamais l'usage normal de ses membres inférieurs.
2. Gir Bahadur Gishi, agriculteur à Jamunia (district de Bardia), est pour sa part à l'hôpital depuis début août 2002. Il a été torturé par un groupe de maoïstes. Il souffre d'une surdité de l'oreille gauche, d'une plaie frontale, d'une atteinte du temporo-maxillaire gauche, d'un traumatisme thoracique provoqués par des coups de botte donnés par des rebelles qui l'accusaient d'être un "espion du gouvernement" dans le village. Ghiri Bahadur Gishi a été interrogé par les maoïstes dans la nuit. Lui et sa famille ne veulent pas rentrer dans leur village de peur de nouvelles représailles.
3. Tikaram Bista est âgé de soixante-neuf ans. Il est originaire du village de Dilek (au nord de Nepalgunj). Il a été agressé par les maoïstes en juillet 2002 après avoir tenté de défendre son fils, Bahkta Bahadur Bista, un professeur, torturé par les rebelles. Son fils, défiguré au visage par les coups de crosse de revolver assenés par les maoïstes, est hospitalisé à Katmandou. Tikaram Bista a été frappé à coups de poignard sur les avant-bras. Le docteur Rivolet a constaté des fractures médianes des deux avant-bras (radius) ainsi que des plaies sur ses membres.
4. Ram Kumar Yadav est originaire du village de Akalgharwa, dans le district de Bankey, à une dizaine de kilomètres seulement de la ville de Nepalgunj, seconde garnison militaire du Népal. Au cours de la seconde semaine de juillet 2002, des maoïstes ont encerclé le village. Après l'avoir investi, les rebelles ont demandé à ses habitants de sortir de leurs maisons. Ils ont choisi une dizaine d'hommes jeunes. Certains ont été abattus. Quatre autres ont été torturés et mutilés sur la place publique. Ainsi, Ram Kumar Yadab a été violemment frappé aux jambes avec le dos d'une hache. Le docteur Rivolet a constaté des fractures multiples aux deux jambes, au-dessus du genou (supra condylien). Jagadish Prasad Yadav, âgé de
trente-cinq ans, a dû subir plusieurs interventions médicales suite à des fractures similaires. Il a une plaque dans la jambe droite. Ses os s'étant infectés, il a subi une intervention externe. Yadav a également reçu des coups de botte à la tête. Enfin, Inder Prasad Yadav, âgé de
dix-huit ans, a dû être amputé de la jambe gauche suite à une gangrène de ce membre inférieur. Comme ses deux compagnons, il a été mutilé par les maoïstes à coups de dos de hache.
Comme l'a constaté le docteur Rivolet, les trois victimes de l'attaque du village de Akalgharwa sont dans un état post-traumatique très préoccupant. Ils ont affirmé à la mission ne pas savoir pourquoi ils avaient été mutilés par les maoïstes.
Les maoïstes s'en prennent aux "journalistes espions"
Le corps mutilé de Nawaraj Sharma "Basant" a été retrouvé, le 13 août 2002, à proximité du village de Suna (province de Karnali, ouest du Népal). Selon un journaliste local interrogé par Reporters sans frontières, des hommes armés avaient kidnappé Nawaraj Sharma "Basant", le 3 août 2002, à son domicile du district de Kalikot (province de Karnali). Les assassins, identifiés comme des rebelles maoïstes, lui ont sectionné des membres, arraché les yeux et l'ont achevé d'une balle dans la poitrine. Depuis ce meurtre, les rebelles maoïstes menacent la famille du journaliste et l'empêchent notamment de se rendre à Katmandou pour recevoir l'aide gouvernementale accordée aux proches des victimes des rebelles. Nawaraj Sharma "Basant" était le fondateur et directeur de publication de l'hebdomadaire Karnali Sandesh (Le Message du Karnali), le seul média indépendant publié, depuis 1999, dans l'Extrême Ouest, la région la plus défavorisée du pays. Il était également président de la branche locale de la Fédération des journalistes népalais (FNJ) et directeur du collège de Kalikot. Le journaliste avait déjà été enlevé en février 2002 par un groupe maoïste et détenu pendant près de trois mois. Après sa libération en mai, Nawaraj Sharma "Basant" avait été interrogé pendant cinq jours par les forces de sécurité qui le soupçonnaient d'être un "espion" des maoïstes.
Deux autres journalistes ont été victimes des maoïstes. Ils ont été enlevés et l'un deux est toujours détenu par les rebelles.
