Procès du Helsingin Sanomat en Finlande : RSF s’inquiète du tabou entourant le traitement journalistique des questions de sécurité nationale

Le jugement du plus grand journal finlandais, poursuivi pour avoir révélé des secrets d'État, sera rendu fin janvier 2023. Compte tenu de l’impact que peuvent avoir ces poursuites pénales contre des journalistes dans un des pays les mieux positionnés au Classement mondial de la liberté de la presse, Reporters sans frontières (RSF) a assisté aux audiences du procès du Helsingin Sanomat.

 

"Nous nous inquiétons des poursuites engagées contre trois journalistes pour avoir révélé des secrets d’État dans un article du Helsingin Sanomat. La force militaire doit être soumise à l’examen public, surtout en temps de guerre en Europe, lorsque son rôle et ses pouvoirs s’accroissent. La Finlande, qui a une responsabilité particulière en raison de son statut de référence en matière de liberté de la presse, ne doit pas émettre le message que le traitement journalistique des questions de sécurité nationale est tabou.

Pavol Szalai
Responsable du Bureau UE-Balkans de RSF

"Les procédures pénales ont été préoccupantes à maints égards et ont déjà mené à l’autocensure dans le traitement journalistique de la politique de défense finlandaise. Le jugement, qui sera probablement suivi de procédures en appel, constituera un précédent. Nous continuerons à suivre de près cette affaire qui déterminera l’avenir du journalisme en Finlande et au-delà.

Yrsa Grüne-Luoma
Présidente de RSF Finlande

Le jugement en première instance des journalistes finlandais Tuomo Pietiläinen, Laura Halminen et Kalle Silfverberg, poursuivis pour avoir révélé des secrets d’État dans un article du Helsingin Sanomat, est attendu d’ici la fin janvier 2023. La date a été annoncée par le président du tribunal à la suite des plaidoiries finales, les 13 et 14 décembre. Pavol Szalai, du siège de RSF à Paris, et Yrsa Grüne-Luoma et Thomas Slätis, de la section finlandaise de l’organisation, ont suivi en personne, au tribunal de district d’Helsinki, ces deux journées du procès des journalistes du plus grand journal du pays.

Le 14 décembre, le président du tribunal s’est également engagé à ce que la décision soit rendue publique. Cela oppose un contraste saisissant avec la majeure partie des audiences, à l’instar de celle du 16 décembre, dernier jour du procès, qui se sont tenues à huis clos. Les avocats des journalistes ont été jusqu’à déclarer que ce procès était "le plus secret de Finlande". Mais le manque de transparence n’a été que l’un des aspects les plus préoccupants de ces audiences, qui ont déjà commencé, selon les informations de RSF, à dissuader les journalistes finlandais de traiter des questions de sécurité nationale.

Le procès a été marqué par plusieurs revirements surprenants de la part de l’accusation. Le dernier s’est produit le 13 décembre, lorsque la procureure a suggéré que le rédacteur en chef de Helsingin Sanomat au moment de la publication de l’article, Kaius Niemi, figurait de nouveau parmi les suspects dans cette affaire. Tout comme le chef d’édition Esa Mäkinen, il avait fait l’objet d’une enquête, après le dépôt de plainte par les forces de défense en décembre 2017. Mais les accusations n’ont finalement plus visé que les auteurs de l’article, Tuomo Pietiläinen et Laura Halminen, et le chef du service politique, Kalle Silfverberg. Le 16 décembre dernier, la procureure a finalement annoncé qu’aucune nouvelle charge ne serait retenue.

Comme souligné par les avocats de la défense dans leur plaidoirie finale , les poursuites contre des journalistes qui, à l’inverse du rédacteur en chef, ne sont pas responsables des décisions de publication, ne reflètent pas la pratique éditoriale du média. Dans ce contexte, la procureure a invoqué – et ce, étonnamment, seulement après le début du procès, cet automne – de nouvelles charges contre les trois journalistes : "aide" à la révélation de secrets d’État. Elles sont venues s’ajouter à celle d’avoir révélé des secrets d’État et à celle, sans précédent, d’ "intention" de révéler des secrets d’État.

Dans sa réquisition finale, la procureure a ainsi insisté sur le fait que les journalistes prévoyaient d’autres publications tout en étant conscients de la nature confidentielle des informations. Selon l’acte d’accusation, ils ont menacé la sécurité nationale, que les informations, considérées comme confidentielles par la procureure, aient été ou non publiées dans le journal.

La défense a fait valoir que l’article sur un centre de renseignement militaire avait été publié dans l’intérêt public, puisqu’à l’époque, des amendements accordant davantage de pouvoir aux agences de surveillance étaient en discussion. En outre, selon les avocats des journalistes, l’article contenait des informations publiquement accessibles, une affirmation considérée par la procureure comme une simple stratégie juridique. Mais dans leur plaidoirie finale, les avocats de la défense ont également souligné que la notion de "secret d’État" n’était ni définie par la loi ni expliquée durant le procès. De plus, ont-ils argué, le centre de renseignement militaire a fermé en 2014.

Alors que la défense demande l’acquittement des journalistes, la procureure requiert une peine de 18 mois de prison avec sursis. Quelle que soit la décision rendue par le tribunal, l’une des parties au moins fera appel, ce qui entraînera une poursuite de la procédure dans les années à venir.

Ainsi, les poursuites engagées contre le Helsingin Sanomat continueront d’exercer une pression sur les journalistes finlandais, déjà aux prises avec la culture traditionnelle du secret qui entoure l’armée, dont le rôle s’est encore accru dans le contexte de l’attaque de l’Ukraine par la Russie et de l’adhésion de la Finlande à l’OTAN. En outre persistent les préoccupations liées à la protection insuffisante des sources journalistiques, partiellement atteinte lors des poursuites engagées contre les journalistes du Helsingin Sanomat. 

La Finlande occupe le 5e rang sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.

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