Exception générale de sécurité nationale en matière de surveillance des journalistes : le ver dans le fruit de l’EMFA
La version du projet européen de législation sur la liberté des médias (EMFA) adoptée par le Conseil de l’Union européenne le 20 juin prévoit une exception générale de sécurité nationale en matière de surveillance des journalistes et de protection du secret des sources. Reporters sans frontières (RSF) appelle les États et les parlementaires à revenir sur cette formulation.
L’introduction par le Conseil de l’Union européenne (UE) d’une exception générale aux garanties prévues par le projet de règlement européen sur la liberté des médias (European Media Freedom Act ou EMFA) contre la surveillance des journalistes au nom de la “sauvegarde de la sécurité nationale” par les États membres, est dangereuse : elle constitue un feu vert pour des États qui comme la Grèce ou la Hongrie ont justement eu recours à ce prétexte pour espionner des journalistes.
L’article 4.4 en question prévoit que les dispositions empêchant la surveillance des journalistes sont “sans préjudice de la responsabilité des États membres de sauvegarder la sécurité nationale”. Une précision superflue pouvant être considérée comme une provocation, puisque les traités ne prévoient pas de compétence de l’Union en matière de sécurité nationale.
Pour comprendre, il faut replacer cette démarche dans un contexte plus large. Certains États sont agacés par des interprétations de l’Union européenne, et tout particulièrement par des jurisprudences de sa cour de justice, sur l’encadrement de la notion de sécurité nationale. Ils font aujourd’hui de l’EMFA l’otage d’une querelle institutionnelle sans lien avec son objet.
Revenons sur le fond : pour être légitimes, les exceptions au principe de l’interdiction de porter atteinte au secret des communications des journalistes doivent répondre à des limitations très strictes : finalité d’intérêt public particulièrement forte, autorisation préalable et contrôle continu par une autorité judiciaire, mise en œuvre uniquement pour les enquêtes sur les crimes les plus graves, et justification de la nécessité et de la proportionnalité des mesures de surveillance instaurées.
Ces garanties étaient en partie prévues dans le projet initial, mais sont édulcorées dans le texte adopté par le Conseil de l’UE. Il élargit la possibilité de recours à la surveillance dans le cadre d’enquêtes portant sur 32 infractions punissables d’au moins trois ans d’emprisonnement (y compris le trafic de voitures ou de substances hormonales), une possibilité limitée à dix crimes parmi les plus graves (terrorisme, crimes contre l’humanité, pédopornographie, etc.) dans le projet de la Commission. L’intention des États membres de protéger effectivement les journalistes s’en trouve sérieusement mise en doute.
“L’inclusion d’une exception générale de sécurité nationale est au mieux une maladresse, au pire un danger pour le journalisme. C’est un blanc-seing à la surveillance débridée, une courte échelle à la barbouzerie, une porte ouverte aux abus. C’est une faute politique, car ce mauvais coup porté à l’EMFA donne des armes à ses détracteurs. Nous appelons les auteurs de cet amendement à revenir dessus, et le Parlement européen à écarter cette disposition inutile et dangereuse, qui est un ver dans le fruit. Que des ministères de l’Intérieur de démocraties établies s’associent à des États aux pratiques voyoutes représente un grave précédent dans le processus européen : la responsabilité politique ne peut que retomber tôt ou tard sur les apprentis sorciers.