Dhana Bahadur Rokka Magar, âgé de 33 ans, présentateur des bulletins d'information du programme Kham (émissions en langue Magar de la station publique Radio Nepal), a été kidnappé, le 1er août 2002, par des rebelles maoïstes sur la route allant de la région de Jaluke à la ville de Surkhet (ouest du pays). Il voyageait dans un bus quand celui-ci a été stoppé par des rebelles. Ces derniers ont demandé au journaliste de descendre et l'ont obligé à les suivre. Au moins cinq autres personnes, dont un salarié de l'ONG britannique Gorkha Welfare Trust, ont également été kidnappés. Au début du mois de septembre, les maoïstes ont confirmé à des collègues du journaliste qu'il était toujours en vie et qu'il avait été conduit dans l'un de leurs camps. Ils l'accusent d'être un espion du gouvernement et selon certaines sources, le père du journaliste aurait été tué par les maoïstes.
Demling Lama a été kidnappé par un groupe d'une quinzaine de maoïstes dans la nuit du
5 avril 2002. Les rebelles armés se sont introduits à son domicile de Dhuskot alors qu'il dormait. Ils l'ont obligé à les suivre vers une destination inconnue. Demling Lama est correspondant du quotidien national Himalaya Times et de la station publique Radio Nepal dans le district de Sindhupalchok (nord-est de Katmandou). Le 9 avril, le journaliste a réussi à s'échapper. Il a affirmé à un représentant de la FNJ avoir été battu par les maoïstes.
Les violations des droits de l'homme commises par les forces de sécurité
a. Les détentions arbitraires
Dans le cadre de l'état d'urgence, en vigueur de novembre 2001 à août 2002, les forces de sécurité ont arrêté plusieurs milliers de personnes suspectées d'être militantes ou sympathisantes maoïstes. Ces arrestations et ces détentions, très rarement officiellement signifiées aux suspects ou à leurs familles, se sont faites dans la plus grande illégalité.
Toutes les couches de la population ont été touchées. Ainsi, plus de cent trente journalistes ont été arrêtés. Au moins dix ont été torturés et au moins vingt-et-un autres sont toujours détenus, sans que le gouvernement n'ait pris le soin de respecter la procédure judiciaire. Les suspects n'ont pas été présentés devant un juge et les délais de détention (90 jours autorisés par la loi antiterroriste) n'ont pas été respectés. La justice est restée muette et n'a pas défendu les droits des personnes arrêtées. Par ailleurs, des actes de torture ont été commis par des militaires et des policiers. Les informations présentées ci-dessous ne couvrent pas l'étendue des ces violations mais sont, à titre d'exemples, une illustration de ces violations.
Plus de cent cinquante journalistes arrêtés et détenus illégalement
Pour la première fois, le 4 septembre 2002, le ministère de l'Intérieur a reconnu que seize journalistes étaient détenus au Népal. Cet aveu tardif est le résultat de la très forte mobilisation des organisations de journalistes, notamment la FNJ. Pour autant, cette déclaration est partielle. A cette date, au moins vingt-et-un journalistes et collaborateurs des médias étaient détenus au Népal. Et la plupart d'entre eux sont détenus depuis plus de six mois sans qu'aucune forme de procédure judiciaire ait été entamée par l'Etat.
Deux mois plus tard, le gouvernement libère Ram Bhakta Maharjan, opérateur de saisie pour l'hebdomadaire Janadesh, Ishwor Chandra Gyawali et Manarishi Dhital, respectivement directeur et employé du mensuel promaoïste Dishabodh, Deepak Sapkota, Dipendra Rokaya, Dhana Bahadur Thapa Magar, respectivement reporter, assistant de la rédaction, photo reporter de l'hebdomadaire promaoïste Janadesh, et Mina Sharma (épouse Tiwari), directrice du mensuel Aikyabaddata (Solidarité).
Le directeur de Jana Astha, Kishor Shrestha a été arrêté deux fois depuis l'instauration de l'état d'urgence. En janvier 2002, il a été arrêté une première fois par l'armée qui lui reprochait un article sur le fils du chef d'état-major de l'armée royale. Le 4 août, la police a fait irruption dans les locaux de Jana Ashta et l'a arrêté une seconde fois. Il a été conduit dans un commissariat de la ville. Huit officiers dont le superintendant Khanal et l'inspecteur Mainali ont interrogé le journaliste pendant près de deux heures. Il n'a pas été frappé, mais un officier a simulé de le faire, et un autre lui a craché dessus. Ensuite, le journaliste a été placé dans une cellule de quatre mètres sur trois, sans électricité et où était entassée une vingtaine de personnes. Kishor Shrestha estime que près de trois cents individus, dont une majorité de suspects maoïstes, étaient détenus dans le commissariat. Les gardiens sont sévères et le journaliste a été changé trois fois de cellule pour avoir parlé avec d'autres prisonniers.
