Manifestations en Géorgie : RSF s’inquiète de la multiplication des violences policières contre les journalistes
Alors que la population est descendue dans la rue pour manifester contre une loi sur les “agents de l’étranger” calquée sur la législation russe, la police se montre de plus en plus violente, y compris envers les journalistes. Reporters sans frontières (RSF) exhorte les autorités à mener des enquêtes transparentes sur les attaques contre les journalistes et à annuler cette loi qui nuit au droit à une information libre.
Le Parlement géorgien a adopté la loi sur les “agents de l’étranger” en troisième et dernière lecture le 14 mai. Plus d’une quinzaine de journalistes ont subi des violences ou intimidations depuis la réintroduction le 3 avril 2024 de ce texte, qui avait été retiré en mars 2023 à la suite de manifestations et des pressions internationales. Déployée en nombre dans la capitale, Tbilissi, la police n’a pas hésité pas à réprimer violemment les rassemblements contre cette loi portée par le parti majoritaire “Rêve géorgien” et largement inspirée d’une loi russe servant à réduire au silence la presse indépendante.
Lors de la journée paroxystique du 17 avril, une unité de police masquée aux méthodes ultra-violentes a pris en chasse plusieurs journalistes clairement identifiés comme tels, puis les a rattrapés et passés à tabac, dont Aleksandre Keshelashvili, du média spécialisé dans les politiques publiques Publika, Giorgi Badridze, du site d’information indépendant Tabula, Giorgi Baskhajauri, du média en ligne spécialisé sur les droits humains et la diversité Aprili Media, ainsi que le blogueur azerbaïdjanais Nurlan Gahramanli. Le commandant de cette unité, Zviad Kharazishvili, surnommé “Khareba”, est tristement célèbre pour avoir mené des expéditions punitives contre des opposants politiques au parti “Rêve géorgien”.
“La situation en Géorgie est particulièrement préoccupante. Le gouvernement et le parti ‘Rêve géorgien’ passent en force, les violences policières s’intensifient et les journalistes deviennent des bouc-émissaires. RSF demande l’arrêt de ces violences, et que des enquêtes sur les exactions contre les journalistes soient menées de manière transparente et indépendante, ainsi que le retrait de la loi sur les ‘agents de l’étranger’.
Le 7 mai, l’organe public de défense des droits créé en coopération avec l’Union européenne, le Special Investigation Service, s’est alarmé d’une situation sans précédent en matière de répression policière. Il a annoncé une enquête sur les actions illégales des forces de l'ordre, y compris contre les journalistes. Le défenseur des droits géorgien a également exigé l’ouverture d’une enquête par les autorités.
Pressions et intimidations
Entre le 28 avril et le 1er mai, alors qu’ils couvraient les manifestations, les journalistes Niko Kokaia de la chaîne de télévision pro-opposition TV Pirveli, Robi Zaridze du média indépendant d’investigation ifact.ge, et Giga Gelkhvidze du site d’information cnews.ge ont reçu des jets de gaz lacrymogène. Le travail de deux reporters de Publika, Lika Zakashvili et Mamuka Mgaloblishvili, ainsi que leurs confrères de TV Pirveli Nanuka Kajaia et Davit Beradze, a également été entravé, la police les ayant empêché de prendre des images. Le 7 mai, un inconnu a agressé en direct Giorgi Kldiashvili, directeur de l’Institut pour le développement de la liberté d’information (IDFI), puis le caméraman de la chaîne de télévision d’opposition TV Formula qui l’interviewait.
Outre les violences physiques, au moins deux rédacteurs en chef ont été victimes d'intimidations : Nino Zuriashvili du média d’investigation Monitori et Gela Mtivlishvili du site d’information Mountain Stories ont ainsi vu leurs locaux couverts d’affiches à leur effigie, les accusant de trahison et d’être des “agents de l’étranger”.
Dans un contexte politique particulièrement tendu, les représentants du parti “Rêve géorgien” accusent les journalistes non acquis à leur cause d’être à la solde de gouvernements étrangers hostiles. En juillet 2021 déjà, 53 journalistes avaient été passés à tabac en toute impunité par des contre-manifestants à la marche des fiertés à Tbilissi. L’un d’eux avait succombé à ses blessures quelques jours plus tard.
Classée 103e sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2024, la Géorgie a perdu 26 places, un triste record dans la région Europe de l’Est et Asie centrale.