Inde : les autorités doivent mettre un terme aux campagnes de haine en ligne contre les journalistes
Alors que Narendra Modi débute son troisième mandat de Premier ministre, Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète de la perpétuation des campagnes de discrédit menées contre les journalistes. Les autorités, jusque-là silencieuses, doivent mettre un terme à ces attaques, émanant principalement des réseaux d'extrême droite nationalistes. Pour RSF, la journaliste Srishti Jaswal, elle-même victime de cyberharcèlement, et qui a enquêté sur ces réseaux, témoigne.
“Les voix qui osent s’élever contre le pouvoir et l’idéologie diffusée par la nébuleuse du parti au pouvoir sont immédiatement attaquées par des vagues de trolls, menacées, et qualifiées de ‘traître’ ou ‘d’anti-national’. La violence de ce harcèlement constant a instauré un climat de peur, poussant une grande partie de la presse indienne à l’autocensure. RSF dénonce une mécanique orchestrée dans les cercles partisans du pouvoir pour détruire la crédibilité des journalistes et les faire taire. Les autorités indiennes doivent à tout prix mettre un terme à ce fléau qui étouffe le droit à l’information depuis dix ans. Les auteurs de harcèlement et les acteurs de campagnes de diffamation contre les journalistes doivent être poursuivis et traduits en justice. Cette impunité totale ne peut plus durer.
Les attaques en ligne qui viennent s’abattre sur les journalistes perçus comme des voix critiques proviennent majoritairement de réseaux coordonnés de l’extrême-droite nationaliste, selon plusieurs enquêtes journalistiques. Parmi eux, la Hindu IT Cell. Cofondée par Vikas Pandey, qui fut chargé de campagne pour le Bharatiya Janata Party (BJP) lors des élections de 2014, cette cellule aurait ciblé plusieurs dizaines de journalistes en dix ans, selon Srishti Jaswal, aujourd’hui journaliste indépendante et qui a infiltré ce réseau. Le groupe disposerait, selon son investigation, d’une armée numérique de sympathisants présent sur X, et d’au moins 400 bénévoles.
“Le cyberharcèlement est une prison”
Srishti Jaswal a elle-même été victime d’une vague de cyberharcèlement en 2020, alors qu’elle travaillait pour le quotidien anglophone Hindustan Times. “Je recevais 20 notifications d’insultes par seconde, avec des contenus pornographiques innommables, des menaces de mort et de viol. Je ne pouvais plus sortir de chez moi où je ne me sentais pas non plus en sécurité. Le cyberharcèlement vous isole à bien des égards, c'est une prison”, déplore la journaliste.
Sous la pression, alors que ses parents sont eux aussi harcelés, Srishti Jaswal n’a pas d’autre choix que de se cacher. “Ni l’État ni la police ne vont vous aider puisque ces campagnes sont connectées au BJP”, assure-t-elle. Le 2 juillet 2020, le Hindustan Times, interpellé sur les trolls sur les réseaux sociaux à son sujet, annonce publiquement sa décision de la suspendre. Une plainte pour blasphème est même déposée contre elle par des hommes de groupes d'extrême droite. Elle sera convoquée par la police qui lui ordonne de s'excuser devant les plaignants.
Une mécanique de discrédit
En documentant le trolling qui la vise, Srishti Jaswal découvre que les responsables de ce cyberharcèlement organisé est lié à la Hindu IT Cell. Elle infiltre cette cellule et révèle le modus operandi : “Les membres de ce réseau identifient d’abord leurs cibles, comme les journalistes qui travaillent sur les minorités, critiquent l’extrême droite ou le BJP. Ils publient ensuite des captures d'écran de leurs publications hors contexte dans l’objectif de les discréditer. Enfin, la campagne est amplifiée via de multiples comptes”.
Des chaînes de télévision partisanes et des sites de propagande nationaliste hindoue se font, ensuite, les caisses de résonance de ces fausses informations. Srishti Jaswal a elle été la cible d’une campagne de discrédit par le site OpIndia, qui en 2020, a martelé qu’elle était “hindouphobe" et qu’elle avait tenu des propos blasphématoires. “L'impact psychologique du cyberharcèlement est très important, il fait craindre de véritables attaques physiques. Cette pression conduit nombre de professionnels à quitter le métier. De manière générale, l’autocensure s’est massivement imposée parmi les journalistes,” conclut Shrishti Jaswal.
Protéger les journalistes : une urgence
La lutte contre le cyberharcèlement des journalistes fait partie des mesures urgentes de protection des professionnels de l’information à mettre en œuvre par le nouveau gouvernement, qui a pris ses fonctions début juin. C’est l’un des axes des recommandations formulés par RSF et ses partenaires locaux.