Reporters sans frontières appelle les deux candidats à combattre l'impunité dont bénéficient les assassins de journalistes. L'organisation estime que seule l'adoption d'une réforme qui confierait les enquêtes à la police fédérale, réputée mieux équipée et moins liée aux intérêts politiques locaux, peut constituer une mesure efficace pour lutter contre l'impunité.
-Ler a versão portuguesa
Paris, le 17 octobre 2002
Messieurs les candidats,
A dix jours du second tour de l'élection présidentielle, Reporters sans frontières vous demande de prendre l'engagement de lutter contre l'impunité dont bénéficient les assassins de journalistes.
Notre organisation vous demande de vous engager, si vous êtes élu, à tout mettre en œuvre pour que le projet d'amendement de la Constitution n°29/2000, relatif à la réforme du pouvoir judiciaire, soit adopté dans les meilleurs délais. Ce projet inclut la « fédéralisation » de la justice concernant tout crime ou violation grave des droits de l'homme, y compris les assassinats de journalistes, et permettrait de confier ces enquêtes à la police fédérale. Adopté en première lecture par les députés de Brasilia, le texte doit maintenant être approuvé par le Sénat.
Reporters sans frontières estime que seul un tel transfert de compétence au profit de la police fédérale, réputée mieux équipée et moins liée aux intérêts politiques locaux, peut constituer une mesure efficace pour lutter contre l'impunité.
Alors que la majorité des cas d'assassinats de journalistes sont survenus en province où des caciques locaux ne tolèrent toujours pas le contre-pouvoir que représente la presse, la lutte contre l'impunité représente un engagement de votre part à consolider la démocratie locale, encore fragile dans de nombreuses régions du Brésil.
Depuis 1991, quinze journalistes ont été tués au Brésil. Une majorité d'entre eux travaillaient pour des petites publications ou pour des radios de province et ont payé de leur vie leurs révélations sur des pratiques frauduleuses d'élus locaux ou sur des exactions commises par les forces de l'ordre. Malgré l'ouverture d'enquêtes, la quasi-totalité de ces crimes sont finalement restés impunis.
C'est cette impunité qui conduit Reporters sans frontières à s'interroger sur l'organisation du pouvoir judiciaire au Brésil, Etat fédéral où l'assassinat d'un journaliste relève de la compétence exclusive de la justice des Etats, plus sensible aux pressions locales, et de la police civile, contrôlée par les élus locaux.
Le 3 octobre 2002, notre organisation a publié un rapport dénonçant de graves anomalies survenues dans l'enquête sur l'assassinat de Manuel Leal de Oliveira, directeur de l'hebdomadaire A Região, publié à Itabuna (Bahia). Ce dernier avait été tué le 14 janvier 1998 après avoir mis en cause le maire de la ville, Fernando Gomes, allié politique d'Antonio Carlos Magalhães, le chef du Parti du front libéral (PFL, droite) et ancien gouverneur de l'Etat.
Pour Reporters sans frontières, l'affaire Manuel Leal de Oliveira révèle surtout les limites d'un système qui confie à une police placée sous la tutelle d'élus locaux, en l'occurrence la police civile de l'Etat de Bahia, le soin d'enquêter sur l'assassinat d'un journaliste qui avait mis en cause un de ces élus.
Les deux assassinats de journalistes survenus en 2002 confirment tristement notre analyse. Ainsi, dans l'affaire Tim Lopes, journaliste de TV Globo exécuté par des narcotrafiquants le 2 juin, l'arrestation des auteurs présumés du meurtre a été retardée par les complicités dont ces derniers disposaient dans la police de l'Etat, en charge de l'enquête.
Par ailleurs, le principal suspect dans l'assassinat du journaliste Sávio Brandão, Hercules Araújo Agostinho, est un caporal de la police militaire, également placée sous le contrôle des autorités locales. Depuis l'assassinat du journaliste le 30 septembre dernier, on a appris qu'Hercules Araújo Agostinho est soupçonné d'avoir tué onze autres personnes au cours des six dernières années et qu'il aurait bénéficié de protections au sein de sa hiérarchie pour ne pas être inquiété. Propriétaire du quotidien Folha do Estado, publié dans l'Etat du Mato Grosso, Savio Brandão a été tué après avoir publié des articles sur l'implantation du crime organisé dans la région.
Messieurs les candidats, notre organisation attend une réponse de votre part avant le 26 octobre et rendra immédiatement publique cette dernière. Dans l'attente de celle-ci, je vous prie d'agréer, Messieurs, l'expression de ma haute considération.
Robert Ménard
Secrétaire général
Lire le rapport sur l'assassinat de Manuel Leal de Oliveira