Moscou durcit considérablement sa position à l'encontre de la chaîne américaine ABC qui a diffusé le 28 juillet une interview du chef de guerre tchétchène, Chamil Bassaïev, dont la tête est mise à prix pour 10 millions de dollars en Russie. Les journalistes d'ABC n'ont désormais plus le droit de contacter aucune organisation officielle russe et ils devront quitter la Russie, dès lors que leur accréditation arrivera à expiration.
Le ministère russe des Affaires étrangères a annoncé le 2 août 2005 que les collaborateurs de la chaîne américaine seront privés d'accréditation dès lors que celle-ci arrivera à expiration. Par ailleurs, « ABC est persona non grata pour tout contact avec toutes les organisations officielles russes », a également décrété le ministère dans un communiqué.
Il s'agit de la première mesure de rétorsion du gouvernement russe à l'encontre d'un média occidental. Cette décision fait suite à la diffusion, le 28 juillet, d'une interview du chef de guerre tchétchène, Chamil Bassaïev, considéré comme l'ennemi public numéro un en Russie.
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La chaîne américaine ABC et Andrei Babitski dans le collimateur de Moscou
1er août 2005
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Le journaliste russe Andrei Babitski risque d'être poursuivi en justice après avoir réalisé, le 23 juin 2005, un entretien exclusif du chef de guerre tchétchène Chamil Bassaïev qui a été diffusé sur la chaîne américaine ABC le 28 juillet. La Russie a vivement condamné ce qu'elle considère comme « une tribune offerte à un terroriste sanguinaire ». Par ailleurs, Sergueï Ivanov, ministre russe de la Défense, a annoncé le 31 juillet qu'ABC est désormais « persona non grata » en Russie et qu'aucun employé du ministère n'accordera d'interview à la chaîne américaine.
« Nous sommes stupéfaits de constater que les autorités russes tancent violemment le gouvernement américain pour n'avoir pas interdit la diffusion d'un reportage aux Etats-Unis, alors que cette décision ne relève que de la seule chaîne de télévision. Celle-ci a tout simplement exercé son devoir d'informer. Par ailleurs, il serait extrêmement grave que le journaliste Andrei Babitski soit poursuivi par les autorités russes, alors qu'il a réalisé cet entretien dans le seul but d'informer l'opinion publique internationale », a déclaré Reporters sans frontières.
Aucun média russe n'est autorisé à diffuser une interview de Chamil Bassaïev, qui a notamment revendiqué la tragique prise d'otages de l'école de Beslan, ayant entraîné la mort de 330 personnes, dont 186 enfants, en septembre 2004.
A la suite de l'incident diplomatique avec Moscou, le porte-parole du département d'Etat, Sean McCormack, a déclaré que « le gouvernement américain n'a pas l'autorité d'empêcher ABC de se prévaloir de son droit constitutionnel de diffuser une interview ». Washington a toutefois reconnu avoir incité les télévisions américaines à limiter la diffusion des images du chef du réseau Al-Qaida, Oussama ben Laden. « Mais nous avons dit très clairement que c'était aux télévisions et à elles seules de décider », a conclu le porte-parole du département d'Etat.
« Nous allons continuer d'informer de façon exhaustive sur la Russie et sur cette région très importante », a commenté un représentant d'ABC à Reporters sans frontières.
L'entretien accordé à Andrei Babitski, tourné dans une forêt des montagnes de la Tchétchénie, n'apporte aucune révélation particulière. C'est toutefois la première interview directe de celui dont Moscou a mis la tête à prix pour 10 millions de dollars depuis plusieurs années.
Habillé de noir et un chapelet à la main, le chef de guerre tchétchène a affirmé ne pas être responsable de la mort des otages de l'école de Beslan, considèrant que c'est l'assaut donné par les forces de l'ordre russe qui a provoqué cette « terrible tragédie ». Chamil Bassaïev a évoqué « la guerre coloniale » que les Russes poursuivent en Tchétchénie sous couvert de lutte contre le terrorisme. « Je sais que je suis un mauvais gars, un bandit, un terroriste. Mais alors, comment vous les appelez, eux (les représentants des autorités russes) ? », interroge Chamil Bassaïev.
Andrei Babitski, journaliste du service russe de la station américaine Radio Free Europe / Radio Liberty, dont le siège est à Prague, a déclaré avoir fait ce scoop de façon totalement inattendue, après s'être rendu en Ingouchie. « Une personne de la guérilla tchétchène m'a emmené à Stanica Nesterovska et là, j'ai changé de voiture. Ce fut le choc lorsque j'ai vu Chamil Bassaiev assis à l'intérieur. J'ai compris tout de suite que les autorités russes pourraient me poursuivre pour 'collaboration avec un terroriste' », a déclaré Andrei Babitski. Joint par téléphone le 1er août, le journaliste a déclaré à Reporters sans frontières que, selon ses informations, les autorités russes n'ont pas, à ce jour, ouvert d'enquête criminelle à son encontre.
Andrei Babitski est connu pour ses reportages critiques sur l'action des forces fédérales en Tchétchénie. Au cours des cinq dernières années, il a successivement été détenu dans un camp de « filtration » à Tchernokozovo (nord de la Tchétchénie), arrêté par la police, inculpé de « possession de faux passeport » et empêché de couvrir la prise d'otages de Beslan à la suite d'une condamnation pour « hooliganisme ».