Ambika Niraula et Dev Ram Prasad Yadav, journalistes de Jana Astha, sont actuellement détenus par les forces de sécurité. Ambika Niraula a été arrêté en janvier 2002 dans le district de Rajbiraj Sapsari. Suite à cette arrestation, l'administrateur du district a contacté le père du journaliste pour qu'il lui remette son autre fils, un leader étudiant maoïste, en échange de la libération de Ambika Niraula. En juillet 2002, le directeur de l'hebdomadaire s'est entretenu avec le ministre de l'Intérieur de l'époque pour obtenir la libération de ses deux correspondants. Le ministre a téléphoné devant lui aux représentants du gouvernement dans ces deux districts pour tenter de trouver une issue à leur détention prolongée. Malgré leurs promesses, les deux journalistes n'ont toujours pas été libérés. Selon Kishor Shrestha, les forces de sécurité reprochent à ses deux correspondants d'avoir couvert, à l'époque des négociations entre le gouvernement et les rebelles maoïstes, des manifestations publiques de ces derniers. Le directeur de Jana Astha précise : "Ils sont détenus pour avoir tout simplement couvert en tant que journaliste les activités des maoïstes. Avant la reprise des combats, ces activités étaient tout à fait autorisées."
Selon les informations recueillies par Reporters sans frontières, vingt-et-un journalistes sont toujours emprisonnés au Népal, ce qui fait de ce pays la plus grande prison du monde pour les professionnels de l'information. La plupart de ces journalistes sont détenus pour avoir travaillé pour des publications promaoïste ou d'extrême gauche, ou pour avoir couvert les activités des rebelles maoïstes. Après plusieurs mois de détention au secret et de sévices, les conditions de détention des journalistes, notamment ceux incarcérés dans la prison centrale de Katmandou, sont moins difficiles. Ainsi, Om Sharma peut recevoir les visites régulières de son épouse. Celle-ci a expliqué à la mission : "Il est en bonne santé et garde le moral, mais il ne peut pas dire grand-chose car il y a toujours un gardien lors de nos rencontres". Om Sharma a été placé dans une cellule avec onze autres journalistes.
Exemples de détentions arbitraires dans la région Nepalgunj
Lors d'une visite de terrain dans la région de Nepalgunj, Reporters sans frontières et l'INSEC ont collecté des informations sur une dizaine d'arrestations arbitraires de la part des forces de sécurité, principalement l'armée. Dans tous ces cas, les suspects ne se sont jamais vu signifier par écrit les raisons de leur arrestation. Ils ont par ailleurs été détenus dans des conditions difficiles, mais n'ont pas fait l'objet de tortures sévères.
1. Jitendra Mahaseth est le directeur d'un hôpital privé de Nepalgunj. Il a été arrêté le 16 décembre 2001 par l'armée qui lui reproche d'avoir soigné des maoïstes sans avoir signalé leur présence aux forces de sécurité. Il a passé vingt et un jours dans la caserne de Chisapani, à quelques kilomètres de Nepalgunj. Il a affirmé à la mission ne pas avoir été brutalisé. En revanche, il a dénoncé une arrestation arbitraire puisqu'il n'a jamais reçu aucun document des forces de sécurité. Depuis lors, le docteur doit se présenter tous les jours à un poste de l'armée pour répondre à des questions. Par ailleurs, il doit noter les noms et signalements de tous les patients qu'il admet dans son hôpital. Si l'une des personnes qui se présente à ses services est susceptible d'être un maoïste ou un sympathisant blessé lors d'un affrontement, il doit prévenir la police sous peine de nouvelle sanction. Enfin, les officiers l'ont prévenu qu'une affaire contre lui, datant de 1985, pourrait être réactivée s'il ne collaborait pas avec les forces de sécurité. A l'époque, le médecin avait passé treize mois en prison pour ses engagements prodémocratiques.
2. Dans le village de Banai Bhar Village (district de Banke), l'épouse de Phul Raj Chowdhury a raconté à la mission comment son mari avait été arrêté le 13 août 2002 par des soldats. "Plus d'une dizaine de soldats ont encerclé notre maison. Certains sont entrés et ont arrêté mon mari en disant que c'était un maoïste. Ils ont fouillé la maison. Ils m'ont attrapée par les cheveux et ils m'ont traînée dans notre chambre. Les soldats m'ont expliqué que si j'acceptais d'avoir des relations sexuelles avec eux, mon mari serait libre. J'ai refusé. Ils ont fouillé la chambre et sont partis avec lui", a expliqué Dhania Chowdhury, 24 ans, mère de deux enfants de trois et six ans. Elle n'a pas osé aller demander de nouvelles de son mari au camp militaire de Chisapani, mais suppose qu'il a été arrêté sur dénonciation. "Nous avons donné à manger deux ou trois fois à des maoïstes, mais sous la contrainte. Nous sommes des pauvres paysans, pas des rebelles", affirme la jeune femme. Avant de partir, les soldats ont frappé un autre habitant du village, Bharthari Chaudhari, âgé de soixante-neuf ans. Une semaine après les faits, le docteur Jean Rivolet a diagnostiqué sur cet homme un reliquat d'hématomes sus-scapulaires et un hématome occipital droit. Ce même soir, les militaires ont également arrêté Raj Bahadur Tharu. Rupa Tharu, son épouse, mère d'un fils de cinq mois, n'a aucune nouvelle de lui depuis son arrestation. Lors de l'interpellation, les militaires ont accusé Raj Bahadur Tharu d'être un maoïste et de posséder des armes. Ils ont par ailleurs frappé à coups de botte Khusiram Tharu, son père. Après être resté deux jours sans pouvoir bouger, celui-ci s'est plaint de douleurs lombaires. Le docteur Rivolet a constaté des cicatrices dorso-lombaires et des hématomes multiples. L'individu porte également des plaies contuses sur le dos. Selon son témoignage, deux soldats se sont mis debout sur son dos alors qu'un troisième homme le frappait.
