Gui Minhai, l’éditeur suédois privé de liberté depuis 3 000 jours
Enlevé par les autorités chinoises en Thaïlande en octobre 2015, cela fait, ce 3 janvier 2024, 3 000 jours que l'éditeur et écrivain suédois Gui Minhai a perdu sa liberté. Fondateur d'une maison d'édition connue pour ses enquêtes sur la vie politique chinoise, Gui Minhai est devenu une figure emblématique parmi les 121 journalistes et défenseurs de la liberté de la presse actuellement détenus en Chine. Son cas rappelle au monde entier la longue tradition de répression du gouvernement chinois envers les voix indépendantes.
Aux yeux du régime chinois, faciliter la libre circulation des mots et des idées constitue un crime. Tel est le témoignage amer que nous livre l’histoire de Gui Minhai, détenu depuis 3 000 jours, soit plus de 8 ans, pour avoir écrit et publié des livres à caractère politiquement sensible.
Gui Minhai est enlevé le 17 octobre 2015 par des agents présumés des services secrets chinois alors qu’il est en vacances en Thaïlande. Il réapparaît trois mois plus tard à la télévision d'État chinoise pour une confession forcée, dans laquelle il affirme s'être rendu volontairement en Chine afin de se rendre à la police pour un crime commis plus de dix ans auparavant – et pour lequel il avait reçu une peine qui avait finalement été suspendue.
Au bout de deux ans, Gui Minhai est soi-disant “libéré”. Il reste en réalité sous étroite surveillance. En 2018, il est de nouveau arrêté par la police dans un train à destination de Pékin alors qu’il se trouve en compagnie de deux diplomates suédois. Un incident à la suite duquel il aurait été contraint de renoncer publiquement à sa nationalité suédoise. Deux ans plus tard, le régime chinois annonce qu’il a été condamné à dix ans de prison pour avoir “illégalement fourni des renseignements à l’étranger”. “Personne n’est dupe : mon père a été arrêté pour une seule et unique raison : ses publications politiquement sensibles”, affirme sa fille, Angela Gui.
Un éditeur qui a consacré sa vie au droit à l’information
Né en 1964 dans la province chinoise du Zhejiang, Gui Minhai s'installe à Pékin à 17 ans pour étudier l'histoire. Au cours de ses études, il se prend de passion pour la poésie et consacre une grande partie de son temps à l'écriture. Après avoir travaillé comme rédacteur pour la maison d'édition du ministère de l'Éducation chinois People's Education Press, il s'installe en Suède en 1988 pour y poursuivre un doctorat. Après le massacre de Tiananmen en 1989, Gui Minhai obtient un titre de séjour permanent, puis reçoit la nationalité suédoise trois ans plus tard. Il passe plus de 30 ans dans le royaume scandinave.
En 2004, après avoir travaillé en Chine pendant cinq ans, Gui Minhai s’installe en Allemagne, où il écrit des livres sur le gouvernement chinois. Il rejoint alors la section chinoise de l'organisation non gouvernementale (ONG) PEN International et devient un fervent défenseur de la liberté de la presse en Chine. Son travail va lui coûter cher : lorsqu'il décide de rendre visite à sa famille en Chine en 2008, il se voit interdire l'entrée dans le pays. Quatre ans plus tard, Gui Minhai fonde Mighty Current Media, une maison d'édition et un distributeur de livres basé à Hong Kong spécialisé dans la politique chinoise et la vie des dirigeants du pays. En 2014, Mighty Current rachète Causeway Bay, une librairie indépendante de Hong Kong connue pour vendre des livres interdits en Chine continentale.
La fille unique de Gui Minhai, Angela Gui, qui milite depuis des années pour sa libération, a déclaré : “La dernière fois que nous nous sommes parlés, j'ai vu qu'il lui manquait une dent. Il a laissé entendre qu'il l'avait perdue après avoir été torturé. Je n'ai eu aucun contact avec lui depuis. Je ne sais pas où il est, ni même s'il est encore en vie." Angela Gui est sans nouvelles de son père depuis 2018, date à laquelle elle lui a parlé pour la dernière fois. Les autorités chinoises lui refusent tout contact avec Gui Minhai, affirmant que l'éditeur est traité de manière conforme à la loi en tant que citoyen chinois.
Cinq éditeurs de Mighty Current pris pour cible par le régime chinois
Gui Minhai n'est pas la première personne soumise à une disparition forcée après avoir publié des textes qui déplaisent à Pékin. Entre octobre et décembre 2015, quatre autres éditeurs de Mighty Current ont disparu. En 2016, Lam Wing-kee a révélé qu'il avait été détenu et interrogé par les autorités chinoises pendant des mois, tandis que Cheung Chi-ping, Lui Bo et Lee Bo, sont réapparus à Hong Kong en mars 2016, demandant à la police de cesser d'enquêter sur leur disparition, avant de repartir subrepticement en Chine continentale. Lee Bo et Lam Wing-kee ont été autorisés à retourner à Hong Kong, mais la situation semble différente pour Cheung Chi-ping et Lui Bo, tous deux nés en Chine continentale et considérés comme "originaires de là-bas" par le régime.
Gui Minhai, un éditeur dont le travail lui vaut une persécution sans fin
1964 : il nait le 5 mai à Ningbo, dans la province chinoise de Zhejiang
1983 : il déménage à Pékin pour étudier l'histoire à l’université de Pékin
1988 : il s'installe en Suède pour y poursuivre un doctorat, puis travaille à l'université de Göteborg
1992 : il obtient la nationalité suédoise
2004 : il déménage en Allemagne et commence à travailler comme éditeur de livres sur la politique chinoise.
2006 : il rejoint la section chinoise de l’ONG PEN International
2008 : il se voit refuser l'entrée en Chine alors qu'il tente de rendre visite à sa famille.
2012 : il crée Mighty Current Media, une maison d'édition basée à Hong Kong et spécialisée dans la vie politique chinoise.
2015 : le 17 octobre, il est enlevé en Thaïlande alors qu'il est en vacances.
2016 : le 17 janvier, il réapparaît dans un lieu tenu secret en Chine, lors d’aveux forcés diffusés sur la chaîne de télévision d'État CCTV.
2016 : le 28 février, il apparaît dans une deuxième confession forcée diffusée sur la chaîne de télévision chinoise Phoenix TV.
2017 : le 17 octobre, il est prétendument "libéré" de détention, mais en réalité, il est placé en résidence surveillée par le régime.
2018 : le 19 janvier, Angela Gui, la fille de Gui Minhai, parle au téléphone avec son père pour la dernière fois.
2018 : le 20 janvier, Gui Minhai est de nouveau appréhendé par des agents présumés des services secrets, alors qu'il se trouve dans un train en compagnie de deux diplomates suédois.
2018 : le 9 février, il refait surface dans une troisième confession forcée publiée dans plusieurs journaux chinois.
2020 : le 25 février, il est condamné à 10 ans de prison pour avoir "fourni illégalement des renseignements à l'étranger".
Depuis 2020 : le monde est sans nouvelles de Gui Minhai et de son lieu de détention.
Classée 179e sur 180 pays et territoires dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2023 de RSF, la Chine est le pays qui emprisonne le plus de journalistes et de défenseurs de la liberté de la presse au monde, avec au moins 121 personnes actuellement détenues.