« Un pays, deux systèmes » : derrière cette expression communément utilisée pour décrire la spécificité de Hong Kong en tant que « zone administrative spéciale » de la Chine, se cache le combat pour la sauvegarde des libertés fondamentales, et en particulier de la liberté de la presse et de l’information. Si Pékin aime rappeler qu’il n’y a qu’un pays, les citoyens de l’archipel tiennent avant tout à obtenir la garantie du maintien de ce « deuxième » système, qui a permis jusqu’à aujourd’hui aux journalistes, blogueurs et défenseurs des droits de l’homme de s’exprimer et d’informer plus ou moins librement, sans véritable censure.
Aujourd’hui, si les médias basés à Hong Kong sont toujours en mesure de couvrir des sujets sensibles concernant l’archipel et la Chine continentale, le besoin de se battre pour préserver la liberté d’expression et de la presse se fait de plus en plus sentir. La
révolution des parapluies, ou Occupy Central, est le reflet de ce combat, passé de conflit larvé et sporadique à lutte ouverte et généralisée entre les défenseurs de la démocratie et le régime chinois et ses avatars, qu’ils soient politiques ou économiques.
Ce conflit ne date pas d’hier : en l’espace de 12 ans, Hong Kong est passé du 18ème rang au 61ème sur 180 pays évalués par le
Classement mondial de la liberté de la presse. Les journalistes hongkongais qui contribuent à l’établissement de ce classement ont observé
ce déclin, tout comme l’association des journalistes de Hong Kong (
Hong Kong Journalists Association, HKJA).
Reporters sans frontières passe en revue les points majeurs qui témoignent de la dégradation de ces libertés fondamentales.
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Contrôle de l’information et censure indirecte
Alors que Hong Kong
échappe globalement aux politiques de censure imposées aux médias par Pékin, et ce malgré sept années de détérioration sous Donald Tsang, l’arrivée au pouvoir en 2012 du candidat pro-Pékin, CY Leung,
est apparue à l’époque comme une menace supplémentaire pour la liberté d’expression et de la presse. S’il n’a pas fait voter la très controversée loi relative à la sécurité nationale qui prévoyait de lourdes peines de prison pour punir les actes de trahison, sécession, sédition, subversion et vol de secrets d’Etat, le chef de l’exécutif n’a jamais caché son mépris pour la critique à son égard et à l’encontre de Pékin. Un an après son arrivée au pouvoir, il n’avait tenu aucun de ses engagements en matière de liberté de la presse à commencer par la rédaction d’une loi sur la liberté de l’information, que les journalistes et les citoyens attendent toujours. En revanche, CY Leung ne s’est pas fait prier pour instaurer la censure du Parti communiste dans l’archipel chaque fois que possible,
en filtrant les informations concernant les visites officielles à Pékin, en refusant les conférences de presse ou encore en y invitant volontairement uniquement des cameramen et photographes afin d’éviter des séances de questions/réponses.
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Violences et intimidations
Pendant longtemps les violences à l’encontre des journalistes ont été exceptionnelles. Mais un nombre croissant d’attaques physiques a été enregistré par l’organisation au cours des derniers mois et années. En 2014, la
violente agression survenue le 25 février 2014 sur le journaliste Kévin Lau, du quotidien Ming Pao, a choqué l’ensemble de la profession, déjà indignée par l’agression des employés du
Apple Daily en juin 2013 et le passage à tabac de Chen Ping, éditeur du
iSun Affairs. L’attitude des forces de police hongkongaises envers les médias et les journalistes se durcit également depuis quelques années. Les arrestations et les dérapages de policiers en marge des manifestations se font plus fréquentes. Lors de la révolution des parapluies, journalistes et cameramen ont été la cible d’
agressions physiques, de
harcèlement moral voire de harcèlement sexuel.
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Autocensure et influence chinoise
La collaboration active du chef de l’exécutif avec les autorités centrales et les violences en hausse,
dont certains journalistes y voient là une politique délibérée, n’ont cependant pas suffi au régime chinois qui n’a cessé d’alourdir sa mainmise sur les médias locaux et étrangers basés à Hong Kong.