3. Puspa Raj Lamechhne, âgé de quarante-deux ans, a été détenu arbitrairement pendant vingt jours dans la caserne de Chisapani. Il a été arrêté, en mars 2002, dans son village de Gabar près de Navbasta. Il aurait été dénoncé par une autre personne arrêtée par l'armée. Puspa Raj Lamechhne a reconnu avoir donné à manger à des maoïstes mais sous la contrainte. Il a été détenu dans une petite cellule avec une dizaine d'autres suspects, en majorité des paysans et des étudiants. Son épouse n'a jamais été autorisée à lui rendre visite pendant sa détention. Depuis sa libération, Puspa Raj Lamechhne doit se rendre une fois par semaine à la caserne où les militaires lui posent des questions sur ses activités.
Dans ce village de Gabar, un autre incident a eu lieu au début du mois de juillet 2002. Trois villageois revenaient la nuit de leur champ quand ils ont été interpellés par une patrouille militaire. Deux d'entre eux se sont enfuis. Mais le troisième, Rajaram Tharu, handicapé, n'a pas réussi à se cacher. Les deux fuyards ont entendu deux ou trois coups de feu tirés par les militaires dans leur direction. Depuis, l'épouse de Rajaram Tharu n'a aucune nouvelle de lui et son corps n'a pas été retrouvé. Le lendemain de l'incident, des militaires se sont présentés au domicile de l'un des fuyards, Ram Prasad Tharu, âgé de vingt ans. Il a été arrêté et conduit au camp militaire de Chisapani. Lors de son interrogatoire, il a été frappé à coups de bâton de bambou. Ram Prasad Tharu a été libéré le même jour.
Depuis la proclamation de l'état d'urgence, dans le village de Gabar (sept cents habitants), quatre civils ont été arrêtés et un autre a disparu.
4. Bhagwathi Prasad Chowdhari, âgé de 24 ans, originaire du village de Chapargauthii, a été arrêté le 8 juin 2002 par des militaires qui étaient à la recherche de deux jeunes de ce village entrés dans la clandestinité depuis plusieurs années. Les militaires lui ont attaché les mains dans le dos et lui ont bandé les yeux. M. Chowdhury a été accusé d'être maoïste et de protéger son réseau. Il a été détenu pendant quarante-huit jours dans le camp militaire de Chisapani. Les soldats l'ont obligé à garder un bandeau sur les yeux sauf pour manger et aller aux toilettes. Il devait également garder les mains attachées dans le dos. Lors des interrogatoires, le jeune homme a été giflé par des officiers. Dans sa cellule, tous les prisonniers étaient masqués et ne prenaient pas le risque de parler de peur d'être surpris par les gardiens. Avant de le libérer, les militaires lui ont dit qu'ils considéraient qu'il n'était pas maoïste. Depuis, M. Chowdhury affirme avoir perdu en acuité visuelle. Le docteur Rivolet a pu constater qu'il était fortement angoissé à l'idée d'être de nouveau arrêté.
Pour la seule ville de Nepalgunj, l'INSEC a recensé au moins deux cents arrestations de civils suspectés d'être des militants ou des sympathisants maoïstes. La très grande majorité n'ont jamais reçu de documents des autorités leur signifiant leur placement en détention. Par ailleurs, les services de sécurité demandent de façon presque systématique aux suspects de se présenter régulièrement à un poste de police alors qu'ils ne sont pas inculpés. Ainsi, dans le district de Rolpa, au moins deux cents professeurs doivent se présenter au moins une fois par semaine aux forces de sécurité cantonnées dans les villes principales. Ce qui représente pour certains professeurs des voyages de plusieurs jours. Enfin, l'INSEC n'a recensé, dans cette région, aucun cas de poursuite judiciaire entamé par les autorités contre des suspects maoïstes alors que certains sont détenus depuis le début de l'état d'urgence, soit neuf mois.
b. Usage de la torture par les forces de sécurité
Lors de la mission, Reporters sans frontières a eu accès à une série de documents (photographies et témoignages) sur des cas de tortures perpétrés par l'armée et la police contre des personnes suspectées d'être des maoïstes.
