Alors qu'une nouvelle résolution sur la Côte d'Ivoire est en préparation au Conseil de sécurité de l'ONU, Reporters sans frontières publie un rapport d'enquête afin de relever le défi des « médias de la haine » dans ce pays divisé depuis septembre 2002. L'organisation préconise une « série de mesures d'urgence » pour sortir du double dilemme de « l'impuissance » et de « l'impunité ».
Alors qu'une nouvelle résolution sur la Côte d'Ivoire est en préparation au Conseil de sécurité de l'ONU pour déterminer l'implication de la communauté internationale dans les élections programmées pour octobre 2005, Reporters sans frontières publie un rapport d'enquête afin de relever le défi des « médias de la haine » dans ce pays divisé depuis septembre 2002. L'organisation souhaite ainsi contribuer à la sortie de crise telle qu'elle a été entérinée dans l'accord de Pretoria, le 6 avril, et concrétisée, le 14 mai, par l'adoption d'un échéancier pour le Désarmement, la démobilisation et la réinsertion (DDR) des forces belligérantes.
Au terme de son enquête, menée en Côte d'Ivoire du 7 au 14 mai 2005, Reporters sans frontières appelle la communauté internationale à apporter son soutien aux journalistes ivoiriens qui, « de longue date et en dépit de tous les dangers, se battent pour un exercice à la fois libre et responsable de leur profession ».
Dans ce document, Reporters sans frontières préconise une série de mesures d'urgence pour « sortir du double dilemme de l'impuissance, celle de l'indignation sans conséquence, d'un côté, et, de l'autre, celle de l'impunité accordée à des criminels de la parole publique, sous prétexte qu'ils 'font partie du problème et doivent, de ce fait, aussi faire partie de la solution' ». Il s'agit avant tout, pour reprendre les termes d'un éditorialiste du quotidien Fraternité matin, de « désarmer les esprits, les plumes et les micros ».
Constatant une fois de plus de graves dérives déontologiques en Côte d'Ivoire, l'organisation propose « une stratégie réaliste pour sortir du cercle vicieux de l'impunité, ou, à tout le moins, pour contenir en amont les délits de presse les plus répréhensibles ». Pour atteindre cet objectif, elle prône des modes d'action spécifiques, pour chacun des secteurs de la presse.
Pour la presse écrite, Reporters sans frontières suggère aux autorités ivoiriennes d'entamer une concertation avec l'Observatoire de la liberté de la presse, de l'éthique et de la déontologie (OLPED) pour trouver, « dans la transparence et le meilleur respect des normes professionnelles, les aides publiques appropriées (…), afin de relativiser l'actuelle inféodation (des journaux) aux 'donneurs d'ordres' », les acteurs politiques qui instrumentalisent une presse précarisée et des journalistes sous-payés. L'organisation rappelle que l'OLPED fait figure de pionnier en Afrique sub-saharienne et qu'il représente, en dépit de quelques critiques légitimes qui peuvent lui être faites, un outil précieux pour réguler le secteur de manière équitable et consensuelle.
Pour le secteur audiovisuel, Reporters sans frontières souligne l'urgence de sécuriser, par le déploiement d'une force conjointe (armée ivoirienne, casques bleus de l'ONU, soldats français de l'opération Licorne) les différents sites et émetteurs de la Radio-Télévision ivoirienne (RTI) et de Radio Côte d'Ivoire (RCI). Dans les meilleurs délais, ces installations doivent également être réparées et remises en marche à l'échelle du pays. L'organisation rappelle que, depuis la partition du pays, l'ensemble du territoire national n'est plus couvert par le service public d'information, et que, dans le Nord, les fréquences de la radiotélévision publique sont occupées par la chaîne de propagande des Forces nouvelles (FN, ex-rebelles).
Par ailleurs, Reporters sans frontières estime que le gouvernement ivoirien devrait adopter en Conseil des ministres un « cahier de charges » spécifiant les obligations et les règles professionnelles à respecter pendant la (pré-)campagne électorale, puis les scrutins à venir.
« A titre exceptionnel, au regard de l'objectif suprême que doit être la paix civile », l'organisation propose en outre qu'après concertation entre l'Etat ivoirien et la profession, la nouvelle législation sur la presse, adoptée en décembre 2004 mais dont les décrets d'application n'ont pas encore été publiés, « n'entre en vigueur qu'au lendemain des élections prévues pour octobre ». Tout en reconnaissant et en saluant le caractère libéral du texte, Reporters sans frontières fait valoir qu'un tel report laisserait le temps aux médias ivoiriens de se préparer financièrement aux changements prévus, et d'éliminer une source de conflit lors de la période (pré-)électorale en maintenant en place de manière indiscutable l'actuelle direction de la RTI, qu'elle estime en mesure de garantir l'impartialité du service public.
Enfin, l'organisation « lance un appel à l'ONU pour qu'elle conforme ses actes en Côte d'Ivoire à sa dénonciation des 'médias de la haine' depuis New York ». Pour Reporters sans frontières, les Nations unies devraient « revoir de fond en comble » l'actuel « Programme de renforcement des médias », sans prise sur la réalité. Indépendamment du lancement de nouvelles initiatives, l'organisation affirme qu'il est « inadmissible qu'une 'liste noire' de journalistes accusés d'avoir tenu des propos haineux soit établie, puis bloquée sans suite judiciaire ». Cette liste, qui comporte au total 95 noms, surtout des protagonistes politico-militaires du conflit accusés d'être les commanditaires de graves exactions ou d'être des « obstacles à la paix », a été transmise en janvier 2005 à la Cour pénale internationale (CPI), mais n'a jamais connu de suite, par souci de ne pas nuire à la médiation sud-africaine en cours. « A défaut d'une saisine effective de la Cour pénale internationale, l'ONU devrait prendre ses responsabilités et publier sa 'liste noire', ne serait-ce que pour assumer l'opprobre - le fameux 'shame factor' - dont elle entend couvrir les 'médias de la haine' et leurs serviteurs », conclut Reporters sans frontières.