Les journalistes en première ligne de la lutte contre la corruption

A l'occasion de la Journée internationale de lutte contre la corruption, le 9 décembre 2016, Reporters sans frontières (RSF) rappelle le rôle majeur joué par les journalistes qui dénoncent des scandales parfois au plus haut sommet de l’Etat, et qui s’exposent pour cela à de graves dangers.

Dans de nombreux pays où elle est endémique, la corruption constitue l’un des plus grands tabous auquel un journaliste peut s’attaquer, et souvent l’un des sujets les plus dangereux à traiter. Et pourtant que ce soit dans les pays riches ou pauvres, les journalistes sont très souvent en première ligne de la lutte contre la corruption payant au prix fort le fruit de leurs enquêtes pour empêcher que la corruption ne sape la démocratie et n’entraîne davantage de violations des droits de l'homme.


“Les guerres, les crises politiques et économiques et les dérives autoritaires sont les principaux facteurs favorisant la corruption, constate Virginie Dangles, rédactrice en chef de Reporters sans frontières. De la Turquie à l’Érythrée en passant par la Somalie, le Mexique, la Russie, la Malaisie ou encore l'Iran, on constate que ce fléau choisit régulièrement ses victimes dans les rangs des journalistes et des journalistes citoyens. L’organisation appelle à une protection renforcée des médias et des journalistes qui, en luttant contre la corruption, défendent les fondements des institutions démocratiques et l'État de droit.”


Informer sur la corruption, une activité à risque


Le journaliste mexicain Marcos Hernández Bautista (38 ans), du journal Noticias Voz e Imágen a été tué par balle près de San Andres Huaxpaltepec (’État de Oaxaca), le 21 janvier 2016, peu de temps après avoir publié des articles touchant aux “intérêts de chefs de la région”.


Si tous les journalistes d’investigation ne risquent pas leur vie, nombreux sont ceux qui font face à des représailles judiciaires visant à les museler. En 2016, des centaines de représentants de médias turcs continuent d’être poursuivis en justice pour avoir évoqué ou dénoncé les allégations de corruption des proches de l’ex Premier ministre et actuel président Erdogan. En Russie, le journaliste d’investigation Alexandre Sokolov, spécialisé dans les affaires de corruption à grande échelle, est aujourd’hui l’une des figures emblématiques de la répression qui s’abat sur tous ceux qui osent exposer de tels abus. Le 9 novembre dernier, ce journaliste de l’agence de presse RBC a comparu devant un tribunal de Moscou après plus de 15 mois d’instruction. Alexandre Sokolov est accusé d’« organisation de groupe terroriste », un crime passible de huit ans d'emprisonnement, après avoir effectué une enquête, très documentée, sur les malversations de près de 93 milliards de roubles (1,27 milliard d'euros) dans le cadre de la construction du cosmodrome Vostochny (Sibérie orientale). Pour les autorités russes, ces journalistes un peu trop curieux, à l'instar de Sergueï Reznik, qui n'a eu de cesse de dénoncer la corruption des élites locales de Rostov-sur-le-Don (Ouest), jusqu'à son arrestation en 2013, sont devenus des cibles de choix.


Les condamnations pour “diffamation” ou “atteinte à l’honneur” pleuvent sur les journalistes qui exposent les conflits d'intérêts et la collusion entre des appareils de l’Etat et les acteurs privés. Le 11 mars 2016, David Natera Febres, directeur du journal vénézuélien Correo del Caroni, a été reconnu coupable de ‘diffamation et injure’ et condamné à quatre ans de prison par le tribunal pénal de l’Etat du Bolivar. Son tort ? Avoir couvert en 2013 un scandale de corruption et d’extorsion de fonds impliquant des officiels de l’armée et l’entreprise publique Ferrominera Orinoco. En Angola, le journaliste Rafael Marques de Morais a été condamné le 28 mai 2015 à six mois de prison avec sursis pour "dénonciation calomnieuse", après avoir exposé de graves violations des droits de l’homme ainsi que des actes de corruption liés à l’exploitation diamantifère dans la région des Lundas (nord-est du pays).