Plusieurs de ces personnes sont mortes sous la torture. Ainsi, Kancha Dangol, un militant du parti du Congrès dans la région de Tokha (district de Katmandou), accusé à tort d'être un maoïste, a été torturé à mort en mars 2002. Le docteur Rivolet a pu constater, sur la base de photographies, des hématomes volumineux contondants dus à des coups de batte ou de barre, et des traces de roulements de bâton sur le corps. Sur les photographies, le docteur a également constaté des hématomes pubiens, un œdème lingual et une fracture du nez.
D'autres photographies ont permis d'observer d'autres pratiques de torture : brûlures sur les membres du corps, plaies par éclatement du crâne, traces de coups avec des objets métalliques, hématomes volumineux sur la région fronto-temporale et en sous-dural. Selon un médecin interrogé par la mission, des traces évidentes de pratique du falanga (coups violents et répétés sur la plante des pieds), du submarino (immersion forcée de la victime dans une baignoire), de chocs électriques (essentiellement sur les organes génitaux) ou du teliphon (coups portés sur les deux côtés de la tête pour provoquer une surdité partielle et un désordre des sens) sont visibles sur les corps d'individus interrogés par les forces de sécurité.
Les organisations de défense des droits de l'homme et d'aide aux victimes basées à Katmandou ont affirmé à la mission avoir reçu depuis le début de l'état d'urgence plus de cent personnes victimes de tortures. La situation des détenus dans les commissariats s'est légèrement améliorée depuis le mois de juin. Le gouvernement, sous la pression nationale et internationale, a également mis en place, en août, une "cellule chargée des droits de l'homme" au sein de l'armée. Mais aucune sanction n'a été prise contre des militaires soupçonnés de violations des droits fondamentaux.
Pourtant, le Népal a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, entrée en vigueur en juin 1987. Celle-ci stipule dans son article 2 "qu'aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse de l'état de guerre ou de menace de guerre, d'instabilité politique intérieure ou de tout autre état d'exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture." De même, la Convention prévoit que les Etats parties devront veiller "à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal". Eu égard aux informations contenues dans ce rapport, les deux organisations demandent que le Comité contre la torture des Nations unies prennent rapidement des dispositions pour obtenir du gouvernement népalais des explications sur les actes exposés dans ce rapport.
Les journalistes, victimes de la torture
La levée de l'état d'urgence en août 2002 et la baisse significative du nombre d'arrestations de journalistes, au cours des mois de juillet et août, sont autant de signes encourageants pour les défenseurs de la liberté de la presse au Népal. Mais la mort en détention, en mai 2002, du directeur de publication promaoïste Krishna Sen, est révélatrice du traitement infligé aux journalistes d'opposition ou suspectés, quelquefois à raison, de liens avec la rébellion maoïste.
Selon un rapport de Reporters sans frontières et du réseau Damoclès rendu public le 15 octobre dernier, Krishna Sen serait mort sous la torture le 28 mai 2002, soit huit jours après son arrestation, dans une salle d'interrogatoire du Mahendra Police Club à Katmandou, en présence notamment de l'officier Bikram Singh Thapa. Ce dernier a été récompensé, en octobre, du titre de meilleur policier de l'année.
La mission a recueilli les témoignages de deux journalistes qui ont été torturés lors de leur détention. Dans le premier cas, il s'agit d'un interrogatoire violent ponctué de passages à tabac. Dans le second cas, il s'agit de tortures sans violences physiques. Le journaliste, contraint de rester vingt-quatre jours avec les yeux bandés, a dû affronter des tortures psychologiques sévères.
Le cas de Rewati Sapkota
Le 24 mai 2002, Rewati Sapkota, journaliste au quotidien en langue népalaise Rajhdhani Daily, est arrêté à son domicile de Katmandou, par les forces de sécurité et un inspecteur de police, Kamal Manandhar. Pendant quatre nuits et cinq jours, il est interrogé par des policiers sur d'autres journalistes et des activistes des droits de l'homme. Il est régulièrement torturé. Reporters sans frontières a recueilli son témoignage : "Mes mains étaient serrées par une corde. Mes pieds également. Mes yeux étaient bandés pour que je ne vois pas mes tortionnaires. Ils me frappaient avec des bâtons de bambou, très fort. Souvent, ils me couchaient au sol. Deux policiers montaient avec leurs bottes sur mes genoux, et un autre frappait mes jambes ou mes pieds. Je ne pouvais même pas crier car ma bouche était bâillonnée (…) Ils n'ont arrêté de me torturer qu'après que je me suis évanoui." Le journaliste a partagé une cellule petite et insalubre avec une dizaine de personnes. "Tous les détenus portaient des traces de coups", a déclaré Rewati Sapkota. Il est finalement relâché grâce aux pressions internationales et à celles de la Fédération journalistes népalais. Alité chez lui, il ne pourra remarcher qu'après une semaine. Après sa libération, le journaliste a dû se rendre deux fois par semaine au poste de police. Il devait répondre à chaque fois à une série de questions sur ses activités. Aujourd'hui, Rewati Sapkota doit se rendre une fois par mois au commissariat. "Quatre mois après mon arrestation, il me reste des douleurs aux pieds, des cauchemars et la peur d'être de nouveau arrêté et de mourir. Le pire est que je n'ai aucun papier pour affirmer que j'ai été arrêté", a expliqué le jeune journaliste, spécialiste des sujets scientifiques. Même si Rewati Sapkota ne porte pas de séquelles apparentes de ces tortures, le docteur Jean Rivolet a pu constater des douleurs aux mollets, à la plante des pieds et aux genoux. Le docteur a également décelé des troubles post-traumatiques.
