Fichage et dénigrement des journalistes environnementaux : RSF dénonce les pratiques honteuses de l’agrochimie
À la suite de l’enquête journalistique publiée le 27 septembre “Bonus eventus files” par plusieurs médias internationaux, Reporters sans frontières (RSF) dénonce la collecte et l’utilisation d’informations personnelles de journalistes environnementaux pour alimenter des campagnes de dénigrement conduites par l’industrie phytosanitaire. L’organisation appelle les autorités compétentes à ouvrir au plus vite une enquête judiciaire sur ces pratiques scandaleuses menées par une entreprise privée américaine.
"Ils ont essayé de me discréditer en diffusant des mensonges sur mon travail et en faisant pression sur mes éditeurs. Cela a eu des impacts réels sur ma carrière, allant jusqu’à l’annulation de conférences où j’étais invitée à intervenir", a témoigné auprès de RSF la journaliste d'investigation américaine Carey Gillam, autrice de nombreux articles et de plusieurs essais sur l’industrie phytosanitaire, notamment pour The Guardian et The New York Times. Cible de fausses accusations, elle fait partie des professionnels des médias victimes de la plateforme privée Bonus Eventus destinée à influencer le débat public sur les pesticides et les organismes génétiquement modifiés (OGM) auprès de membres cooptés.
Comme l’a révélé, le 27 septembre, l’enquête du média d’investigation Lighthouse Reports, en partenariat avec plusieurs médias d’informations internationales tels que Le Monde et The Guardian, la plateforme a compilé et relayé des informations personnelles et professionnelles sur plus de 3 000 journalistes, scientifiques, militants et organisations travaillant sur la question des pesticides, ainsi que des rumeurs malveillantes susceptibles de nuire à leur réputation.
"Ces pratiques de fichage et de diffusion de rumeurs susceptibles de porter atteinte à l’intégrité de journalistes ne devraient en aucun cas pouvoir prospérer dans un État démocratique. Une enquête approfondie doit être menée afin de traduire en justice tous ceux qui sont impliqués dans ces atteintes scandaleuses à la vie privée et à la réputation des journalistes environnementaux. Ces techniques de manipulation dans le but d’influencer le débat public constituent une attaque directe contre le droit du public à une information fiable et indépendante.
L’objectif des marchands de doute : discréditer la science et le journalisme indépendant
Le réseau Bonus Eventus est administré par la société de relations publiques v-Fluence dirigée par un ancien directeur de la communication de la société agrochimique Monsanto. Ses membres incluent des cadres d’entreprises agrochimiques – dont Bayer-Monsanto, Syngenta et BASF – ainsi que des fonctionnaires du gouvernement états-unien. La plateforme répertorie et relaie des contenus (commentaires, billets, entretiens) visant à minorer l’impact sanitaire et environnemental de l'industrie agrochimique, mais surtout à jeter le doute sur des études et des articles de presse révélant des faits compromettant ses intérêts, et à discréditer leurs auteurs. Sont notamment en ligne de mire les journalistes environnementaux ayant contribué à mettre en lumière les dangers des pesticides.
Lighthouse Reports, le média d’investigation à l’origine des révélations, fait lui aussi l’objet d’un fichage et se voit accusé de de prétendus conflits d’intérêts. Des accusations utilisées pour tenter de décrédibiliser leur travail d’enquête, d’après l’organisation, interrogée par RSF.
Selon Stéphane Foucart, journaliste pour Le Monde dont les articles sont régulièrement pris pour cible, les informations diffusées par cette plateforme sont utilisées pour dénigrer des études scientifiques solides ainsi que leur traitement journalistique, à l’image d’une étude récemment publiée établissant un lien entre les pesticides et la surmortalité infantile. "Ces attaques sont ensuite massivement relayées sur les réseaux sociaux pour saper la confiance du public envers des travaux scientifiques reconnus", a-t-il témoigné auprès de RSF.