Le blogueur Asif Mohiuddin, cible des islamistes et des autorités, convoqué et harcelé
Organisation :
Le 23 mars 2013, le blogueur Asif Mohiuddin, a été convoqué et interrogé pendant plusieurs heures par la Detective Branch de la police de Dacca. Deux jours avant, son blog (http://www.somewhereinblog.net/blog/realAsifM) a été bloqué par la Bangladesh Telecommunication Regulatory Commission (BTRC). Dans un contexte de tensions politiques croissantes, Reporters sans frontières déplore l'attitude du gouvernement, qui semble avoir cédé à la pression des islamistes. Avec l’aval du Premier Ministre Sheikh Hasina, le 13 mars 2013, a été formé un comité chargé d’identifier et de poursuivre les blogueurs qui auraient blasphémé à travers leurs publications, notamment leur couverture des procès d’anciens leaders politiques, accusés de génocide durant la guerre d’indépendance que le pays a connu en 1971.
“Depuis l’ouverture du procès, de nombreux blogueurs qui, à l’instar d’Asif Mohiuddin, couvrent les audiences, sont victimes d’intimidations et d’agressions physiques et verbales attribuées à la fois aux islamistes et aux autorités. L’insécurité croissante qui touche les professionnels des médias présents dans les manifestations qui agitent le pays et les blogueurs, nécessite une réaction immédiate des autorités et des leaders des partis politiques impliqués, également responsables de cette escalade de violence”, a déclaré Reporters sans frontières.
“Nous condamnons fermement le rôle que les autorités ont joué au cours des dernières semaines. Elles n’ont pas suffisamment oeuvré à la protection de la liberté d’expression, ni à la cessation des appels à la haine et à la violence qui se sont propagés dans le pays, notamment en ligne. Récemment, elles semblent avoir choisi de s’aligner sur les positions d’extrémistes religieux. En créant un comité chargé de traquer les blogueurs auteurs de ‘blasphème’, le gouvernement aggrave les tensions actuelles et incite les voix indépendantes à l’autocensure. Par ses actions, il fait des auteurs des sites bloqués par la BTRC des cibles toutes désignées pour les extrémistes religieux. Nous exigeons l’abandon immédiat du projet de création du comité chargé d’étudier le contenu ‘blasphématoire’ des blogs politiques critiques envers le du Jamaat-e-Islami, ainsi que l'arrêt de la censure par la BTRC”, a ajouté l’organisation.
Le 23 mars, Asif Mohiuddin a été convoqué par le Service des enquêtes de la police de Dacca, qui lui a posé des questions sur son blog, mais aussi sur le blogueur Ahmed Rajib Haider, égorgé le 15 février 2013 à Dacca. Un crime qui a donné lieu à l’ouverture d’une enquête.
Deux jours plus tôt, son blog hébergé sur la plateforme “Somewhere in Blog”, où il dénonçait le fondamentalisme religieux et le terrorisme, a été bloqué à la demande de la BTRC. Interrogé par la Deutsche Welle, le fondateur de la plateforme, Syeda Gulshan Ferdous Jana, a indiqué avoir “reçu (...) un e-mail officiel de la BTRC. C’est la première fois en sept ans d’existence de somewhereinblog.net que les autorités ordonnent des mesures disciplinaires à l’encontre de blogueurs”.
Contacté par Reporters sans frontières, Asif Mohiuddin a déclaré être harcelé par la police et les services de renseignement. Il pourrait à présent faire l’objet d’une enquête du nouveau comité chargé de traquer les contenus blasphématoires.
Créé le 13 mars 2013, sous le contrôle direct du Bureau du Premier ministre, ce comité est composé de neuf membres, et chargé d’identifier et de prendre des mesures à l’encontre des blogueurs et utilisateurs de Facebook qui publieraient des remarques critiques envers l’islam et le prophète. Mainuddin Khandakar, fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, a été nommé à la tête du comité. L’attaché de presse du Premier ministre, Abul Kalam Azad, a indiqué que le ministère de l’Intérieur “conduirait les actions nécessaires sur la base des recommandations du comité”.
Les membres du comité seraient issus du Bureau du Premier ministre, de la BTRC, du Département des lois et de la justice, du ministère de l’Information et du ministère des Affaires religieuses. Des membres des services de renseignements (NSI), des militaire et des membres d’unité spéciale de la police pourraient y prendre part.
La création de ce comité s’inscrit dans un contexte de revendications accrues de la part de membres de partis islamistes, demandant des mesures punitives à l’encontre des blogueurs et des médias en ligne, pour leur couverture blasphématoire des procès des leaders du Jamaat-e-Islami.
Au cours des manifestations du mois de février organisées par le “Mouvement de Shahbagh”, auxquelles ont assisté des blogueurs anti-islamistes, le banissement du parti islamiste Jamaat-e-Islami a été réclamé, de même que la peine capitale pour les principaux accusés Dans plusieurs villes et villages, les musulmans radicaux ont en réponse organisé des manifestations, appelant à la haine et brandissant le portrait de blogueurs laïcs, parmi lesquels celui d’Asif Mohiuddin. Plusieurs cas de violences à l’encontre de la presse ont été répertoriés au cours de ces rassemblements.
Asif Mohiuddin, a été poignardé à plusieurs reprises par des islamistes le 14 janvier 2013.
Photo : MUNIR UZ ZAMAN / AFP
Publié le
Updated on
20.01.2016