Le cas de Gopal Budhatokhi
Directeur de l'hebdomadaire Sanghu, Gopal Budhatokhi a été arrêté deux fois depuis la proclamation de l'état d'urgence en novembre 2001. La première fois, le 17 décembre 2001, près de cent cinquante policiers ont entouré son domicile de Katmandou. Il a été conduit au commissariat principal de Katmandou. Privé d'eau, de couverture et de nourriture pendant plus de douze heures, le journaliste a été interrogé, les yeux bandés, par des militaires. Les officiers lui ont demandé de s'expliquer sur une caricature publiée en première page de son journal. Sur ce dessin, deux personnes se demandaient dans quel pays le Népal allait pouvoir acheter des armes. Les officiers lui ont également reproché la publication d'un texte sur la baisse de confiance de la population envers la famille royale, écrit par un leader politique. Avant de le libérer, les militaires l'ont menacé de représailles s'il publiait de nouveau articles sur l'armée ou sur la famille royale.
Dans la soirée du 3 mars, Gopal Budhatokhi sortait de son bureau dans le centre de Katmandou. Il venait de boucler le dernier numéro de son hebdomadaire et rentrait chez lui à moto. Le journaliste se savait surveillé depuis une semaine. A une centaine de mètres de son bureau, son véhicule a été bloqué par une camionnette et trois motos. Une dizaine d'individus l'ont entouré et lui ont demandé de le suivre : "Nous sommes de l'armée. Notre officier veut vous parler." Gopal Budhatokhi a été placé à l'arrière du véhicule, le visage couvert et les mains attachées dans le dos. Il restera ainsi pendant vingt-quatre jours. Ses gardiens ne lui permettront d'enlever sa cagoule que pour manger et aller aux toilettes. Près d'une heure après son arrestation, Gopal Budhatokhi a été placé dans une cellule sans air et sans lumière. Isolé pendant vingt-quatre jours, le journaliste a traversé une "grande dépression". Il a expliqué les angoisses qu'il a vécues pendant cette détention : "J'ai eu peur à chaque instant de devenir fou (…) Chaque jour était rempli de frustration. Je n'étais plus rien. Plus de téléphone. Plus de contact avec mon épouse et mes amis. Plus rien (…) Tous les bruits me terrifiaient. Les bottes des militaires ou les cris d'autres détenus". Gopal Budhatokhi n'a pas été frappé pendant les interrogatoires, mais il estime que le traitement qu'il a subi est la "pire des tortures". Lors des interrogatoires, au début quotidiens, les officiers lui reprochaient un article du 23 février critique à l'encontre du chef d'état-major. Selon le directeur de Sanghu, les officiers lui demandaient : "Pourquoi les journalistes comme vous ne soutiennent-ils pas l'armée ?"
Suite aux pressions nationales et internationales, Gopal Budhatokhi a été libéré le 25 mars. Depuis, le journaliste, souffrant de douleurs dorso-lombalgiques et de séquelles positionnelles, affirme connaître des troubles de la mémoire. "J'ai échappé à la folie, mais j'ai l'impression que mon cerveau tourne au ralenti", affirme M. Budhatokhi. Le docteur Jean Rivolet estime quant à lui que le journaliste souffre d'une anxiété réactionnelle due à ces tortures.
De la difficulté pour les journalistes de rendre compte de la situation des droits de l'homme
La légère amélioration de la situation de la liberté de la presse constatée depuis le mois d'août 2002 est due à la levée de l'état d'urgence et à la mobilisation sans précédent de la Fédération des journalistes népalais. Ces manifestations ont culminé avec une grève de la faim collective. Le gouvernement a alors accepté de mettre en place une Commission judiciaire indépendante pour enquêter sur les violations de la liberté de la presse commises pendant l'état d'urgence. Composée d'un ancien juge, d'un représentant du gouvernement, d'un expert des affaires de sécurité, d'un expert des médias et d'un représentant de la FNJ, cette commission doit enquêter sur les arrestations, les tortures et autres atteintes subies par les journalistes.
La FNJ a par ailleurs mis en place un Comité de surveillance chargé de recenser toutes les atteintes à la liberté de la presse. Ce Comité a documenté cent trente-six cas d'arrestation de journalistes par les forces de sécurité.