Au Panama, dans les jours précédant le sommet international de la lutte contre la corruption, du 1er au 4 décembre, le journaliste néerlandais Okke Ornstein, a été arrêté par les douanes à l’aéroport international de Tocumen (Panama City), et immédiatement placé en détention. Ornstein est dans le collimateur de la justice pour avoir dénoncé dans de multiples publications des graves faits de corruption dans le pays. Le journaliste encourt une peine cumulée de 20 mois de prison (huit mois pour injure et 12 mois pour calomnie) depuis 2012, après la plainte déposée par l’homme d’affaires canadien Monte Morris Friesner pour une série d'articles publiés sur le site Bananama Republic, l’un de ses blogs personnels. Le journaliste y dénonçait les activités illicites (fraude et blanchiment d’argent) de l’entreprise Pronto Cash.


Poursuivi par le pouvoir malaisien, Zunar fait face à neuf chefs d’accusation, relevant tous du Sedition Act, et risque jusqu’à 43 ans de prison pour avoir publié sur Twitter neuf dessins de presse dénonçant la corruption du gouvernement de Najib Abdul Razak et le procès très médiatisé de l’opposant politique Anwar Ibrahim. Comme Zunar, le blogueur singapourien Roy Ngerng s’est attiré les foudres de son Premier ministre, Lee Hsien Loong, après avoir publié, en mai 2014, un article s’interrogeant sur la gestion par le gouvernement du fonds de retraite de Singapour (Central Provident Fund, CPF). Dans de nombreux pays situés dans le dernier tiers du Classement mondial de la liberté de la presse, l’absence d’indépendance de la justice et la collusion entre le pouvoir, les hommes d’affaires et les magistrats sont un obstacle additionnel au journalisme d’investigation.


Un constat qui, à chaque fois, s’exprime dans les mêmes termes que ceux du journaliste kazakh et lauréat du prix Peter Mackler, Lukpan Akhmediarov qui, en octobre 2012, affirmait que “la justice est devenue un moyen de pression contre la presse”.


Les lanceurs d’alerte, qui informent sur les pratiques opaques et parfois illégales des grandes entreprises privées sont tout autant, voire dans certains cas davantage, exposés au danger des représailles judiciaires. En témoigne la condamnation de l'ancien employé du cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC), Antoine Deltour, et de son ancien collègue Raphaël Halet par la justice luxembourgeoise le 29 juin dernier. Les deux hommes ont écopé de douze et neuf mois de prison avec sursis pour avoir contribué à mettre en lumière les pratiques fiscales de grandes multinationales établies au Luxembourg, et ce malgré l’acquittement du journaliste Edouard Perrin, également mis en cause dans cette affaire. Tous trois seront prochainement jugés en appel.


Le dernier Classement de l’ONG Transparency International sur le niveau de corruption des pays dans le monde et le Classement Mondial de la Liberté de la Presse 2016 montrent une certaine corrélation entre les pays ne disposant pas ou peu de liberté de l'information et ceux où la corruption est la plus présente, ajoute Virginie Dangles. Ce n'est pas un hasard si des pays comme le Danemark, la Finlande ou la Suède figurent en tête des deux classements ou qu’en revanche, des pays comme l’Erythrée, la Corée du Nord et Soudan sont les plus mal notés par les deux organisations. Il est urgent que ces pays fassent de la lutte contre la corruption et de la protection des journalistes une priorité.”



En Iran, la répression du régime vise notamment à cacher l’impuissance et les ambiguïtés des autorités dans la lutte contre la corruption. Depuis le début d'année, au moins quatre journalistes ont été emprisonnés et quatre médias suspendus et poursuivis en justice pour avoir révélé l’implication de hauts responsables du régime dans différentes affaires de pot de vin et de salaires faramineux. En septembre 2016, Sadra Mohaqeq, responsable de la page sociale du quotidien Shargh, et Yashar Soltani, directeur du site memarinews.com, ont été arrêtés avant d'être libérés dans l’attente de leur jugement. En même temps plusieurs sites d'informations ont été temporairement censurés, tels que puyesh et 9sobh et les agences de presse Mojnews et Bornanews, après avoir couvert des affaires de corruption ou critiqué l’ambiguïté du système judiciaire dans sa lutte anti-corruption.


Avec près de mille milliards de dollars payés en pot de vin chaque année, la corruption est considérée par l’ONU* comme le principal obstacle au développement politique, économique et social dans le monde. La corruption touche tous les pays du monde.


* Le 31 octobre 2003, l'Assemblée générale a adopté la Convention des Nations Unies contre la corruption (résolution 58/4), et le 9 décembre a été déclaré Journée internationale de lutte contre la corruption, afin de sensibiliser le monde à ce problème et pour faire connaître le rôle de la Convention, en matière de lutte et de prévention.


Publié le
Updated on 23.08.2019