Les conditions de l'enquête sur l'assassinat de Brad Will officiellement éclaircies: Reporters sans frontières écrit au Procureur général de la République
Reporters sans frontières demande au Procureur général de la République de donner toutes les suites nécessaires à une recommandation de la Commission nationale des droits de l'homme, révélant les très graves carences dans l'enquête sur l'assassinat du journaliste d'Indymedia Brad Will, le 27 octobre 20006 à Oaxaca.
Procureur général de la République
Copie à Monsieur Octavio Alberto Orellana Wiarco
Parquet spécial de suivi des délits commis contre les journalistes
Procure générale de la République, Mexico D.F.
Monsieur le Ministre, Reporters sans frontières vient de prendre connaissance, comme vous, de la recommandation 50/2008 de la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH) relative aux conditions de l'enquête sur l'assassinat du cameraman américain Brad Will, de l'agence Indymedia, le 27 octobre 2006 à Oaxaca, au plus fort d'une très grave crise sociale et politique (lire nos précédents communiqués). Les conclusions de ce document, rendu public le 28 septembre 2008, sont accablantes pour les autorités de l'État d'Oaxaca et les autorités fédérales, dont le rôle était de faire toute la lumière sur cette affaire. Outre l'impunité persistante, l'organisation est scandalisée, comme le souligne la CNDH, par l'incroyable manque de transparence sur le cours de l'enquête que la famille Will était fondée à exiger. Selon la CNDH, les enquêtes conduites par les autorités judiciaires de l'État d'Oaxaca, puis par le ministère fédéral de la Justice, ont de fait conduit à blanchir de toute responsabilité les auteurs présumés des tirs qui ont coûté la vie à Brad Will. Ces derniers avaient pourtant été spontanément identifiés par de nombreux témoins comme étant des membres de la garde rapprochée du gouverneur de l'État, Ulises Ruiz Ortiz, qui n'a jamais été interrogé ni inquiété dans le cadre de cette affaire. L'autopsie et les expertises balistiques semblent avoir été pratiquées dans le but de laver les autorités locales de tout soupçon, quand les témoins directs du drame les mettaient clairement en cause, et de faire porter toute la responsabilité de la mort de Brad Will aux militants de l'Assemblée populaire des peuples d'Oaxaca (APPO) - en conflit ouvert avec le gouverneur - que le journaliste suivait lors de son reportage. La justice d'Oaxaca a notamment certifié que l'arme du crime contenait des balles de calibre de 9 mm, ce qui ne correspond pas aux impacts retrouvés sur le corps de la victime. Le ministère fédéral de la Justice a, quant à lui, évoqué une distance entre le tireur et la victime comprise entre 30 et 60 centimètres, puis, un peu plus tard, de 2 à 10 mètres. La confusion était ensuite renforcée par une description fantaisiste des lésions de la victime et l'estimation hasardeuse de l'heure de la mort. La CNDH a pointé d'autres graves négligences dans le traitement des pièces à conviction et des indices (protection insuffisante de la scène de crime, mauvaise conservation des vêtements de la victime, témoignages incomplets, etc.). Dans ses conclusions, la CNDH a évalué que Brad Will avait été atteint de deux balles, provenant de la même arme et tirée de face, à une distance comprise entre 30 et 50 mètres, ce qui désigne de fait la garde rapprochée du gouverneur Ulises Ruiz Ortiz. La recommandation 50/2008 vous a été adressée, ainsi qu'au gouverneur de l'État d'Oaxaca, Ulises Ruiz Ortiz et au président de la Grande commission du Congrès d'Oaxaca, Herminio Manuel Cuevas. A l'heure où le Congrès est en passe d'adopter, à la demande du président Felipe Calderón, un projet de loi fédéralisant les crimes et délits commis contre les journalistes, le temps des explications est venu. Après deux ans d'impunité, Reporters sans frontières formule les recommandations suivantes : - Que les trois destinataires de la recommandation s'expliquent publiquement sur les ratés de l'enquête devant le Congrès et les représentants de la CNDH, en présence de la famille de la victime. - Qu'une procédure soit engagée par vos services contre l'administration du gouvernement de l'État d'Oaxaca pour que la lumière soit faite sur les circonstances exactes de la mort de Brad Will. - Que, sur la base du travail effectué par la CNDH, le ministère fédéral de la Justice reprenne l'enquête depuis le début. En vous remerciant de l'attention que vous porterez à cette lettre, et dans l'attente de votre réponse, je vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de ma parfaite considération. Jean-François Julliard
Secrétaire général