La levée de l'état d'urgence par le gouvernement a été un signe encourageant dans le processus de restauration de l'état de droit. La presse a profité de cette nouvelle donne. Ainsi, le quotidien Katmandu Post a publié, le 5 septembre 2002, une interview en première page d'un chef des maoïstes dans la vallée de Katmandou. Reporters sans frontières a interrogé l'un des auteurs de cet article. "Il aurait été difficile de publier cet article pendant l'état d'urgence. Après cet article, nous n'avons reçu aucune menace des forces de sécurité. Par contre, le gouvernement a été soumis à une certaine pression car le chef maoïste que nous avons rencontré demande la reprise des négociations", a expliqué Kosmos Biswokarma. De même, le magazine Nepali a publié un reportage sur les exécutions extrajudiciaires commises par les forces de sécurité. Le gouvernement n'a pas réagi. Pour autant, les organisations de défense des droits de l'homme constatent toujours que la presse privée reprend difficilement les informations sur les violations commises par l'armée. "Les correspondants sont terrifiés et empêchés de confirmer nos informations sur le terrain, et certaines rédactions à Katmandou censurent les informations qui mettent en cause les forces de sécurité", affirme Subodh Raj Pyakurel, directeur d'INSEC.
Pour autant, il reste très difficile pour les journalistes népalais de rapporter librement sur la situation sécuritaire dans le pays, et notamment sur les exactions commises par les forces de sécurité. La mission a interrogé une dizaine de journalistes, pour la plupart correspondants de journaux nationaux, basés à Nepalgunj.
La ville de Nepalgunj est la seconde garnison militaire du pays, mais depuis le début novembre 2001, l'armée royale du Népal, dont le numéro 2 est basé dans cette ville, n'a organisé aucune conférence de presse pour les journalistes locaux. L'armée ne compte dans cette région, la plus touchée par la guerre, aucun service de presse. Seul le général en charge des opérations militaires dans le district de Surkhet s'est montré ouvert aux questions des journalistes.
Le major Ajit Thapa s'est illustré par de nombreuses menaces à l'encontre des reporters et des militants des droits de l'homme de Nepalgunj. Un enquêteur de l'INSEC, Vijaya Chand, s'est vu menacer de mort par l'officier. "Si tu continues à publier des rapports contre l'armée, je vais te couper les mains et les jambes", a lancé l'officier au jeune militant des droits de l'homme en présence de représentants du gouvernement.
Les journalistes de Nepalgunj interrogés par Reporters sans frontières ont expliqué être incapables de confirmer la plupart des informations données par les forces de sécurité et les organisations de défense des droits de l'homme. "Notre accès au terrain est très limité. Les menaces des militaires font craindre le pire si nous allons enquêter sur des exactions. On en est arrivé à pratiquer très largement l'autocensure", explique Sharad K. C., stringer de la radio BBC. Ainsi, le major Ajit Thapa téléphone régulièrement aux journalistes pour les menacer suite à des articles publiés dans leurs journaux respectifs et qui ne lui plaisent pas. "Il nous menace ou nous convoque. Il est agressif", expose le correspondant d'un quotidien de Katmandou. "Bien entendu c'est la guerre et nous sommes prêts à dénoncer le terrorisme maoïste, mais la coopération avec l'armée est quasiment impossible", explique le correspondant de l'agence de presse publique RSS.
Ainsi, en juillet, un village proche de Nepalgunj a été attaqué par les maoïstes. Les journalistes se sont rendus sur place le lendemain et ont constaté que l'armé qui compte plusieurs bases à proximité, n'est intervenue que trois heures après l'attaque. Cette information a été reprise dans la plupart des quotidiens nationaux, notamment le Space Time Daily. Le même jour, le major Thapa a convoqué Krishna Adhikari, correspondant de ce quotidien de Katmandou et l'a obligé à publier un rectificatif. De peur d'être arrêté, le reporter du Space Time Daily a obtempéré.
Les journalistes de Nepalgunj sont "frustrés" par les limites qui leur sont imposées. "L'armée et le gouvernement n'ont que du mépris pour les journalistes de province et pourtant, nous sommes les seuls à être proches des événements (…) A quoi bon faire des reportages sur le terrain, si nos rédactions à Katmandou ne font que reprendre les communiqués du ministère de la Défense dans la capitale ?" s'interroge le stringer de la BBC. "Certes, nous commettons des erreurs mais les sanctions sont toujours appliquées de manière arbitraire et violente", ajoute ce collaborateur de la radio britannique qui a été détenu pendant plusieurs heures par l'armée en 2002.
Les journalistes dénoncent cette stratégie de non-communication de l'armée népalaise. "Les gens s'interrogent : si l'armée ne dit rien sur les opérations, c'est qu'ils ont quelque chose à cacher", explique le correspondant de la Nepal Television. Ils proposent donc que l'armée mette en place, dans chaque région, un officier en charge des relations avec la presse.
