A la veille d'une nouvelle audience, Reporters sans frontières, le réseau Damoclès, l'Institut Presse et Société et la Fondation pour la liberté de la presse demandent au parquet l'ouverture d'une nouvelle enquête. Les quatre organisations ont justifié leur demande par le fait que "les enquêteurs n'avaient pas dûment exploré certaines pistes pouvant expliquer l'assassinat de Jaime Garzón" (photo).
Alors qu'une nouvelle audience du procès des assassins présumés du journaliste et humoriste Jaime Garzón (photo) se tient ces 11 et 12 décembre, Reporters sans frontières, le réseau Damoclès, bras judiciaire de Reporters sans frontières, l'Institut Presse et Société (IPYS), organisation latino-américaine de défense de la liberté de la presse basée à Lima (Pérou), et la Fondation pour la liberté de la presse, organisation colombienne de défense de la liberté de la presse, ont adressé une lettre au procureur général de la Nation pour demander l'ouverture d'une nouvelle enquête sur l'assassinat du journaliste. Les quatre organisations ont justifié leur demande par le fait que "les enquêteurs n'avaient pas dûment exploré certaines pistes pouvant expliquer l'assassinat de Jaime Garzón".
Elles ont demandé que la nouvelle enquête soit confiée à un nouveau juge d'instruction "compte tenu des doutes qui pèsent aujourd'hui sur le sérieux du travail réalisé par le premier".
Dans une seconde lettre adressée au président du Tribunal judiciaire supérieur de Bogotá, instance supérieure à celle du juge Julio Roberto Ballén Silva qui mène actuellement les audiences, les quatre organisations ont fait appel de la décision de ce dernier de ne pas décréter la nullité du procès. "La position du juge est absurde : d'un côté, il reconnaît que l'enquête est incomplète et doit être rouverte ; de l'autre, il ne prend pas cette décision alors qu'il en a le pouvoir", ont dénoncé les organisations. Celles-ci ont demandé au président du Tribunal judiciaire supérieur de Bogotá d'ordonner la nullité du procès et l'ouverture d'une nouvelle enquête.
Reporters sans frontières et le réseau Damoclès informent par ailleurs que, le 9 décembre, leur constitution de parties civiles a été acceptée par le juge Julio Roberto Ballén Silva.
Toutes les pistes n'ont pas été explorées
Lors de l'audience du 8 novembre 2002, le juge Ballén Silva a établi que le parquet n'avait pas dûment enquêté sur certaines pistes susceptibles d'expliquer l'assassinat du journaliste et humoriste. Sur la base de ce constat, il a demandé au procureur général de la Nation qu'une nouvelle enquête soit ouverte sur cet homicide. Le juge a ainsi donné raison à la défense des accusés et à la famille de la victime qui dénoncent les lacunes de l'enquête depuis plusieurs mois. Le magistrat n'a cependant pas pris la décision d'annuler le procès et d'ordonner l'ouverture d'une nouvelle enquête bien qu'il en ait le pouvoir, et comme le réclame l'ensemble des avocats partie au procès. Ces derniers ont fait appel de la décision du juge devant le Tribunal judiciaire supérieur de Bogotá, instance supérieure à celle du juge Ballén Silva.
Plusieurs informations publiées par la presse colombienne font mention de témoignages écartés par les enquêteurs qui mettaient en cause des militaires. Selon ces informations, certains secteurs de l'armée se seraient mis d'accord avec Carlos Castaño, le chef des Autodéfenses unies de Colombie (Autodefensas Unidas de Colombia, AUC, paramilitaires), pour éliminer Jaime Garzón dont l'assassinat aurait été exécuté par La Terraza, une bande de tueurs à gages qui sévissait à Medellín.
Une enquête indépendante réalisée par Reporters sans frontières et le réseau Damoclès, publiée le 24 octobre 2002, établit que les enquêteurs auraient été victimes d'une manipulation de la part du Departamento Administrativo de Seguridad (Département administratif de sécurité, DAS), service de renseignements placé sous l'autorité du président de la République. L'enquête indépendante révèle que quatre des témoignages à charge fournis aux enquêteurs par le DAS seraient faux.
Parmi ces témoins, le plus important, Maria Amparo Arroyave Mantilla, a disparu depuis que les contradictions de son témoignage sont dénoncées par les accusés et l'avocat de la famille de la victime ; un autre, Wilson Llano Caballero, informateur du DAS, est actuellement détenu pour "extorsion" ; un troisième, Wilson Raúl Ramírez Muñoz, est revenu sur ses déclarations, affirmant que lui et Maribel Pérez Jiménez, un quatrième témoin à charge, ont subi des pressions pour produire un faux témoignage.
Rappel sur les principales étapes de la procédure
L'enquête sur l'assassinat du journaliste Jaime Garzón, survenu le 13 août 1999 à Bogotá, est close depuis le 2 janvier 2002. Le juge d'instruction en charge du dossier, Eduardo Meza, avait conclu à un assassinat commandité par Carlos Castaño. Toujours selon ses conclusions, Juan Pablo Ortiz Agudelo serait l'auteur des coups de feu, et Edilberto Antonio Sierra Ayala, le conducteur de la moto. Ces deux derniers ont été arrêtés respectivement en janvier 2000 et septembre 2001. Un mandat d'arrêt a été délivré contre Carlos Castaño en juin 2000.
Le mobile de l'assassinat serait la participation de Jaime Garzón dans des négociations en vue d'obtenir la libération de personnes enlevées par la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Le chef des paramilitaires aurait reproché au journaliste d'avoir ainsi fait le jeu de la guérilla mais également d'avoir touché de l'argent en échange de ses services.
Après la clôture de l'enquête, le dossier a été transmis au juge de la septième chambre spéciale de Bogotá qui s'est déclarée incompétent le 16 septembre dernier au motif que l'assassinat du journaliste ne constituait ni un acte de terrorisme, ni un acte motivé par la qualité de journaliste de la victime. Le dossier a alors été renvoyé devant une cour ordinaire qui, considérant qu'il s'agissait bien d'un acte de terrorisme, s'est à son tour déclarée incompétente. Le 23 octobre, la Cour suprême a décidé que l'affaire relevait bien d'une chambre spéciale.
Les 8 et 20 novembre derniers, deux audiences se sont donc tenues devant la septième chambre spéciale de Bogotá, sous la direction du juge Julio Roberto Ballén Silva.