Aujourd’hui, les médias locaux et étrangers pratiquent l’
autocensure: sous couvert d’anonymat, de nombreux journalistes hongkongais ont confié à Reporters sans frontières, que leurs médias s’autocensuraient voire commettaient de graves infractions à l’éthique journalistique afin de ne pas s’attirer de « problèmes avec Pékin ». En juillet dernier, Tony Tsoi, fondateur du site d’informations
House News a annoncé la fermeture de son média de peur de représailles voire d’être arrêté en Chine, où il se rend régulièrement.
Mais la plupart des cas d’autocensure, y compris les plus grossiers, ne suscitent malheureusement pas l’indignation générale, et nécessitent même d’être pointés du doigt pour être rendus visibles. Le 4 juin 2014, Le
South China Morning Post décidait, à la dernière minute, de ne pas mettre en Une la commémoration des événements du "4 Juin", qui a par la suite réuni près de 200 000 personnes. Une décision à peine commentée par la profession. De même, si les premiers jours des événements pro-démocratie en cours ont fait la Une de la plupart des médias étrangers,
Reuters Chine et le
Wall Street Journal ont attendu entre un et deux jours avant de couvrir les manifestations dans leur version chinoise.
L’intervention directe de Pékin dans le contrôle des médias est grandissante. La Chine empêche, avec la collaboration des services de l’immigration hongkongais, des journalistes jugés dangereux par et pour le Parti communiste de venir
travailler à Hong Kong. En 2013,
Hong Kong Television Network s’est vu refuser une
licence de diffusion : le gouvernement n’a pas motivé son refus, ce qui a davantage donné au peuple le sentiment que les dirigeants de l’archipel cherchent à contrôler le contenu des chaînes de télévision, et manque de transparence.
A l’heure actuelle, la présence de
membres de triades au sein des manifestants, la
censure des manifestations hongkongaises par les médias chinois continentaux, le
détournement des images par Pékin,
l’arrestation des supporters à ces événements pro-démocratiques, entre autres violations, sont une preuve indéniable que la Chine influence de l’extérieur l’histoire de Hong Kong.
Recommandations de RSF
Hong Kong est censée jouir d’une grande liberté d’expression, garantie d’une part par l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dont elle est signataire, d’autre part, par l’article 27 de la Loi fondamentale - équivalent à une Constitution pour la région administrative spéciale.
Reporters sans frontières dénonce le contrôle grandissant de la Chine continentale au sein de la région administrative spéciale de Hong Kong, et demande à ce que les réclamations du peuple soient prises en compte, et que la liberté d’expression et la liberté de la presse soient dûment respectées. Pour cela, l’organisation réitère son soutien à l’association des journalistes de Hong Kong (HKJA) et appelle :
les autorités policières à:
arrêter tous ceux qui s’en prennent à la presse en marge des rassemblements citoyens, et permettre aux journalistes de couvrir les événements en toute sécurité ;
prendre des mesures générales afin de faire cesser les violences à l’encontre des journalistes, et mettre tout en oeuvre pour arrêter et traduire en justice les auteurs et commanditaires d’agressions et de menaces à l’encontre des professionnels de l’information.
le gouvernement à :
changer radicalement de politique en matière de liberté de la presse, en permettant notamment aux médias d’obtenir les licences dont ils font la demande en bonne et due forme ;
travailler, en collaboration étroite avec les associations de défense de la presse, sur une loi de protection de la liberté de l’information, et ce dans les plus brefs délais ;
cesser de porter atteinte au droit d’informer et au droit à l’information, en mettant un terme aux discriminations à l’encontre de certains médias et aux différentes formes de censure et de contrôle abusif de l’information, notamment lors des conférences de presse ou par des règles abusives notamment avec
le décret sur les compagnies privées.
les médias locaux et étrangers à:
tout mettre en oeuvre afin de travailler hors du champ de toute influence extérieure, qu’elle soit politique ou économique, et à dénoncer publiquement toute pression dont ils feraient l’objet ;
adopter des mesures afin d’éviter que leurs employés ne soient victimes de telles pressions et d’assurer la sécurité physique des reporters et des auteurs et contributeurs de contenus journalistiques “sensibles”.