Si la plupart d'entre eux n'ont pas reçu de menaces de la part des maoïstes, les journalistes se méfient des réactions de rebelles de plus en plus aux abois. "Depuis qu'ils ont enlevé deux journalistes et assassiné un autre, nous devons être plus méfiants", explique le correspondant de l'agence de presse RSS. Pour sa part, le correspondant du journal Nepal Samatapatra Daily a été menacé au téléphone par un dirigeant maoïste de la région. "Sur la base d'une information donnée par l'armée, j'avais annoncé sa mort dans mon quotidien. Il m'a menacé de représailles si je continuais à annoncer la mort de chefs rebelles", explique le jeune reporter.
Conclusion et recommandations
Conclusion : La justice bafouée
Quelques jours seulement après l'instauration de l'état d'urgence, des avocats ont plaidé, devant la Cour suprême du Népal, des demandes d'habeas corpus en faveur de confrères et de journalistes. Les demandes ont été acceptées mais depuis, les juges de la Cour suprême ont reporté de mois en mois leur jugement. Aucune des dizaines de procédures d'habeas corpus n'a abouti à ce jour. Soit les juges ont estimé ne pas être compétents et ont renvoyé les cas devant un tribunal élargi de la Cour suprême, soit ils ont reporté leur décision estimant ne pas avoir finalisé le dossier.
La loi oblige en effet l'Etat à présenter devant le juge, dans les vingt-quatre heures, une personne arrêtée. Faute de quoi, un avocat peut déposer une demande d'habeas corpus devant la Cour suprême.
La Cour suprême, et notamment son président, Keshav Prasad Upadhyaya, qui a échappé à une embuscade des maoïstes, ont traîné les pieds dans ces affaires d'habeas corpus et n'ont pas assumé pleinement leur rôle de contre-pouvoirs vis-à-vis de l'exécutif.
L'Etat s'en est également pris aux avocats qui tentent de faire respecter les droits des suspects. Ainsi, le 11 juin, Khim Lal Devkota, avocat engagé dans la défense des journalistes emprisonnés, a été interpellé par des policiers de Katmandou. Les forces de sécurité ont refusé à plusieurs reprises de présenter M. Devkota devant la Cour suprême. Finalement, les pressions du barreau de Katmandou ont obligé les autorités à présenter l'avocat devant la Cour suprême. M. Devkota a été libéré par la cour mais le même jour, des policiers en civil ont tenté de l'arrêter de nouveau à son domicile. Depuis, l'avocat vit caché, protégé par des militants des droits de l'homme. Un autre avocat, Rama Kumar Shrestha, a été arrêté en août 2002.
Le gouvernement a décidé d'arrêter des centaines d'individus, notamment des journalistes et des défenseurs des droits de l'homme, de manière préventive. La loi antiterroriste permet alors aux autorités de détenir ces personnes pendant trois mois, cette incarcération pouvant être prolongée par décision d'une des cours des soixante-quinze districts du pays. Il suffisait aux autorités de présenter des "preuves raisonnables" (reasonables justifications) pour que ce renouvellement de détention soit accordé dans le cadre de l'état d'urgence. Mais le gouvernement et les forces de sécurité ont choisi de ne pas respecter les règles, en ne présentant pas les suspects devant des juges à la fin de la période de détention légale. Les autorités n'ont pas non plus tenté d'apporter à la justice des preuves de l'implication des suspects dans la rébellion maoïste. Ainsi, des centaines de personnes sont actuellement détenues dans le pays en dehors de toute légalité. Preuve en est, les personnes arrêtées ne se sont même pas vu signifier leur arrestation, leur détention ou leur libération. "Je n'ai aucun moyen de prouver que j'ai été arrêté. Ma bonne foi contre celle de l'armée", a expliqué le journaliste Rewati Sapkota.
Le Népal doit dans les meilleurs délais respecter ses engagements internationaux en matière de droits de l'homme, et notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le royaume. Par ailleurs, Reporters sans frontières et l'INSEC demandent au gouvernement népalais de ratifier le statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale.
Recommandations :
Reporters sans frontières et l'INFEC recommandent à Sergio Viera de Mello, Haut Commissaire aux droits de l'homme des Nations unies de:
1. convoquer l'ambassadeur du Népal auprès de la Commission des Nations unies pour lui rappeler les engagements de son pays en matière de protection des droits de l'homme ;
2. intervenir auprès du gouvernement du Népal pour lui demander de présenter dans les meilleurs délais les rapports relatifs aux traités ratifiés par le royaume ;
3. organiser une mission d'enquête au Népal menée par des rapporteurs spéciaux sur la torture et autres peines ou traitements cruel, inhumains ou dégradants, et un représentant du groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires de la Commission des droits de l'homme des Nations unies ;
4. dénoncer les exactions commises par les rebelles maoïstes contre les civils ;
5. établir une représentation permanente du Haut commissariat aux droits de l'homme au Népal.