Les manoeuvres des autorités honduriennes pour faire taire les voix critiques

Reporters sans frontières (RSF) dénonce un climat de travail toujours plus hostile pour la presse du Honduras, et revient sur les tentatives récentes des autorités, pour faire taire les journalistes qui dérangent. Le cas du présentateur TV Ariel Armando D’Vicente, condamné à trois ans de prison pour diffamation et interdit d’exercer sa profession, est particulièrement préoccupant.

Le Honduras fait partie des pays les plus dangereux d’Amérique Latine pour la presse. Les assassinats de journalistes- déjà 8 depuis le début de l’année 2015- y sont fréquents, tout comme les manoeuvres des élus et des autorités pour censurer les voix trop critiques. Pour les seuls mois d'août et septembre 2016, Reporters sans frontières a recensé plusieurs graves attaques contre la liberté de la presse dans le pays.


Le 26 août 2016, le journaliste Ariel Armando D’Vicente, présentateur et directeur de l’émission “Prensa Libre”, pour la chaîne indépendante Libertad TV, a été condamné à trois ans de prison pour diffamation. Son avocat a fait appel de la décision, qui prévoit par ailleurs une interdiction d’exercer son activité professionnelle pour une durée de trois ans. Le journaliste est accusé par Oquelí Mejía Tinoco, ancien commandant de la police départementale de Choluteca (sud), d’avoir dégradé son image. En 2014, D’Vicente avait révélé que Mejía et les policiers sous son commandement étaient impliqués dans un trafic illégal de bétail entre l’Amérique centrale et le Mexique, en lien avec des groupes criminels.


En 2012, Ariel D’Vicente avait échappé à une tentative d’assassinat après avoir dénoncé une affaire de détournement de fonds impliquant trois agents des services d’investigation criminelle (Dirección Nacional de Investigación Criminal)


Depuis le début du mois d'août, Juan Carlos Morales, maire de Siguatepeque (centre), mène une campagne de dénigrement contre trois journalistes de sa municipalité. Leur tort ? Avoir relayé des informations négatives, comme l’augmentation du niveau de pauvreté, dans la commune, et critiqué la mauvaise gestion du maire. Une mauvaise publicité pour Juan Carlos Morales qui souhaite se représenter aux élections, prévues en novembre 2017. Ainsi Leonel Juaréz, présentateur de l’émission “Juaréz informa”, pour la chaîne TV Centro, a signalé être harcelé par Juan Carlos Morales, qui souhaite par tous les moyens mettre fin à son émission: campagnes de diffamation et de décrédibilisation dans la presse et sur les réseaux sociaux, pression sur les annonceurs et sur sa famille... Leonel Juaréz n’a pas eu d’autre choix que de fermer son programme, et envisage de quitter le Honduras pour se mettre à l’abri des menaces. Les journalistes Anselmo Rubio, présentateur de Libre Opinión TV, et Walter Ulloa Bueso, animateur de la radio locale Estereo Cielo, ont fait l’objet de persécutions similaires de la part du maire.


Le 3 septembre 2016, le journaliste Milthon Robles a été menacé par un inconnu en voiture qui a pointé une arme dans sa direction, dans la ville de San Pedro Sula (nord-ouest). Deux semaine plus tôt, un individu dans le même véhicule avait tenté de le renverser intentionnellement. Ces attaques font suite à une enquête réalisée par Robles sur les ‘impôts de guerre’, imposés et collectés par les groupes criminels locaux, les ‘Maras’, dans laquelle il pointe du doigt l’implication des autorités et de fonctionnaires publics locaux.


Milthon Robles est correspondant du site d’information Criterio.hn, membre du réseau d’alerte et de protection des journalistes du C-Libre, militant des droits de l’Homme et président de l’association hondurienne des ‘Comunicadores Sociales’.


Les autorités et la classe politique, censées protéger la profession, sont trop souvent les premiers oppresseurs des journalistes, déclare Emmanuel Colombié, responsable du bureau Amérique latine de RSF. Le procès intenté à Ariel D’Vicente, alors que l’impunité des crimes contre la presse est quasi-totale au Honduras, est particulièrement ironique, et témoigne de ce climat hostile envers la profession. Dans un pays en proie à la corruption et au crime organisé, le respect et la protection du travail des journalistes est plus que jamais essentiel.”


Si la sentence d’Ariel D’Vicente est confirmée, ce sera la deuxième fois en deux ans qu’une interdiction d’activité est prononcée par la justice contre des journalistes honduriens. Le 29 octobre 2015, Julio Ernesto Alvarado, animateur de l’émission “Mi Nación” pour la chaîne Globo TV, avait été notifié officiellement par le tribunal d'application des peines du Honduras de son interdiction d’exercer son métier, malgré les mesures préventives octroyées par la CIDH en novembre 2014, ordonnant la suspension de la décision.


Reporters sans frontières demande une nouvelle fois aux autorités du Honduras de prendre en compte les recommandations émises dans l’Examen périodique universel (EPU) de 2015, et de respecter l’ensemble de leurs engagements prévus dans le cadre de leur adhésion à l’OAS.


Le Honduras se classe 137ème sur 180 pays dans le Palmarès mondial 2016 de la liberté de la presse, publié par RSF.

Publié le
Updated on 16.09.2016