Alors que des milliers de journalistes étrangers arrivent au Japon pour couvrir la Coupe du monde, Reporters sans frontières dénonce le système des kisha clubs (clubs de la presse officiels) comme un obstacle à la liberté de la presse qu'il est urgent de réformer.
"Alors que le monde a les yeux tournés vers le Japon à l'occasion de la Coupe du monde de football, Reporters sans frontières souhaite attirer l'attention sur la nécessité urgente de réformer le système des kisha clubs (clubs de la presse officiels) qui entrave la liberté de la presse dans l'île", a déclaré Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières. Il a demandé au Premier ministre, Koizumi Junichiro, d'user de son influence pour transformer les kisha clubs en centres de presse ouverts aux journalistes indépendants et aux correspondants de la presse étrangère. "Alors que des milliers de journalistes étrangers sont au Japon pour couvrir la Coupe du monde, il est très choquant que les correspondants de la presse étrangère soient exclus de la majorité des clubs de la presse qui organisent le système médiatique depuis près de cinquante ans", a souligné Robert Ménard.
Les spécialistes du sujet remontent à 1882 pour dater la création du premier kisha club dans les couloirs du Parlement japonais. Depuis lors, les différents régimes ont favorisé ces clubs réservés à certains journalistes. Aujourd'hui, il en existe au moins huit cents dans le pays. La majorité d'entre eux sont attachés à des institutions publiques (ministères, gouvernements de province), des grandes entreprises, des partis politiques ou au Palais impérial. Ils sont composés de plus de douze mille journalistes représentant près de cent soixante médias. On compte en moyenne vingt journalistes par kisha club affiliés aux principaux quotidiens, aux chaînes de télévision nationales et aux agences de presse (Kyodo et Jiji). Les membres du club fonctionnent comme un pool de journalistes installé dans des bureaux mis à leur disposition par l'institution.
Les kisha clubs sont presque tous interdits aux journalistes indépendants japonais et aux correspondants étrangers. Ces derniers ne sont autorisés qu'au club du ministère des Affaires étrangères nippon. De fait, ces deux catégories de professionnels de l'information sont privées de certaines informations issues des principales administrations et entreprises.
Dans son rapport annuel 2002, Reporters sans frontières écrivait : " Les kisha clubs restent le principal obstacle à une vraie liberté de la presse au Japon. Des voix commencent à s'élever contre ce système clientéliste. Ainsi, le 15 mai 2001, Yasuo Tanaka, le gouverneur réformateur de la province de Nagano, annonce qu'il quitte le "système des kisha clubs". Il refuse de financer les trois clubs rattachés à la province, et compte installer un centre de presse accessible à tous les journalistes. Les seize médias affiliés aux kisha clubs de la province de Nagano dénoncent cette décision et affirment qu'elle accroît "les risques de manipulation de l'information". Depuis cette date, le centre de presse est ouvert à tous les journalistes, indépendants ou affiliés, japonais ou étrangers. Mais M. Tanaka, homme politique indépendant, est devenu la bête noire du parti au pouvoir (depuis 1955), le Parti libéral démocrate.
Par ailleurs, l'organisation a exprimé dans sa lettre au Premier ministre Koizumi Junichiro son inquiétude face aux dérives possibles de l'application de la Loi sur la protection des informations personnelles actuellement examinée par le Parlement. "Il est louable de protéger la vie privée, mais nous savons d'expérience que ce type de loi permet également de limiter la liberté de la presse", a conclu Robert Ménard.
Selon des informations recueillies par Reporters sans frontières, la Diète (Parlement japonais) doit examiner, avant la fin de la session, le 19 juin 2002, le projet de loi sur la protection des informations personnelles. Ce texte prévoit que les personnes, notamment les journalistes, qui réunissent des informations personnelles sur d'autres individus doivent pouvoir à tout moment : révéler pourquoi ils rassemblent ces informations ; regrouper ces informations de manière "appropriée" ; s'assurer de la véracité de ces informations ; empêcher la diffusion de ces informations à une tierce personne ; et maintenir un accès transparent aux informations pour la personne qui fait l'objet de l'enquête. En mai 2001, Shinichi Sano, journaliste indépendant de renom, a lancé une campagne contre la loi qui, selon lui, menace le travail des professionnels indépendants de l'information.
En effet, la loi reste très vague sur les définitions de "manière appropriée" et "informations personnelles". Par ailleurs, Reporters sans frontières regrette que le Premier ministre ait affirmé qu'il espérait le "soutien des médias" dans l'application de la loi.