Pakistan : RSF demande au nouveau Premier ministre de prendre des mesures d'urgence pour rétablir la liberté de la presse

Alors que Shehbaz Sharif a prêté serment le 4 mars, Reporters sans frontières (RSF) appelle le nouveau Premier ministre du Pakistan à prendre des mesures urgentes pour rétablir la liberté de la presse, très durement fragilisée ces dernières années.

La seconde investiture de Shehbaz Sharif au poste de Premier ministre, lundi 4 mars, au lendemain de son élection par l’Assemblée nationale, vient clôturer une période électorale marquée par une répression accrue de la liberté de la presse au Pakistan.

Des politiques proactives sont nécessaires dans ce pays qui est l’un des plus dangereux au monde pour les journalistes et où les médias sont soumis à un degré élevé de censure et d'autocensure. RSF demande au nouveau gouvernement de redresser d’urgence la situation, la liberté de l’information étant un pilier fondamental d'une société démocratique, et formule des recommandations concrètes pour cela : mettre fin à l’impunité des crimes commis contre les journalistes ; lutter contre le harcèlement des femmes journalistes ; assurer la protection des journalistes en appliquant la loi prévue à cet effet ; abroger les législations liberticides pour le droit à l’information ; garantir l’indépendance des médias ; stopper l’usage des coupures arbitraires d’Internet et du blocage des réseaux sociaux.

“Le chantier pour le gouvernement de Shehbaz Sharif est vaste dans ce contexte de liberté de la presse extrêmement dégradé. Des mesures doivent être prises de toute urgence pour garantir la libre circulation de l'information, l'indépendance des médias et permettre aux journalistes de travailler en sécurité. L’ingérence de l’establishment militaire dans les rédactions pour censurer des informations et mettre sous pression les médias, les enlèvements de journalistes par les agences de renseignement, l’instrumentalisation des lois afin de museler les voix critiques, les coupures arbitraires d'accès à Internet et aux réseaux sociaux, les lois liberticides sur les médias, l’impunité dramatique des crimes contre les journalistes, sont autant d’entraves graves à la liberté de la presse auxquelles le nouveau gouvernement doit remédier de toute urgence. Nous l’appelons, en premier lieu, à respecter les engagements pris par les partis politiques lors de la dernière campagne électorale, tels que la création d'une Commission de sécurité et de sûreté pour la protection des journalistes par la PML-N (Pakistan Muslim League- Nawaz), et la révision de la loi sur la prévention des crimes électroniques (PECA) de 2016 pris par le Parti du peuple pakistanais (Pakistan People's Party- PPP).

Célia Mercier
Responsable du Desk Asie du Sud

RSF formule les recommandations suivantes pour le nouveau gouvernement :

  • METTRE FIN À L’IMPUNITÉ DES CRIMES CONTRE LES JOURNALISTES

- Il est urgent de garantir le respect de l'État de droit et de mettre fin à l'impunité des actions des services de sécurité, responsables de l'enlèvement, de la détention secrète, de la torture de journalistes considérés comme “gênants”.

- Alors que “53 journalistes pakistanais ont été tués dans le pays entre 2012 et 2022” selon le rapport annuel 2022 du partenaire de RSF au Pakistan, Freedom Network, il n’y a eu “aucune condamnation dans 96 % de ces assassinats”. La médiocrité et la lenteur des enquêtes empêchent de rendre justice aux victimes de ces crimes inacceptables. L'impunité de ces crimes doit être combattue avec un cadre juridique renforcé.

- Dans le Sindh, une loi provinciale sur la lutte contre l'impunité des crimes commis contre les journalistes (Sindh Protection of Journalists and other Media Practitioners Act) a été promulguée en 2021. Mais la Commission pour la protection des journalistes et autres professionnels des médias, créée par le gouvernement provincial en vertu de cette loi, doit encore recevoir un soutien logistique et financier afin de pouvoir fournir aide et protection aux journalistes de la province.

  • APPLIQUER LA LOI FÉDÉRALE DE PROTECTION DES JOURNALISTES

- Le gouvernement fédéral est invité à rendre immédiatement opérationnelle la loi fédérale sur la protection des journalistes et autres professionnels des médias de 2021 (Protection of Journalists and Media Professionals Act, 2021). Malgré l'engagement public du Premier ministre Shehbaz Sharif le 6 décembre 2022 à Islamabad, la commission de sécurité prévue n’ayant toujours pas été mise en place, la loi est inopérante. Par ailleurs, son article 6 doit être révisé pour supprimer la mention controversée de “journalisme de bonne foi”.

  • GARANTIR L’INDÉPENDANCE DES MÉDIAS

- Les ministères de l'Information doivent cesser d’instrumentaliser les revenus publicitaires pour influencer la politique éditoriale des médias privés, dont le financement dépend en grande partie des annonces légales et de la publicité institutionnelle.

- L’ingérence régulière de l’establishment militaire dans les médias pour censurer l’information doit cesser. Les journalistes doivent pouvoir couvrir librement et sans crainte tous les sujets, y compris ceux ayant trait à l'armée, au terrorisme et aux mouvements de défense des droits civiques.

  • ABROGER  LES LOIS LIBERTICIDES

- Le gouvernement doit réviser les amendements à l'ordonnance de l'Autorité de régulation des médias électroniques du Pakistan de 2023 (PEMRA Amendment Act). Certaines clauses du texte ouvrent la voie à la censure des médias sous prétexte de lutter contre la désinformation : les termes d'“informations authentiques” et de “désinformation” doivent être définis précisément et sans aucune ambiguïté, afin de ne pas permettre le retrait de licence ou la suspension de n’importe quel média.

- La loi amendée sur les secrets officiels (Official Secrets Amendment Bill) de 2023 doit être révisée afin qu’elle ne soit pas utilisée contre les journalistes.

- La loi pakistanaise sur la prévention des crimes électroniques de 2016, communément appelée PECA (The Prevention of Electronic Crimes Act, 2016), doit être révisée afin de ne pas servir d’outil pour restreindre la liberté d'expression sur Internet. Cette loi draconienne est actuellement utilisée pour censurer les voix critiques sur les réseaux sociaux.

  • STOPPER L’USAGE DES COUPURES ARBITRAIRES D’INTERNET ET DU BLOCAGE DES RÉSEAUX SOCIAUX

- La suspension arbitraire des réseaux Internet, des services mobiles et le blocage des réseaux sociaux à des fins politiques sont inacceptables dans un cadre démocratique. Le gouvernement doit prendre l’engagement de ne pas avoir recours à cette mesure autoritaire.

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